DANS LA MAISON de François Ozon ****
C'est la rentrée des classes. Germain prof de français dans un lycée semble un peu plus désabusé que les autres années et que ses collègues. Et encore davantage lorsqu'il découvre accablé que le Proviseur (discours incroyable de Jean-François Balmer impayable !) entend mettre en pratique une expérience faisant du Lycée Gustave Flaubert un "pilote". Tous les elèves porteront l'uniforme dans le but de les mettre sur un pied d'égalité sans signe ostentatoire de classe sociale. Pour Germain cela donne à ces ados une apparence encore plus grégaire. Mais il n'est pas au bout de ses surprises. Pour connaître le niveau de ses élèves il leur demande de rédiger un texte où ils racontent leur dernier week end. Le résultat est affligeant de banalité et de médiocrité et Germain est persuadé de tenir la classe de seconde la plus nulle qu'il ait jamais connue. Jusqu'à ce qu'il tombe sur le texte de Claude Garcia, élève de sa classe également mais qui raconte avoir observé une famille tout l'été et avoir réussi à devenir le meilleur ami de Rapha le fils. Epaté par l'aisance, le style et l'imagination du garçon bien que choqué par la formule "le parfum particulier de la femme de la classe moyenne" le professeur l'encourage à continuer son histoire. Dès lors le jeune homme va s'ingénier à tenter de retranscrire le récit de ce qu'il observe puis d'interpréter, de modifier le sens ou le cours des événements. La perversion des faits va bouleverser l'existence de pas mal de personnes.
Et mine de rien la construction du film est vertigineuse et m'a évoqué une oeuvre musicale, une symphonie inachevée. D'abord piano, le récit va crescendo jusqu'à atteindre une forme d'apothéose où tout n'est plus que confusion pour s'achever dans une espèce d'apaisement illusoire, un trompe l'oeil très Fenêtre sur cour où l'on se dit que le prof et l'élève, complices désormais, n'ont pas fini de sévir. Jubilatoire. A suivre... comme dirait Claude Garcia. Le jeune homme, visage d'ange, corps gracile et délicat incarne au premier abord la douceur et l'innocence. Mais parfois sur sa frimousse parfaite passe l'ombre cruelle de l'ironie. Le professeur, comme nous, se laisse prendre par cette apparence inoffensive. Et à un moment on ne sait plus qui du prof ou de l'élève manipule l'autre. Qui admire l'autre, qui le désire peut-être, ou l'idéalise ? Le professeur envie t'il son élève pour son talent, lui qui n'a réussi qu'à écrire un roman médiocre ? C'est un peu comme si Verlaine avait trouvé son Rimbaud et voulait le façonner comme il l'entend. Et les références pleuvent à chaque scène. Comment ne pas évoquer le Visiteur du Théorème de Pasolini puisque Claude parvient à tour de rôle, en fonction des exigences de son prof qui réclame un peu plus d'aspérités, d'obstacles, à séduire chaque membre de la famille très ordinaire de son copain ? D'abord le fils, Rapha, garçon quelconque, sans charme ni talent. Puis le père (Denis Ménochet, acteur impeccable et décidément "transformiste"), brave type fruste, bon père, bon mari quoique vaguement macho mais finalement fragile et harcelé dans son travail. Et la mère (Emmanuelle Seigner, insaisissable, lasse et troublante), la femme qui s'ennuie le plus sur terre et rêve de véranda, son Maison & Travaux continuellement à la main. Et Claude n'a qu'à paraître pour capter l'attention. Il trouble et ensorcelle avec un minimum d'effets (Ernst Umhauer est une révélation).
Jamais encore il ne m'avait été donné de ressentir cette impression qu'un film s'écrit au fur et à mesure qu'on le regarde alors que le scenario est une impressionnante mécanique de précision. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard si à un moment Germain et sa femme (Kristin Scott Thomas, sensationnelle en gérante d'une galerie d'art très spéciale, mais menacée de fermeture) vont au cinéma et s'arrêtent devant l'affiche de Match Point de Woody Allen. Leur couple d'intellos petits bourgeois, complice et finalement fragilisé ou mis à nu par l'intrusion de Claude, n'est pas sans rappeler celui que formait Woody Allen et Diane Keaton dans Meurtre mystérieux à Manhattan. On rit beaucoup à voir s'affronter leurs points de vue sur la vie, les êtres, l'art, le talent ou le génie. Et à observer leur hypocrisie aussi car le regard méprisant que porte le jeune homme sur la "famille ordinaire" reflète sans aucun doute leur propre opinion. Jusqu'où, sous prétexte de création, sont-ils capables d'aller pour que le récit de Claude devienne une oeuvre littéraire ? L'interprétation d'une oeuvre étant un des thèmes récurrent du film, notamment au travers de la galerie de la femme de Germain. On peut dire tout et n'importe quoi à propos d'une oeuvre, empiler des mot, s'extasier et parler d'art. La double apparition de Yolande Moreau en jumelles est un régal !
