ALABAMA MONROE de Félix Van Groeningen ****
Didier entre dans le magasin de tatouages dont Elise est propriétaire et badaboum patatra, love at first sight.
Ces deux là sont faits l'un pour l'autre, se bouffer des yeux et ne plus se quitter du regard et du reste. Didier, grande carcasse chevelue et barbue, joue du banjo et chante dans un groupe de musique country. Il vit dans une caravane au milieu des poules, des cochons et des chevaux sur le terrain de sa grande baraque dont il repousse toujours la rénovation. Elise, brindille blonde fofolle, au corps décoré comme un paquet cadeau (en outre, elle se tatoue le prénom de chacun de ses amoureux et le fait recouvrir quand l'histoire est finie) n'a aucun mal à s'installer dans la caravane et à rejoindre le groupe de musiciens car elle a une voix superbe. De cet amour libre, fou, sex and rock and roll naît une petite Maybelle. Dès lors, la petite actrice Nell Catrysse, sa maman et son papa de cinéma, Veerle Baetens et Johan Heldenberg (sublimes tous les trois !) vont s'employer et réussir en 1 heure 52 à briser le coeur des spectateurs !
Si vous êtes allergiques au mélo et à la musique country : passez votre chemin.
Dans le cas contraire, courez voir ce film unique au monde car plus personne n'ose à ce point empoigner et réussir un grand mélo des familles, à vous broyer le coeur et à vous rincer de toutes vos larmes.
Félix Van Groeningen réalisateur flamand belge nous avait déjà bien secoué le cocotier en 2010 avec sa saisissante Merditude des choses, chronique humaniste du chomage et de l'alcoolisme à Trou-Duc-les-Oyes. Il récidive et nous terrasse cette fois avec une histoire familiale banale et profonde chez des marginaux sublimes, occupés uniquement à être heureux et à faire le bonheur autour d'eux. Mais comme le dit si bien Woody (au cas où vous ne liriez pas la petite pensée en exergue de ce blog) : "L'homme n'amène pas son propre malheur, et si nous souffrons, c'est par la volonté de Dieu, bien que je n'arrive pas à comprendre pourquoi il se croit obligé de tellement en remettre".
En effet, comme beaucoup de gens sur terre, Elise et Didier ne demandent rien à personne et surtout ne cherchent pas à faire de vague. Vivre heureux, pas forcément cachés puisqu'ils donnent des concerts, et vivre tout court. Aimer leur famille, leurs amis. Point. Mais la vie se charge de leur démontrer quelle pute elle est, à quel point elle donne l'impression que tout peut nous être offert puis repris sans sommation comme une punition en toute injustice. Elise et Didier ne vont effectivement rien comprendre quand le ciel va leur tomber sur la tête et qu'on leur apprend que leur Maybelle est malade (pour ne rien vous cacher : une leucémie avec auto-greffe, chambre stérile et greffe... histoire de bien rigoler !).
Heureusement, le réalisateur a construit son film en flash-backs nous permettant de souffler et de prendre de radieuses respirations musicales du temps où le bonheur et l'insouciance étaient encore d'actualité. Et la bande son qui illustre les événements est simplement sublime. Le style de musique jouée ici est le Bluegrass dont Didier et son groupe sont fans et virtuoses. Leur idole est Bill Monroe et le style associe harmonies vocales, instruments acoustiques (banjo, contrebasse, violon, guitare) et véritables morceaux de bravoure vocaux ou instrumentaux. Mais l'attirance, la passion de Didier pour l'Amérique, ce "pays de rêveurs", seront définitivement mises à mal lorsqu'il découvrira les discours catho-intégristes du dangereux texan. Et la déclaration plaidoyer anti religions de Didier lors d'un concert est un moment saisissant, extraordinaire dont chaque mot, d'une justesse et d'une intelligence folles résonne fortement.
Félix Van Groeningen est un réalisateur qui ne fait décidément pas les choses à moitié. Il donne à la Flandres des allures de Western, nous ravit et nous bouleverse avec cette histoire qui alterne délicatement les périodes d'ombre et de lumière. Et il y va franchement aussi bien dans le bonheur, l'amour est une bénédiction, un enchantement de tous les instants, que dans le malheur où l'inquiétude fait place à l'angoisse et au désastre. On sort de ce film charmé, ébloui, tansporté par la musique et l'énergie des personnages et anéanti par les sales tours que joue la vie et nous laissent inconsolables.
Mélo implacable porté par un trio d'acteurs naturels, évidents, harmonieux, inoubliables, Alabama Monroe est une surprise, un choc.
Commentaires
Je n'ai pas encore tout "encaissé", mais je passe pour dire que je suis à 99% d'accord avec toi. Le 1% restant concerne le discours de Didier qui, à mon avis, lui fait finalement plus de mal que de bien.
Je crois qu'au fond, le réalisateur nous laisse libre de ressentir le film avec nos propres sensibilités. C'est ça qui est beau.
Effectivement, duo d'acteurs parfait et une petite fille sensationnelle.
Et quelle musique !
Pour le discours, je crois qu'il m'a pris les mots de la bouche... donc il résonne très fort pour moi.
Oui, ce film, il faut l'encaisser !
J'aime bien la vielle country de bouseux des années de la grande dépression et tout ça, et vu tout le bien que la plupart des gens en disent, je crois que je vais me laisser tenter.
ça me paraît sage de ta part !
je veux le vooooooooooooir !!!!!!!!!!!!!!
Il le faut !
J'ai couru le voir hier soir et j'ai bien fait!
Un grand moment de cinéma porté par des acteurs épatants, une musique envoûtante, un montage savamment orchestré, et surtout beaucoup d'émotion(s) mais toujours avec justesse et subtilité. J'en ai le coeur tout tatoué! Waow!
Et ta critique est très réussie, Pascale, chapeau!
Merci Mon LouloupChou.
En parlant de Woody, la phrase du jour s'applique également au film : "Je ne sais pas si Dieu existe. Mais s'il existe, j'espère qu'il a une bonne excuse."
Ce film est très beau et très intense, simplement je l'ai trouvé un peu extrême par moments, notamment dans la scène de l'oiseau. J'ai été davantage émue lors de scènes finalement + sobres, comme l'enterrement de Maybelle. Comme le dit justement Martin dans son commentaire, le réalisateur nous laisse apprécier le film selon notre propre sensibilité. Et ça, c'est très fort
C'est vrai l'oiseau est too much mais le reste est un sans faute.
Très beau billet sur ce superbe film. Et je te rejoins pour le discours de Didier.
La religion, les religions font tellement de dégâts !