LA VÉNUS À LA FOURRURE de Roman Polanski ***
Journée pourrie pour Thomas et, seul dans un théâtre il se plaint au téléphone auprès de "sa moitié" d'avoir auditonné
de la gourdasse non stop pour le rôle principal de la pièce qu'il a adaptée et mettra en scène. Pas facile de trouver sa Vénus lorsque toutes les apprenties comédiennes qu'il reçoit ne sont pas fichues de prononcer un mot de trois syllabes sans devoir prendre des cours de diction ! Il est au bord du découragement voire du renoncement lorsque surgit Vanda. Elle se présente pour le rôle, elle est en retard, elle est dégoûlinante, trempée par une averse, elle mâche bruyamment un chewing-gum et comme elle a assisté sans qu'il s'en aperçoive au coup de fil de Thomas, elle s'adresse à lui comme les pires gourdes dont il se plaignait plus tôt. On comprend qu'elle n'avait pas rendez-vous mais grâce à son aplomb phénoménal Thomas agacé et perplexe consent à lui faire passer cette audition.
Stupeur et tremblements ! Vanda qui, ô coïncidence, porte le même prénom que le personnage de la pièce, se métamorphose en une comédienne plus que talentueuse, idéale pour le rôle. Rôle dont d'ailleurs elle connaît chaque réplique, qu'elle a analysé, compris. L'intérêt et la surprise de Thomas se mue rapidement en trouble puis en obsession.
Après un long travelling sur une allée parisienne pluvieuse au son d'une musique grotesque et mystérieuse on pénètre dans le théâtre pour ne plus en sortir. Entre temps Polanski aura joué avec nous et refermer sur nous un piège diabolique qu'on pressent mais qui surprend quand même. Les deux comédiens se donnent la réplique en improvisant une lecture d'une pièce pas très fameuse La Vénus à la fourrure de Leopold von Sacher-Masoch (qui donnera son nom au masochisme). Tour à tour maître et esclave, dominant puis dominé, sadique et masochiste, Vanda et Thomas échangent leurs rôles mais pas seulement. On ne sait pas toujours s'ils jouent, improvisent, disent leurs répliques ou expriment leurs véritables sentiments. Ce n'est pas réellement vertigineux mais suffisamment troublant pour qu'on s'y perde. Mais avec délice. Il faut dire que les deux acteurs/comédiens exultent et déploient un enthousiasme communicatif.
Puisque le réalisateur lui-même assure qu'il s'agit ici d'une comédie et rien d'autre (et c'est vrai qu'on rit beaucoup), je m'abstiendrai donc de toute psychanalyse de comptoir ou d'analyse tout court. Mais vous recommanderais vivement ce pur moment de bonheur où le jeu des acteurs est en première ligne derrière une mise en scène élégante et fluide.
Mathieu Amalric au physique étrangement "polanskien" ne surprend guère mais est beaucoup plus convaincant en metteur en scène caractériel et misogyne qu'en personnage dominé et rampant. Mais sa transformation en Trelkovsky est intéressante et plus que troublante. C'est Emmanuelle Seigner qui est la révélation ici. Nulle doute que ce rôle doit être LE rêve pour toute actrice. Elle y est changeante et multiple, très drôle et brusquement sérieuse, enfantine et perverse, un véritable caméléon. Elle passe sans transition, avec une évidence déconcertante de la fille vulgaire et bas de plafond, à l'aristocrate ambiguë et manipulatrice. Elle est vive, rayonnante, belle et très très drôle !
Quant à Roman Polanski, il est et demeure un des plus grands.