HUNGER
de Steve Mc Queen ***
Les derniers mois de la vie de Bobby Sands, militant de l’Ira incarcéré à la Prison de Maze en Irlande du Nord, et surtout sa lente et douloureuse agonie consécutive à sa grève de la faim en 1981.
Comme chaque matin un homme se lève, fait sa toilette, soigne les plaies qu’il a aux mains, prend son petit déjeuner et part au travail. Sa femme le regarde inquiète à la fenêtre. L’homme scrute la rue et inspecte sa voiture avant de démarrer. Sa femme soupire, soulagée, aucune bombe n’a explosé. Cet homme n’exerce pas n’importe quel métier : il est gardien de prison et ses plaies proviennent des coups qu’il assène aux prisonniers qu’il est chargé de surveiller. La prison n’est pas n’importe laquelle et les prisonniers ne sont pas ordinaires non plus. En fait, Abou Ghraib et Guantanamo ne sont pas des « inventions » récentes, au début des années 80 et avec la bénédiction de Madame Thatcher, existait déjà un endroit d’une inhumanité révoltante et aux pratiques scandaleuses.
Ce film ne nous parle pas de ce que ces prisonniers ont fait, il n’en sera jamais question, mais nous démontre comment des hommes pratiquent la barbarie sur d’autres hommes. La seule façon qu’ont ces derniers de résister et faire valoir certaines revendications est d’utiliser leur corps, le dernier « outil » qui leur reste pour s’exprimer. Ces hommes réclament le statut de prisonniers politiques qui leur sera refusé. En signe de protestation, pendant plus de quatre années ils vont repousser l’idée de porter les uniformes des criminels de droit commun, ne plus se laver, faire leurs besoins à même le sol, couvrir les murs de leur cellule de leurs excréments et déverser leur urine dans les couloirs. Autant ne pas y aller par quatre chemins, un film qui sent autant la pisse et la merde est une véritable révolution. Steve Mc Queen (non pas lui, l’autre) ne nous épargne rien des conditions de détention, de la violence des gardiens qui eux aussi travaillent dans des conditons épouvantables, de l’extrême dénuement (dans tous les sens du terme) des prisonniers. Il scrute les corps et tout ce qu’ils produisent, fouille les plaies, nous assomme de bruits ou nous abasourdit de silence. Ce film est une expérience. Quasiment muet, à l’exception d’une conversation fleuve, passionnante, non dénuée d’humour, en un seul plan fixe fascinant où Bobby Sands le « héros » annonce au prêtre de la prison qui tente de l’en dissuader son intention de faire une grève de la faim.
A partir de là, on assiste, désemparé, hypnotisé au déclin par étapes mais néanmoins rapide de l’état de Bobby Sands. Encore une fois le réalisateur ne lésinera pas sur la description clinique des différents stades. A partir de ce film, plus personne ne pourra entendre parler de grève de la faim et s’imaginer (comme c’était mon cas) qu’on mourait « simplement » et progressivement d’épuisement de ne plus manger. Il n’en est rien, l’agonie s’effectue dans les pires souffrances.
Si Steve Mc Queen souhaitait faire un film qui apostrophe, choque, perturbe et scandalise le spectateur, son pari est réussi. Rarement film âpre et brutal, n’aura été si cru, implacable et radical… et pourtant d’une beauté « plastique » indéniable malgré l’odeur et la crasse. Oui cela peut paraître paradoxal ! Que dire de Michaël Fassbender magnifique et dévoré par son rôle qu’il pousse au-delà des limites de la performance ? Qu’on peut aussi raisonnablement se demander comment et pourquoi un acteur, comme Christian Bale pour « The machinist », met autant sa santé et peut-être sa vie en danger pour interpréter un personnage ?
Commentaires
Sans manichéisme outrancier, usant d'une écriture cinématographique radicale, le réalisateur nous saisit par les tripes. Les acteurs, remarquables, sont au diapason de ce travail implacable. Autant dire qu'avec ce film choc et choquant, Steve Mc Queen vient de se faire un nom.