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LAURENCE ANYWAYS de Xavier Dolan *****

Laurence Anyways : photoLaurence Anyways : photoLaurence Anyways : photo

Comment parler de Laurence Anyways sans le trahir, sans l'abîmer, sans le ternir ? Film-fleuve imparfait, troublant, déroutant mais inattendu, inespéré. De ceux qui se glissent jusque sous la peau, dans les rêves de la nuit, qui accompagnent dès le réveil et offrent la certitude que oui, enfin, on a vu quelque chose de tumultueux certes, mais aussi de différent, nouveau, moderne. Pas révolutionnaire, non, puisque son sujet est vieux comme le monde et le cinéma, mais bien plus que cela. Unique. Merci donc à Xavier Dolan de m'emmener aussi loin, de me faire ressentir autant d'émotions en 2 h 39 mn. Le résultat est là. Impressionnant dès la première image de ce rideau flottant, vaporeux qui se soulève, jusqu'à la toute dernière qui arrive trop tôt et nous laisse orphelins de Laurence !

De quoi s'agit-il ? D'une bonne dizaine d'années dans la vie de Laurence (c'est un garçon) et de Fréd (c'est la fille !) qui s'aiment d'amour fort et rédigent des listes de tout ce qui pourrait éventuellement ne pas leur procurer du plaisir. C'est mainstream. Laurence enseigne la littérature de façon très rock'n'roll à de jeunes gens qui apprécient beaucoup la méthode. Fréd travaille dans le cinéma, script sans doute. Ils s'aiment fort je vous dis, se comprennent au moindre regard, s'amusent et parfois même parlent comme dans les livres. Et puis un soir, Laurence explose "il faut que je te parle sinon je vais mourir", et tout s''effondre, mais pas tout de suite. Il parle et ne meurt pas. Laurence veut devenir une femme. En fait, il EST une femme puisqu'il ne s'est jamais senti homme. Il (se) ment depuis 35 ans et il souffre. Fréd s'écroule : "tu me mens depuis qu'on se connaît, pourquoi tu ne m'as pas dit que tu es gay ?". Sauf que Laurence n'est pas gay. C'est juste qu'il n'est pas un homme mais cela ne change rien, il aime toujours Fréd, plus que jamais. C'est décidé, dès la rentrée, il s'habille en fille. Le coup accusé, Fréd décide d'accompagner son homme dans la métamorphose et de le soutenir. Vaillante et généreuse, fougueuse, amoureuse, la jeune femme est même fière de son Laurence qui va devoir affronter ses proches, ses collègues, ses élèves, le monde... Laurence, le premier matin du reste de sa vie, se présente au lycée où il enseigne, pour la première fois habillé en fille et maquillé, alors que ses cheveux sont encore très ras et l'allure bien masculine. La traversée du couloir est un moment inouï. Insolent et déterminé Laurence avance à grandes enjambées. Appuyé sur le bureau face à sa classe qui fait brusquement silence en le découvrant ainsi vêtu, le coeur de Laurence palpite au-dela de l'écran et fait vibrer celui du spectateur. Cet instant suspendu semble interminable. Ne comptez pas sur moi pour vous dire qui va rompre ce pesant silence et comment se conclut cette scène magistrale !

Puis Laurence se fait tabasser par un gras lourd, devient persona non grata de l'éducnat, rencontre de vieilles dames bariolées exentriques qui vont l'aimer sans condition... pendant ce temps Fréd perd pied, sombre dans la dépression et quitte Laurence. Si la scène ne vous fait pas sangloter, quittez la salle ! Séparés, Fréd et Laurence vont tenter de vivre, mais leur amour est plus grand que le temps et l'espace qui les éloignent désormais. Lorsque Laurence termine enfin son recueil de poèmes et l'envoie à Fréd pour lecture, Xavier Dolan exprime au sens le plus strict du terme ce que torrent de larmes veut dire. Et c'est ce qui est beau et fort dans ce film lyrique, exalté, exubérant. Le réalisateur n'a peur de rien, d'aucun effet, et le cinéma en procurent beaucoup, pour dire la profondeur d'un amour ou l'ampleur d'un chagrin. Ni de pousser l'ampli à 10, ni d'user (sans abuser) des ralentis, de faire tomber les feuilles ou les flocons pour faire joli ou signifier que c'est le début du commencement de la fin du monde. Il n'hésite pas dans la même BO à faire se côtoyer Brahms, Beethoven, Tchaïkovski, Vivaldi, Satie et Céline Dion, Dépêche Mode, Duran Duran. Une des scènes particulièrement réussie, baroque, exubérante est celle du bal où, sur Fade to grey de Visage, Fréd fait basculer sa vie, celle de Laurence (absent) et le film...

Ce ne sont pas seulement les images, les plans, le format carré qui sont magnifiques et originaux, c'est toute la fougue et la ferveur mises pour exprimer la profondeur d'un sentiment qui balaie tout sur son passage mais finalement ne parvient pas à s'accomoder d'un anti-conformisme pas banal. Le réalisateur évoque mais ne s'appesantit pas sur la marginalité de la situation. Rien n'est lourd pour exprimer l'ostracisme, l'exclusion, la solitude et le fait que la transexualité soit considérée comme une maladie mentale. La détermination de Laurence n'est à aucun moment mise en doute mais ce qui intéresse davantage Xavier Dolan, c'est l'intensité insensée d'un amour romantique impossible. Et là, il y va à fond dans les ruptures, les retrouvailles, le manque, les séparations et ce "besoin de consolation impossible à rassasier". Pour tenter de trouver ce réconfort, Laurence se tourne régulièrement vers sa mère (Nathalie Baye, exceptionnelle), la supplie, se jette dans ses bras. Il ne trouve que les paroles embarrassées ou blessantes d'une femme tranchante comme un scalpel qui osera un "je ne t'ai jamais considéré comme mon fils"... Je vous laisse découvrir la seconde partie de la phrase (qui ouvre à nouveau les vannes lacrymales).