Et à la question "peut-on abandonner toute morale sous prétexte de génie ?". Fabrice Lucchini répond sans hésitation "bien sûr, sinon, on ne lit pas Céline." Et l'acteur débarrassé de la moindre emphase du show man dont il est capable (un régal pour moi qui suis fan par ailleurs) est parfait dans ce rôle idéal du prof de français hyper cultivé. En rien un rôle de composition, puisqu'il empoigne sans cesse dans ce film tous les ouvrages dont il nous parle depuis des années. Flaubert en priorité. Un film qui donne envie de lire et qui brasse un nombre incalculable de thèmes sans sombrer dans un salmigondis psychologisant. Efficace, jubilatoire, cruel, immoral, simple et complexe. Le meilleur Ozon ?
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Et n'oubliez pas que vous pouvez poser des questions à Denis Ménochet (formidable une fois encore ici), sur ce film mais pas uniquement bien sûr. Je vous laisse jusqu'à dimanche soir, le temps pour vous de voir le film.
Commentaires
Bien envie de le voir celui-là ... déjà à cause du sujet, bien sûr et puis je vois très bien Lucchini en prof de français un peu manipulateur ( je suis fan aussi de ses shows mais il est plus sobre dans les films, c'est bien aussi ! ) bref, je le sens très bien et en plus tu lui mets 4 étoiles, rien que ça !
Et moi c'est Ozon qui me tente. J'ai tout aimé tout ce que j'ai vu de lui, même si j'ai pas tout vu.
La Pyrénéenne : voilà, **** bien méritées et Lucchini dans tous ses états mais qui n'en fait pas trop.
Ed : pareil.
Demande au brave type frustRe quand il va se décider à jouer un vrai crevard. Merci.
Construction vertigineuse c'est exactement ça ! Le film m'a aussi beaucoup beaucoup plu.
Quant à Ernst Umhauer, pendant tout le film j'ai eu l'impression qu'il était le frère de Clémence Poésie... non ?
Fred : ce sera fait.
http://www.cnrtl.fr/lexicographie/fruste
Claire : ah non, il ne m'a pas évoqué Clémence.
j'ai adoré. On ne sait jamais qui manipule qui, on attend avec fébrilité la prochaine rédaction, on essaie de trouver la sortie qui ira bien. Et ce film donne envie de se replonger dans ses classiques. Parce qu'on a l'impression de ne pas les avoir bien lus la première fois, ni la seconde...ou bien est-ce l'effet Lucchini? Comme toi, j'ai souri en voyant l'affiche de Match Point...et ce jeune acteur ma foi, est pas mal.
Fichtre tu as aimé un film ?
Tu devrais être surprise non pas par le fait que j'ai aimé un film, mais que j'ai aimé le même que toi !!! Il y a des films que j'aime. Si. Fish Tank le meilleur. Je file voir Reality. Tschusss !!!
Il est vrai la nuance est subtile.
vu hier soir
j ai été un peu déroutée au début ... et puis je suis rentrée dedans - j ai bien aimé tous les acteurs chacun dans leur role plus vrai que nature - j ai découvert Denis mécochet et tt lelong du film j ai pensé à patrick dewaere ... rapha père et rapha fils - ils payent ces deux là - emmanuelle seignier m a agréablement surprise aussi
et luchini ah du grand luchini et ça fait du bien
la fin bof bof bon là je suis en train de t énerver grave
mais dans l ensemble j ai passé un agréable moment
Oui c'est surprenant car au début on se dit effectivement... comment va t'on pouvoir être surpris ? Et finalement on l'est.
Les deux rapha sont tordants, on dirait des siamois !
Quant à la fin, elle est bien belle je trouve.
Un très beau scénario et des acteurs au top ! Un beau film français, très équilibré du début à la fin (et c'est rare) ! Bravo à Denis (et aux autres)
:-) good girl