PATER D'ALAIN CAVALIER *****
L'idéal pour voir ce film serait de n'en rien savoir avant d'entrer en salle mais je crois qu'il est de toute façon aisé de l'apprécier en en sachant un minimum tant il parvient à saisir le spectateur, au sens tout premier du terme c'est-à-dire qu'il l'accroche et le happe dès les premières images. Le plus enthousiasmant c'est que non seulement on est captivé instantanément mais que l'attention et l'intérêt ne s'émoussent jamais. Un exploit donc, renforcé par le fait que ce film présente un pari tout à fait inédit, sans précédent je crois. Un film tout simplement prodigieux. Oui, simple et prodigieux, deux termes qui peuvent sembler contradictoires mais qui deviennent évidents devant la caméra facétieuse de ce réalisateur.
Un jour Alain Cavalier a rencontré Vincent Lindon et lui a proposé un jeu, un deal, un film. On dirait que "je serais Président de la République et que vous seriez mon Premier Ministre". Sourire à la fois dubitatif et séduit de l'acteur qui évidemment accepte ! Pendant presqu'un an le réalisateur et l'acteur se sont filmés à tour de rôle, très souvent à table, mais aussi dans leurs appartements respectifs, dans un bureau, dans une forêt, dans un dressing. Et ils ont parlé. De leurs rôles dans le film mais aussi de la vie, la vraie, de politique. Ils vont porter un regard attentif l'un sur l'autre. Parler de l'autre en son absence. Proposer des lois. Faire de la politique. Préparer une campagne...
Dit comme ça, ça n'a sans doute l'air de rien, ou alors c'est trop et c'est en effet immense, fascinant et vertigineux. Le réalisateur malicieux, roublard et charismatique mène le jeu mais l'acteur s'y prend lui aussi peu à peu. Le spectateur est sans doute le troisième personnage manipulé qui ne sait pas toujours où commence la fiction, où se trouve la réalité, où est la frontière entre scenario et improvisation.
Ovationné pendant plus d'un quart d'heure lors du dernier Festival de Cannes et injustement absent du palmarès, mais le jury cosmopolite n'y a sans doute rien compris, ce film est l'oFni le plus réjouissant jamais vu. Et effectivement, à plusieurs reprises j'ai eu envie de sauter de joie, de taper dans les mains de bonheur tant ce qu'on voit et entend à l'écran m'ont souvent plongée dans un ravissement béat d'envie et d'appétit.
Mais Alain Cavalier ne fait pas que présenter un objet d'art non identifié qu'on regarderait avec des pincettes avec le petit doigt en l'air. Bien sûr que non, il faut dire que Vincent Lindon un peu bourgeois parce que grâce à son métier il peut vivre dans un appartement parisien près de Saint Sulpice et populaire à la fois avec les pieds bien sur terre, est sans aucun doute l'acteur IDEAL capable d'incarner ce premier ministre qui connaît la vie, l'entreprise et s'emporte contre les injustices. Il ne fait d'ailleurs rien moins que proposer comme première loi et se battre pour cet objectif qu'il a, chevillé au corps et à l'âme : faire en sorte que les salaires des patrons et des salairés aient un écart maximum de 1 à 10. Puisqu'il existe un salaire minimum, pourquoi n'y aurait-il pas un salaire maximum ?
On peut parler de choses graves de façon ludique et faire battre le coeur avec des projets, des utopies. Je ne ferais pas l'insulte à ce film d'une intelligence rare de le comparer à un autre plus récent (que je n'ai pas vu, que je ne verrai pas) au titre ronflant et creux comme l'individu dont il parle, mais imaginer la politique comme le font Alain Cavalier et Vincent Lindon est un moment de pure jubilation et oui aussi un peu, d'espoir.
Cinéma et politique n'auront jamais si bien fusionné et si vous doutez encore de devoir vous précipiter dans une salle climatisée pour voir cette gourmandise fine et savoureuse, sachez aussi que vous y rirez franchement et souvent ! Et vous serez émus et en colère avec Vincent Lindon lorsqu'il évoque avec une précision chirurgicale sa rencontre exaspérante avec le propriétaire de l'immeuble où il vit. Et vous rirez entre autre lorsqu'il déclare : "oui j'ai le melon... je me demande toujours pourquoi les politiques ne m'appellent pas chaque matin pour savoir quoi faire ?".
On peut parler de ce film à l'infini, car chaque plan, chaque scène est indispensable.
A un moment Alain Cavalier, magnifique vieux monsieur coquet, filme Vincent Lindon à son insu et dit :
"Il me plaît.
Il est chaleureux.
Un peu impulsif. Mais je le freinerai.
Il est robuste.
Il est terriblement sympathique.
On l'aimera."
Oui Monsieur Cavalier, en sortant du film on aime Vincent Lindon encore plus qu'avant d'y entrer.
Vous l'aimerez.
Commentaires
Belle note qui donne envie de retourner illico presto faire une deuxième séance. Alors j'imagime pour ceux qui ne l'ont pas vu...
Et l'idée politique maitresse, son évolution imaginée et l'analyse de notre société m'ont vraiment accroché.
J'aimerai avoir de cette bonne herbe médicinale que tu as avalé avant de rentrer dans la salle taper des mains. Merci.
hervé : oui quel film ! On y retournera illico voir le Monsieur en personne d'ailleurs.
Fred : dis moi pas que tu n'as eu envie de sauter partout !!!
J'ai quelques jeux de mots Pater ribles à te soumettre pour que tu arrêtes un peu de faire la tête.
Pour moi c'est un film Pater miné, une sorte de brouillon attachant mais auquel personne (même Cavalier et Lindon) ne semble tout comprendre.
Je ne vois pas la dimension politique de tout ça. Ni le génie absolu évoqué ici et là (surtout ici). Mais, ha ha tu vas rire, j'ai bien envie de le revoir néanmoins et j'achèterai donc ce Cavalier chez Amazon.
Forcément quand on tient Vincent Gallo pour un réalisateur de génie... il est difficile d'apprécier la création d'un Cavalier qui surgit hors de la nuit !
Mieux vaut tard que jamais : une découverte tardive et une vraie bonne surprise que ce film inclassable.
Juste une petite nuance : la scène à propos du propriétaire ne m'a pas du tout fait rire, c'était plutôt gênant pour moi.
PS - Bravo (et merci) pour le truc de la fonction recherche en passant sur Google ;-)
Ah contente que ma fonction "recherche" t'ait servi.
Haut et Fort va réparer mais apparemment ce n'est pas simple.
Je n'ai pas ri à la séquence du propriétaire. C'était tellement réaliste.
J'ai ri lorsqu'il dit qu'il ne comprend pas que le gouvernement ne l'appelle pas tous les matins pour savoir quoi faire !