Avant d’être Serge Gainsbourg, Gainsbarre fut Lucien Ginsburg un petit garçon qui vit avec ses parents, juifs et russes. Dans le Paris occupé des années 40, le jeune Ginsburg est le premier à aller chercher son étoile jaune. Il clamera bien plus tard en affrontant des paras violemment mécontents qu’il ait donné une version reggae de la Marseillaise : « je suis un insoumis ». Mais comme le précise Joann Sfarr : « Ce ne sont pas les vérités de Gainsbourg qui m'intéressent mais ses mensonges », il ne s’agit donc pas d’un « biopic » ordinaire mais d’un conte revendiqué où des libertés sont prises et d’ailleurs peu importe où et quand. Ce qui compte c’est que ce film est beau, beau à entendre et beau à voir.
La première partie qui retrace quelques épisodes de l’enfance est même tellement sublime que j’aurais eu envie qu’elle se prolonge. Le jeune Kacey Mottet qui interprète Gainsbourg enfant y est absolument prodigieux. Enfant et jeune homme, Gainsbourg ne s’intéressait qu’à la peinture et au dessin. Heureusement (pour nous) son père, lui-même pianiste eut l’excellente idée de l’obliger à se mettre à la musique. Ce n’est que bien plus tard alors qu’il cachetonne dans des pianos bars et par le hasard d’une rencontre avec Boris Vian (Philippe Catherine, génial) puis Juliette Gréco qu’il se mettra peu à peu à la chanson, cet art mineur comme il le disait, mais qu’il a porté au zénith comme on le sait.
Sûr de lui et de son génie, il est aussi et surtout un être fragile, timide, sensible et angoissé qui brûle sa vie par tous les excès, notamment dans l’alcool et le tabac. Le sexe évidemment viendra plus tard, comme par harsard et il sera le premier étonné de son pouvoir de séduction. Car Gainsbourg est également complexé et persuadé d’être laid et ce ne sont pas les nombreuses et sublimes femmes qu’il aimera et qui l’aimeront qui lui feront prendre confiance en son physique. Avec son nez et ses oreilles il se rebaptisera lui-même "l’homme à tête de chou, moitié légume, moitié mec". Et il est vrai qu'il n'est pas banal Gainsbourg et qu'il ne ressemble à personne.
Ses amours difficiles et désespérantes, ses volutes bleues, ses vapeurs d’alcool, sa beauté de laid ont toujours inspiré ses mots et ses musiques intemporels et éternels.
Et comment s’en sort Joann Sfar pour raconter comme un conte un peu de la vie de cette légende ? Mieux que bien. Et ce qu’on peut affirmer c’est qu’il sait raconter des histoires et que dès le générique : on plonge. Parce que les premières notes de Melody Nelson (je crois) sur des images animées, des dessins animés, d’emblée, instantanément, allez savoir pourquoi, ça étreint le cœur. Le bonhomme au grand nez et aux grandes oreilles qui semble voler, on le connaît, c’est Gainsbourg drôle et inquiet. On entre dans sa vie et on découvre que dès tout petit, l’imaginaire, l'inspiration et l'impertinence occupaient pratiquement toute la place et qu’un gros bonhomme un peu effrayant mais pas tant que ça le suivait partout et toujours. Plus tard, ce double se transformera en une grande marionnette mi monstre mi dandy. C'est Gainsbarre, la (mauvaise) conscience, la part Mister Hyde qui est en Gainsbourg, celle qui donne les conseils et son avis en permanence, qui fait douter, avancer, se tromper... Et c’est magnifique.
Le reste, tout le reste est affaire de rencontres et de ruptures, de bonheur et de deuils, de création, d’idées de génie, de provocations, de caprices, de doutes, de colère, de la santé mise en danger… et jusqu’à la mort du chien « d’une cirrhose, sans doute par osmose ».
Les rencontres sont déterminantes, depuis celle impromptue avec Fréhel (Yolande Moreau,magique comme toujours) jusqu’à Bambou la dernière femme aimée. C’est pourtant dans l'évocation de la succession des amours que le réalisateur se montre le moins adroit. Alors que jusque là tout n’était que fluidité et harmonie, la chronologie des rencontres ressemble à un moment à un catalogue : la première amante, la première épouse, Juliette Gréco (Anna Mouglalis, bof), Brigitte Bardot (Laetitia Casta, renversante et parfaite) le grand amour partagé mais douloureux, France Gall (Sara Forestier, la seule à être ridicule), Jane Birkin (Lucy Gordon) puis Bambou (Mylène Jampanoï). L’autre aspect étrange et regrettable est la part qui semble nettement insuffisante consacrée à Jane Birkin.
Mais il serait malhonnête et sans fondement de bouder un film aussi brillant pour les yeux et les oreilles, émouvant, un film qui éveille les sens et réveille les souvenirs, un film qui fait aimer, découvrir ou redécouvrir un homme, un artiste, hors du commun, empli de contradictions, d’élégance, d’impertinence, un sentimental émotif qui aima et fut aimé passionnément donc douloureusement.
Et puis, comment ne pas se réjouir de voir sous nos yeux extasiés et admiratifs, un acteur considérable (Eric Elmosnino) qui élève son interprétation au niveau du prodige ?
Un acteur et un réalisateur qui aiment autant leur personnage, sans le singer ou le caricaturer, sans le trahir c’est formidable et admirable.
Bravo.