Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone (1966)****
Sergio Leone est sans doute le réalisateur champion du monde des plans séquences silencieux qui s’étirent à l’infini pour notre (mon ?) plus grand bonheur. Ici les acteurs parlent avec leurs yeux et quand ils parlent vraiment cela devient expéditif…
1864… plus ou moins, alors que les Etats-Unis sont à feu et à sang et se déchirent dans une guerre fratricide, 3 zigotos pas très recommandables, individualistes forcenés traversent le pays à la recherche d’un magot de 200 000 dollars planqué dans une tombe, dans un cimetière. Quelle tombe ? Quel cimetière ?
Blondin sait dans quelle tombe. C’est lui le « bon », ce qui est relativement vite dit car, exceptés deux accès compassionnels envers deux mourants, il est plutôt sensible de la gâchette et pas le genre à se laisser marcher sur les éperons. Le Bon, Clint Eastwood, démarche chaloupée, cigare vissé à la bouche, regard pénétrant et énigmatique, taiseux et lymphatique, entrait, sans le savoir avec une classe infinie dans la légende westernienne, et portait comme personne et sans être ridicule (comme d’autres le font pour la cape et le slip rouges…) le poncho !
Tucco sait dans quel cimetière. C’est lui le « truand » multi condamné, multi récidiviste et la liste de ses forfaits qui va du vol au meurtre en passant par le viol est longue comme un jour sans pain. Le Truand, est un type à la fois pathétique, roublard, menteur et tricheur et on ne peut que saluer bien bas l’interprétation haut de gamme d’Eli Wallach qui le rend tour à tour grotesque, ridicule, humain et émouvant.
Sentenza ne sait rien mais par ses méthodes barbares s’immiscera dans le duo pour avoir sa part du butin. La Brute, c’est Lee Van Cleef dont le physique atypique et inquiétant s’adapte parfaitement au rôle du très méchant, sadique et sans cœur.
Absolument sans morale, complètement opportunistes et prêts à tout pour sauver leur peau, les trois lascars seront tour à tour yankee ou sudiste selon les besoins de leur cause et porteront le costume gris ou le costume bleu au hasard de leurs rencontres.
Mine de rien, Sergio Leone propose une belle charge anti-militariste en montrant les ravages de part et d’autre d’une guerre civile abominable qui s’étire en longueur et multiplie les victimes. La défense d’un pont ridicule est l’un des épisodes dramatique et spectaculaire de cette tragédie. De bien belles scènes pleines de rage et de mélancolie ponctuent ce western sublime et nonchalant comme on n’en fait plus. Une scène de torture assez longue ajoute encore à la barbarie ambiante.
Arrivés au cimetière de Sad Hill, Sergio Leone nous offre le clou de ce spectacle ininterrompu : la course effrénée d’Eli Wallach est une prouesse où la musique lancinante d’Ennio Morricone transcende les images et la rend magique. Le duel à trois qui s’ensuit s’étire à l’infini et la caméra s’approche des regards pour ajouter une scène mythique à ce film qui en contient déjà tant. Il la reproduira à l’identique dans «Il était une fois dans l’Ouest » avec Henry Fonda et Charles Bronson.
Dernière cerise sur ce gâteau déjà savoureux et somptueux, le Bon face au Truand et la réplique des répliques :
"Tu vois, le monde se divise en deux catégories ! Ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent.... Toi tu creuses !".
Un chef d’œuvre.
Commentaires
P'tain je pleure...
Ressaisis-toi mon grand tout le monde te regarde.
Critique intéressante et nostalgique d'un film mythique.
Juste un détail : Sentenza (Lee Van Cleef) ne joue pas le rôle du Truand mais celui de la Brute.
Une p'tite erreur de frappe que tout le monde aura bien évidemment corrigé tellement ce film est universellement connu !
Merci Steph, je corrige illico cette erreur !
Tu allies allègrement synthèse et analyse avisée. Chapeau.
Je n'ai à peine besoin de m'épancher sur ma scène préférée puisque tu l'as déjà fait : l'arrivée finale à Sad Hill est effectivement un plaisir infini. La portée épique de cette aventure est transcendée par la musique d'Ennio. Tuco exprime toute sa nature de chien errant à la recherche de LA tombe qu'il n'atteindra jamais seul quand des milliers d'autres l'entourent. A côté, le blondin est toujours aussi nonchalant et Sentenza n'est forcément pas loin.
Petite parenthèse également sur le pamphlet anti-militariste que tu évoques et qui ira encore plus loin dans "il était... la Révolution" où, par certaines scènes, Léone nous fait son Costa-Gavras à la sauce mexicaine.
Un double génie donc. ça y est j'ai une envie impérieuse de revoir tous ces chefs-d'oeuvre.