Cela dit, entre deux sanglots, il n'est pas interdit de rire franchement car sur le parcours de Laurence et Fréd passe toute une galerie de personnages parfois hauts en couleur. Notamment la soeur de Fréd, l'hilarante et époustouflante Monia Chokry (révélation divine des Amours Imaginaires).

Mais les deux piliers de ce film phénomène ou phénoménal sont évidemment l'impressionnante Suzanne Clément qui est sans faillir, la Fréd aux cheveux rouge, tour à tour extravagante, extravertie, puis border line frôlant la folie. Et bien sûr Melvil Poupaud, tout entier livré, abandonné à Laurence qui décide "de descendre la pente dans la peau d'une femme". Sa voix, ses gestes, le moindre de ses sourires, de ses larmes, de ses clins d'oeil (sexy) est inoubliable.

Commentaires

  • Pas vraiment de mots, à part "bof" ou un smiley :-( en effet, j'aurais pu partir pendant le film...

  • Vu hier, et bouleversée tout comme toi. J'avais pas été emballée totalement pas Les amours imaginaires, mais là... !! Melvil Poupaud, je comprends pas qu'on le voit pas plus au cinéma, il est toujours très bien. Et le reste du casting est au diapason.

  • Nath : je n'ai rien lu.

    Florence : film et acteur GRANDIOSES, on est d'accord !

  • Bonjour Pascale, très émue par ce billet mais par le film: trop long, imparfait, oui et puis Melvil Poupaud il est rrop beau pour ce rôle. J'ai bien compris que j'étais perdue pour la science: tant pis. Je ne pardonne pas à Xavier Dolan d'avoir rendu Nathalie Baye si amère, elle ne quitte pas son rictus. Mais Suzanne Clément est exceptionnelle. Bonne journée.

  • Bonjour, quel dommage, la science perd encore un élement ! J'ai trouvé le film trop court ET imparfait mais EXCEPTIONNEL. C'est tout à fait le cinéma que j'aime, lyrique, excentrique, exubérant et bouleversant.
    J'ai trouvé au contraire Nathalie Baye formidable et que son personnage évoluait énormément.
    Quant à Melvil Poupaud, il est beau certes (mais j'aime mieux regarder de beaux garçons que des moches) et par contre pas du tout efféminé ce qui aurait été le cas avec l'autre acteur pressenti qui a eu la bonne idée de se désister au dernier moment.
    Mais pourquoi je m'emballe moi ?
    C'est que ce film j'y pense encore !

  • Juste quelques lignes pour venir partager ton enthousiasme, Pascale!
    J'ai profité d'un passage à Paris il y a 10 jours pour rattraper ce film que j'avais manqué chez moi et que je tenais absolument à voir, en tant qu'inconditionnel du ptit Dolan. J'ai drôlement bien fait!
    Waow, quelle claque!!! Je n'ai pas vu passer ces 2h40 (j'en aurais bien repris une tranche, même!), totalement embarqué dans les aventures en montagnes russes des personnages hauts en couleurs et attachants. On a envie de les suivre jusqu'au bout du monde, non?
    Les comédiens, même les petits rôles, sont brillantissimes (Poupaud, Baye, Chokri et j'en passe! Mention particulière à Suzanne Clément qui m'a littéralement scotché!). Et puis quelle richesse visuelle, l'esthétique selon Dolan, j'adhère! Et puis, la musique, comme d'hab, sublime! Et puis les dialogues, précis, tendres ou incisifs, hyper justes. Et puis le montage, et puis les costumes, les décors, la poésie de tant d'instants de grâce...
    Allez, un truc m'a chiffonné: comment se fait-il que personne ne se soit insurgé contre les coupes de cheveux absolument improbables et franchement hideuses de Laurence?!!

  • Ouf. Tu me fais grand plaisir.
    Quant aux coiffures... je crois que cela fait partie du "truc". C'est moche mais ce qu'il/elle voit lui plaît. C'est comme ça qu'il/elle s'aime.

    Dès qu'on "rencontre" Laurence on sait qu'on va vivre kékchose d'estraordinaire...

  • Je l'ai vu, il y a quelques jours et je n'ai pas du tout accroché. J'avais adoré "J'ai Tué Ma Mère", mais là, j'étais à deux doigts de m'endormir. C'est long et un (grand) brin pompeux (comme toujours avec ce pédant de Xavier Dolan) mais je n'ai vraiment pas réussi à rentrer dedans (si je puis dire). Autre chose, bien que j'adore de toute mon âme Suzanne Clément et Melvil Poupaud, je trouve que leur couple ne fonctionne pas du tout. Je n'y ai pas cru une seule seconde. On aurait dît deux amis.
    Nathalie Baye est formidable, as usual.
    Bref, assez déçu, je m'attendais à quelques chose de plus nerveux.

  • Rien à dire. Tu es passé à côté ! Tant pis pour toi.

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