LA DANZA DE LA REALIDAD d'Alejandro Jodorowski ****
Synopsis : "M'étant séparé de mon moi illusoire, j'ai cherché désespérément un sentier et un sens pour la vie."
Cette phrase définit parfaitement le projet biographique d'Alexandro Jodorowsky : restituer l'incroyable aventure et quête que fut sa vie. Le film est un exercice d’autobiographie imaginaire. Né au Chili en 1929, dans la petite ville de Tocopilla, où le film a été tourné, Alejandro Jodorowsky fut confronté à une éducation très dure et violente, au sein d’une famille déracinée. Bien que les faits et les personnages soient réels, la fiction dépasse la réalité dans un univers poétique où le réalisateur réinvente sa famille et notamment le parcours de son père jusqu’à la rédemption, réconciliation d’un homme et de son enfance.
En sortant de la salle, après avoir ingurgité cette débauche d'images, de sons, d'idées, de thèmes, de personnages... une profusion de mots me venait en tête. Jamais depuis Fellini ou Kusturica (jusqu'à 2004...) il ne m'avait été offert de voir tant de folie baroque sur un écran. Et d'être emportée dans un torrent d'absurdité, de monstruosité et d'émotions.
La Danza... est un GRAND film unique et merveilleux, un tourbillon luxueux, abondant, débordant (qui m'oblige d'ailleurs à modifier mon Top 2013). A l'image de Tabou de Michel Gomes l'an dernier, objet cinématographique lui aussi éblouissant, une expérience, un voyage inoubliable ! Une psychanalyse libératrice, révélatrice, une catharsis pour le réalisateur à n'en pas douter. Une façon aussi, sûrement, à 84 ans alors qu'il n'avait pas touché de caméra depuis plus de 20 ans, de faire revivre ses parents, de les réunir une dernière fois, de revoir cette mère plantureuse, protectrice à l'amour contagieux et aussi de pardonner sans doute à ce père violent et énigmatique.
En évoquant la vie de sa famille réduite au minimum, le père, la mère, le réalisateur englobe l'histoire de son pays, mais aussi celle de ses origines. Né au Chili de parents émigrés russes ukrainiens réfugiés pour fuir les pogroms, différent parce que juif, il n'a cessé de se sentir rejeté par cette ville Tocopilla qu'il réhabilite ici en y tournant son film somme. Entre l'usine immense qui défigure le port, le bidonville tout proche et la coquette boutique de ses parents, Alejandro essaie de vivre son enfance surprotégée par une mère bigote et un peu magicienne qui ne s'exprime qu'en chantant et l'appelle "papa" tant son fils lui évoque son propre père (vous suivez ?) et son père, macho, communiste qui a honte de sa blondeur, de sa fragilité, de sa sensibilité et l'admoneste sans cesse. Le petit garçon est sensible, charmant, doux et généreux. Mais chacun de ses actes de bonté se transforme irrémédiablement en catastrophe. C'est par la violence et la brutalité que son père fera de lui un homme : lui "arrachant" sa chevelure trop féminine et lui faisant subir diverses épreuves traumatisantes (gifles, séance chez le dentiste sans anesthésie...). L'enfant accepte tout pour essayer de plaire à ce père impitoyable. Et la dureté du père n'est pas la seule qu'il ait à affronter. L'antisémitisme idiot de ses camarades de classe aussi, au point de vouloir mettre fin à ses jours. Et l'horreur d'une dictature qui jette, au sens littéral du terme, ses ouvriers estropiés, handicapés, infirmes, mutilés, à la poubelle. Les images sont fortes et dérangeantes bien que traitées sur le mode burlesque. Autre prouesse du réalisateur, transformer l'horreur en scènes de comédie.
Une seconde partie, moins virevoltante mais plus émouvante, suit le parcours du père décidé à assassiner le dictateur en place. Et là, l'acteur Brontis Jodorowski (fils du réalisateur) offre une interprétation bouleversante. Sa détermination laisse la place à l'incompréhension puis à la honte. Oui, un dictateur sanguinaire peut aussi être un homme capable de pleurer, d'émouvoir. C'est aussi un bouffon. Et ces observations anéantissent le bras vengeur. Et les scènes cauchemardesques, ridicules et fascinantes continuent de se succéder. Lors d'un concours de chiens absurde, un militant communiste se suicide en explosant de dégoût : "je ne peux plus vivre dans un pays où l'on déguise les chiens !" ; c'est drôle, pathétique, totalement absurde et bouleversant.
L'errance et la dégradation du père permettent en quelques moments fulgurants, des morceaux de bravoure, de traiter l'antisémitisme, le nazisme, la dictature et la torture (scènes à la limite du supportable).
Et tout ceci n'est qu'une infime partie de ce dont parle ce film foisonnant, prolifique et passionnant.
Une oeuvre de réconciliation et d'apaisement. Un choc, un coup au cœur foudroyant.
Commentaires
Merci pour cet article, c'est très intéressant
Un très beau film que cette Danza de la Realidad. J'ai en particulier beaucoup aimé la première moitié, avec cette enfance revue et fantastique, cette mère qui parle en chantant, tous les éléments qui forment le jeune homme.
J'ai été un peu moins captivé par la seconde partie centrée autour du père, mais l'ensemble est vraiment d'excellente facture. Jodorowsky a bien fait de ressortir sa caméra !
Oui incroyable film.
La deuxième partie m'a assez bouleversée moi.