TOUS AU LARZAC de Christian Rouaud ****
En 1971, il y avait un camp militaire sur le plateau du Larzac et autour quelques communes et des paysans qui exploitent leurs terres et élèvent leurs brebis. Cette année là, le ministre de la Défense Michel Debré souhaite étendre le camp militaire et exproprier les paysans qui gênent. Ils ne se laisseront pas faire et au terme d'une lutte non-violente de dix années parfois exténuante, d'autres fois réjouissante, ils obtiendront gain de cause grâce à l'élection de François Mitterrand en 1981.
"Je voudrais que cette histoire, on puisse s’en nourrir pour regarder notre monde, ici et maintenant." dit le réalisateur qui réussit un film exaltant et stimulant. Les "Indignés" des années 70 vivaient au sud du Massif Central et sont à l'origine du mouvement alter-mondialiste. Gloire à eux ! Et aujourd'hui encore, les sexagénaires voire davantage encore bien vaillants de l'époque continuent la lutte en s'opposant aux OGM et aux gaz de schiste dangereux pour l'environnement. Leur énergie, leur volonté et leur vitalité sont intactes. Quelle chance ils ont !
Il faut les voir ces paysans "pur porc" comme dit l'un d'eux, évoluer et faire de la survie de leur région une action commune de résistance et être aujourd'hui encore, tournés vers l'avenir. Ces 103 paysans c'est David contre Goliath mais jamais aucun d'eux ne se laisse aller à la nostalgie même si l'évocation de toute la mobilisation qu'ils ont provoquée à l'époque les émeut encore. C'est incroyable ce qu'ils ont déployé comme courage et comme imagination, simplement armés de leur détermination. Ils sont montés à Millaud en tracteur puis à Rodez, ils ont entrepris une marche de 710 kilomètres à pieds pour venir camper sur le Champ de Mars (1er camp militaire français) pendant que la machine judiciaire et d'Etat continuaient leur progression et qu'ils étaient de plus en plus acculés à l'expropriation. Ils ont construit pierre par pierre une bergerie "hors la loi", volé des documents militaires, été emprisonnés pour certains, ils ont perdu leurs droits civiques. Ils ont été menacés, frappés par une bombe inconnue et l'enquête aboutira à un non lieu... Ils n'ont jamais lâché. Et ils s'étonnent de constater que Paris et la France entière se sont mobilisés avec eux pour que le Larzac demeure une terre de culture et d'élevage.
Réussir un film à suspens auquel on reste accroché pendant deux heures est une performance quand on évoque le thème du film. Mais dès la première intervention, on est suspendu aux lèvres du premier interlocuteur qui résume non sans humour : "j'ai appris à lire, à écrire, un peu à compter. J'avais tout du paysan moyen, je votais à droite, j'allais à la messe...", et puis la décision de Michel Debré change la donne. Immédiatement les propros, l'élocution, la maîtrise et le sens de la narration du paysan rend complètement accro aux événements. On se dit que le réalisateur a trouvé "le bon client" qui sait "parler dans le poste". Et non, tous les intervenants sans aucune exception font preuve d'une intelligence incroyable et leurs reparties devraient faire rêver plus d'un scénariste. Et ces gens qui se pensaient égoïstes et repliés sur eux-mêmes vont développer un sens de la lutte, de la solidarité et de la fraternité qui laisse songeur et qui dure encore à ce jour. 40 ans plus tard, ce qu'ils ont vécu les a rendus unis et solidaires à tout jamais. De leur individualisme forcené est né dans la lutte un sens de la résistance et de la fraternité tellement réjouissant qu'on a envie de les rencontrer tous.
Leur non violence, leur respect des autres et des "pionniers" comme ils les appellent (ceux qui sont venus s'installer là) alors qu'ils sont les "autochtones" et qu'ils ont accueillis sans réserve, leur humanité, leur volonté infatigable, leur enthousiasme, leur optimisme forcent vraiment le respect et l'admiration.
Précipitez-vous pour voir ce grand film fort, dans une nature superbe avec des gens remarquables et impressionnants !