RETOUR EN NORMANDIE
de Nicolas Philibert ****
En 1976 je suis allée voir un film de René Allio intitulé Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur, mon frère (oui, toute jeunette j’allais déjà voir des films zarbi). Il racontait l’histoire de ce jeune homme triplement meurtrier dans la Normandie rurale de la fin du XIXème siècle, sa fuite dans les bois, son arrestation, son emprisonnement, son procès qui pour la toute première fois mettait en parallèle justice et psychiatrie… En prison Pierre Rivière entreprit la rédaction d’un mémoire d’une stupéfiante beauté dans lequel il expose les raisons de son acte.
L’une des particularités de ce film est que les acteurs étaient des non professionnels et mieux encore des paysans de la région exacte où se sont passés les faits réels. Le résultat est saisissant. Personne mieux qu’Allio lui-même ne peut vous parler de cette expérience : « Nous ne pouvions pas deviner à quel point cette aventure deviendrait, mieux qu'un travail, une rencontre avec des hommes et des femmes dont la richesse de sentiments, la délicatesse d'esprit, la générosité de coeur, le rapport simple et direct aux choses du travail, à l'équipe, nous seraient un enseignement. Jamais d'ailleurs, nous n'avons eu le sentiment d'une différence ou d'un clivage dans le groupe que nous formions, et qui aurait mis les " techniciens " du cinéma un peu à part ; non, nous formions un tout entier où se répartissaient les tâches, celles du jeu, pas vécues autrement que les autres. À ces moments, on sait bien que faire un film n'est pas cette entreprise de haute technologie que l'on voudrait parfois nous faire accroire, mais un travail comme un autre, aussi manuel que le labourage, aussi artisanal que la menuiserie, aussi raffiné que la dentelle (...) Je n'ai pas demandé autre chose à nos interprètes paysans que ce que j'aurais demandé à des "professionnels" : faire acte de création ».
Le premier assistant du réalisateur était le tout jeune Nicolas Philibert (dont vous avez sûrement vu le très réjouissant « Être et avoir ») qui trente ans après, marqué de façon indélébile par cette expérience unique, a souhaité retrouver les acteurs et évoquer le passé tout en découvrant ce qu’ils sont tous devenus.
La première réussite de Nicolas Philibert est qu’il n’est pas utile d’avoir vu le film de 1976 pour apprécier celui-ci et au-delà, j’imagine que les plus audacieux qui iront le voir, auront envie de découvrir l’ancien. A de nombreuses reprises le coeur s'emballe tant les témoignages de ces acteurs d’un seul film, tous retournés à leur vie professionnelle, proposent et offrent une vision enthousiasmante de cette façon exaltée, artisanale et généreuse de faire du cinéma. Ils évoquent chacun leur rôle, la façon de l’appréhender d’une manière tellement simple, naturelle et intelligente sans emphase qu’on se prend à rêver que tous ceux qui « font » le cinéma en parlent de cette manière. Tous ont été marqués en profondeur par cette expérience et à aucun moment on ne sent d’amertume ou de regret, juste un instant magique suspendu dans leur quotidien qui a changé leur vie pour certains. Parler et reparler du film se fait au fil du temps, ou pas, en famille ou entre amis et c’est toujours pour affirmer que malgré la lourdeur du sujet, ces semaines de tournage étaient un enchantement. Ce film, ces quelques semaines, cet épisode de leur vie sont comme gravés en eux et leur façon de l’exprimer, drôle, émouvante, sincère serre le cœur à de nombreuses reprises.
Le moment où la (non) actrice qui interprétait l’une des « sœurs » survivante de Pierre Rivière découvre que son personnage est mort à 23 ans est particulièrement impressionnant d’émotion. Elle a tellement aimé cette personne sans la connaître, mais l’interpréter l’a fait entrer dans son intimité, qu’elle lui aurait souhaité un autre destin, une descendance… Des moments de cette intensité le film en est rempli qui n’oublie pas de laisser planer le doute et d'imaginer un suspens : va-t-on retrouver, revoir Claude Hébert, l’acteur qui a incarné Pierre Rivière ?
Ce film est une révélation, un véritable hymne, une déclaration d'amour au cinéma, aux difficultés rencontrées qui requièrent chez ces fous qui s’obstinent au-delà des obstacles, un amour, une passion pour cet art qui laissent émerveillé et admiratif.
Je souhaite vous avoir donné envie d’aller voir ce film profond et inspiré qui démontre sans en avoir l’air à quel point le cinéma est vital… pour certains !
Commentaires
merci de m'avoir (sans être :-)))) convaincu d'aller voir ce film !!!
C EST VRAI ????????????? ( et attends demain... ;-))))
V.I.C.T.O.I.R.E.
je peux retourner me coucher.
Est-ce que tu as donné envie de voir ce film ? C'est le moins qu'on puisse dire... L'entreprise en elle-même est une idée magnifique... Là, MOIJE vais être privé de ciné pendant presque deux mois mais je croise les doigts pour qu'il soit encore à l'affiche d'ici là. Qu'il rencontre le même succès qu' "Etre et avoir" ! :-)
Deux mois sans ciné !!!! suicide collectif !
1976, une année noire où je suis peu allée au ciné... Mais je me souviens du film et du succès que ça avait eu. On en avait parlé en tous cas !
Je reviens demain, puisque ça promet.
Tu as vraiment le chic pour me faire éclater de rire :-)
Ed. : Fallait pas rester au soleil en 76 babache !!!
D&D : bravo, belle mentalité... je te parle de suicide ça te fait marrer !
On m'avait plutôt éteint la lumière d'un coup. Le soleil ? M'en souviens plus.
Je sais mais tu sais que je pense que les absents ont toujours tort et qu'ils n'avaient qu'à pas..
Je voudrai avoir l'adresse postale de Nicolas Philibert, car aujourd'hui en souffrance par rapport à la société française et à mon parcours de vie personnelle et professionnelle (qui concerne aussi de nombreux collègues de travail), j'aimerai lui raconter mon histoire et peut être donner l' idée d'un documentaire fort dont le rôle aurait un devoir de mémoire comme le fait si peu le cinéma français aujourd'hui.
Pas trop envie d'aller voir!
Bonne journée.
Chauris : tout ce que je peux faire c'est vous donner l'adresse du site de Nicolas Philibert http://www.nicolasphilibert.fr/
Bon courage.
Lhuna : dommage.
Ressortant en salle le 24 octobre, il fait partie des films que j'ai hâte de voir (je ne dirai pas revoir, car cela fait tellement longtemps que je l'ai vu). Merci pour ce billet qui donne vraiment envie.