Sur le fil dérisoire de et par Vincent Roca
Que croyez-vous que je puisse penser d’un spectacle et d’un artiste qui aborde directement son public par : «Je suis très calme mais je vous préviens solennellement : je ne veux pas qu’on me fasse chier ! ». J’ai adoré forcément ce type, le type même du type qui renvoie l’image du mec parfait mais qui souhaite par-dessus tout se défaire de son image positive de chic type ! C’est drôle, hilarant, plutôt fin, élégant (malgré l’amorce), jamais méchant, bien observé et la langue utilisée entre poésie, calembours, jeux de mots, à peu près est un régal de tous les instants pour les oreilles. Vincent Roca est ce gars qui n’aime pas qu’on lui prenne sa place numérotée dans les trains, qu’on lise SON journal, qu’on lui impose des cartes de fidélité, qu’on mette des câpres sur sa pizza napolitaine, qu’on l’abonne à un club du livre, qu’on lui promette un service à jus de fruits après 20 passages à la station service, qu’un taxi lui demande « vous avez un itinéraire ??? », qu’on le prenne à témoin dans une conversation, que les gens klaxonnent dans les mariages, qu’ils lavent les verres à moutarde et les animaux aussi, ça l’agresse.
Mais Vincent Roca, c’est aussi ça :
« Je me souviens. J’ai quinze ans. Je passe mes journées au cinéma. Il fait noir. Personne ne s’occupe de moi. Je suis seul avec les images. Réfugié dans ma bulle. Tavernier ! Que la fête commence ! Eteignez la salle ! Envoyez la pelloche ! servez-moi du gros plan en carafe ! Je vais me shooter au nitrate d’argent, je vais m’en mettre plein les mirettes… silence sur le plateau ! Repassez-moi les films-flammes, les plans américains, les vieilles bandes à John Wayne ! ça tourne, j’ai quinze ans ! Tavernier ! C’est ma tournée ! Vas-y Frankie ! envoie la musique de chambre noire ! fondus enchaînés pour tout le monde, la spécialité du chef op’, sortez les scénars ! foncez dans le décor ! il y a de l’émulsion dans l’air, du bromure dans la gélatine, allez ! on la refait ! Allumez les gamelles ! un homme, une femme, j’ai quinze ans… mes murs sont tapissés de photos d’Anouk Aimée, Un album et une femme avec Anouk immortalisée et Jean-Louis m’empoignant !... J’ai quinze ans, la dolce vita… mon harem nommé désir, mon tramway nommé Aimée, ma Lauren buccale, mon Anna magnanime, ma Sophia la reine de cœur, ma Gina Lolos-Lola-briggida, j’ai quinze ans ! Tavernier ! Ressortez les vieilles copies ! envoyez la Comtesse aux pieds nus ! je m’en lèche les bobines, si tu ne viens pas à la Gardner, Ava Gardner viendra à toi ! La prise est sublime, clap clap clap, on la garde ! Tavernier ! Action ! Séquence nostalgie, flash-back sur Gabin et Morgan, oh ! t’as de beau aïeux, tu sais ! Embrasse-moi, j’ai quinze ans, moteur ! Attention, ralentir… travelling ! Tavernier ! Faites-moi lire dans les étoiles ! plongée sur les jambes de Dietrich, contre-plongée en apnée sur mes images de gosse, je fais le Marielle, café Noiret et tranche de Rochefort, j’ai quinze ans, bonbons, caramels, chocolats glacés, le temps passe à vingt-quatre images seconde, les hommes sont tous des frères Lumière, j’ai huit et demi à chaque œil et j’ai quinze ans ! Vas-y Noiret ! fais-nous du Noiret ! refais-nous la vie de château, Alexandre le bienheureux, j’ai des pellicules, je m’enferme à double tour de manivelle, écran géant et son dolby, moteur ! Action ! Toute ressemblance avec des rêves de gosse n’est que pure coïncidence, je me souviens, j’ai quinze ans…West Side Story… les Sharks et les Jets… ».
Merci.
Commentaires
J'adôôôôôôre ton pull.
Je veux le même pur mes dix huit ans ^^
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J'aime ses chroniques sur France Inter....Un fil dérisoire loin d'être inutile.