COMME UN HOMME de Safy Nebou ***
Louis a 16 ans. Son père est le proviseur de son lycée. Son meilleur ami Greg est dans la même classe de Première malgré ses 18 ans et pour avoir menacé avec une paire de ciseaux sa jeune prof d'anglais Camille (dont c'est le premier poste), il risque de se faire expulser du lycée. Greg décide de se venger en kidnappant la jeune femme. Louis lui fournit les clés d'une cabane isolée dans une forêt qui appartient à sa famille. Les deux garçons ligotent, bâillonnent Camille et l'abandonnent ainsi seule pour une nuit, pour "lui donner une leçon". Censé la libérer le lendemain, Greg change finalement d'avis et décide de prolonger la séquestration. Greg mais soutient toujours son ami. Un méchant coup du sort va rendre la situation encore plus complexe. Et Louis se retrouve seul à gérer les événements de plus en plus inextricables et à mesure que les jours passent il s'enferme davantage dans le silence.
A la fois thriller psychologique, presque d'épouvante parfois, tant le conflit entre la victime et le bourreau prend de place peu à peu, et récit initiatique, Safy Nebou réussit son film sur tous les fronts. Dommage une fois encore que le titre ait été modifié car tiré d'un roman de Boileau et Narcejac L'âge bête, le film démontre en effet à quel point l'adolescence porte bien son sobriquet. En effet, ce qui se passe dans la tête d'un ado n'est jamais décevant et ce que cette catégorie d'êtres humains est capable de manigancer dans sa petite cervelle d'incompris est sidérant. La façon de pénétrer dans l'âge adulte prend parfois des directions déconcertantes. Ici, un ado plutôt taciturne issu d'un milieu aisé mais encore bien choqué par la mort de sa mère est en admiration devant un autre ado, un peu plus âgé, plus rebelle et qui tombe sans trop se forcer dans la délinquance. Louis ne veut pas décevoir son ami qui n'hésite pourtant pas à se moquer de lui, parce qu'il ne fume pas par exemple. Et lorsque son père lui dira : "je ne vois pas ce que tu lui trouves ?", Louis répondra simplement : "ben c'est mon ami". Et c'est sans appel. Les relations entre le père et le fils sont affectueuses mais le père ne s'aperçoit pas que son fils lui échappe. Absorbé dans son travail, même le soir lorsqu'il rentre du lycée, il s'étourdit de musique baroque, ne propose à son fils que des plats surgelés et ne partage rien avec lui. Tellement persuadé que son Louis ne déviera pas de la voie de la réussite toute tracée sur laquelle il se trouve. On ne sait pourtant pas toujours si c'est Greg ou son père que Louis cherche à éblouir. Lorsqu'enfin le père réalisera à quel point son fils est en danger, il sera un peu tard. En tout cas, c'est évident, les ados ont de bien étranges façons d'attirer l'attention à eux.
C'est de manière perverse que Louis s'éveille aux sensations et à la sexualité. Espérons que tous les ados n'en soient pas réduits à se branler devant des films pornos ou à kidnapper une prof (le viol n'est pas explicite mais probable...) pour la tripoter, un peu comme un objet de laboratoire. La scène est surprenante. La réussite du film, la tension qui s'infiltre et émerge, le suspens tiennent également à un personnage hors du commun qui tient une place essentielle ici : la nature. Le marais poitevin n'est qu'un entrelacs de canaux, les branches des arbres des tentacules, les routes des déserts et les éoliennes les témoins majestueux des horreurs qu'elles semblent dominer en silence.
Sarah Stern est une bien belle, réaliste et convaincante victime. Emile Berling, très beau jeune homme (dont la noirceur et la longueur des cils vont faire rêver beaucoup de filles !) ombrageux et androgyne porte avec une belle profondeur ce personnage de Louis qui se perd dans un imbroglio qui le dépasse rapidement. Les scènes d'affrontement avec son père Charles Berling (qui laisse généreusement toute la place à son petit garçon) font également partie de ces rares et beaux moments de cinéma.
Commentaires
Le marais poitevin, je suis partante. Pour le reste un peu moins, encore une histoire bien glauque.
C'est pas de la franche rigolade mais le marais est bien poitevin comme il faut !
Décidément, nous ne sommes pas d'accord en ce moment. J'ai détesté ce film (à peu près autant que tu as détesté "A perdre la raison"). Je me suis sentie mal à l'aise pendant tout le film et j'ai vraiment eu l'impression que leur geste était excusé, voire justifié, que la pauvre victime indifférait totalement le cinéaste et qu'elle devrait presque remercier pour le sort qui lui a été réservé. Je me suis dit qu'un cinéaste comme Clouzot aurait pu faire un chef d'oeuvre de ce sujet au lieu de ce scénario grotesque. Je ne suis pas la seule à avoir été perplexe. J'ai vu ce film en avant-première au Champs-Elysées Film Festival. Pas un applaudissement n'a retenti à l'issue de la projection! Reste l'interprétation, là aussi...:-)
Oui je ne comprends plus rien aux films ni à ceux qui les voient. Mais dans celui ci j'ai au moins trouvé du mystère.Et la victime est au moins autant abandonnée sans que personne s'en préoccupe que notre pauvre Murielle.
Je me souviens d'une salle entière applaudissant à Advergers, c'est pas un signe de qualtié de film !
Ton blog ne veut pas publier mon commentaire sanglant...:-) Je disais donc que j'avais détesté ce film à peu près autant que toi tu as détesté "A perdre la raison". Le malaise était palpable dans la salle, pas un applaudissement alors que c'était une avant-première de festival! J'ai eu l'impression que leur geste était excusé, voire justifié, et la victime inexistante, voire stigmatisé (on se demande si elle n'aurait même pas dû remercier). J'ai ressenti un profond malaise et ai trouvé le scénario grotesque... et j'ai songé au magnifique film qu'aurait pu en tirer Clouzot... J'avais pourtant tellement aimé "Le cou de la girafe". J'ai du mal à croire qu'il s'agit du même cinéaste. Les acteurs sont formidables sinon, heureusement...
Ah bah si, ça avait marché.:-) Oui, elle était autant abandonnée que Murielle sauf que Murielle, Lafosse la prend en considération et essaie de la comprendre! Là j'ai quasiment eu l'impression qu'elle méritait ce qui lui arrivait. En tout cas, j'ai été très mal à l'aise pendant tout le film. Bon, passons aux suivants! :-)
Là tu exagères. Dire qu'elle méritait ce qui lui arrive ne m'a même pas effleurée même si effectivement le film se place davantage côté bourreaux que victime. Elle devient inexistante car c'est bien ainsi qu'ils la considèrent... comme un morceau de viande, rien !
Le malaise je l'ai ressenti pour un autre film... mais je crois qu'on a fait le tour non ?