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AU BORD DU MONDE de Claus Drexel ***

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Dans un Paris de carte postale, vide et idéal comme un décor de cinéma, s'élèvent  les notes majestueuses de l'ouverture d'un opéra de Wagner. C'est ce Paris rêvé, celui dont Woody Allen affirme : "Tant que vous n’avez pas été embrassé par un de ces pluvieux après-midi parisiens vous n’avez jamais été embrassé."

Et puis la caméra s'approche et révèle sur une bouche d'aération du métro, au pied de la grille d'un parc, sous un pont ou un parking... "un petit tas" comme le dit Souchon dans sa chanson au triste et terrible constat. Il s'agit de Jeni, Wenceslas, Christine, Pascal et les autres, les oubliés, les laisser-pour-comptes, ceux que l'on regroupe sous le terme à la fois rassurant et redoutable de S.D.F. Ils ont tout perdu, absolument TOUT. Leur famille, leur travail, leur logement, voire leur santé, et s'accrochent à l'espoir que l'on peut juger insensé étant donné l'état de précarité extrême dans laquelle ils se trouvent, de se relever un jour. Et la caméra délicate et bienveillante du réalisateur va pour un temps leur donner la parole. Il va réussir avec tact à les laisser s'exprimer et nous raconter leur histoire, terrible.

Et rarement Paris n'a semblé aussi beau et irréel au cinéma. On peut se demander d'ailleurs pourquoi tant de beauté, dans la lumière, les éclairages et les plans pour décrire cette misère au-delà des mots. Et justement, ce parti pris radical est audacieux et judicieux car après tout n'est-ce pas au milieu de toute cette beauté que ce quart-monde existe ? Et il n'est point besoin d'en ajouter dans le misérabilisme pour décrire cette sinistre réalité. La Tour Eiffel, l'Arc de Triomphe s'illuminent, l'Ecole Militaire et le Louvre resplendissent de leurs fastes, la Seine coule, s'agite, déborde et aux pieds de ces merveilles, des êtres humains abandonnés, qui résistent au fil des saisons et des intempéries en plus de leurs inimaginables problèmes quotidiens.

Christine ne nous épargne rien de son calvaire qui dure depuis 7 ans, la peur d'abord et puis le froid... mais il ne faut pas qu'elle mette trop de couvertures d'un coup, sinon elle n'aura plus de marge de manœuvre pour affronter l'hiver. Que faites-vous alors quand vous avez froid ,lui demande le réalisateur ? Je grelotte, répond-elle. Et puis elle parle de ses trois enfants, eux aussi à la rue, qu'elle ne consentira à revoir que lorsqu'elle aura un toit à elle.
Et Jeny juste devant l'Arc de Triomphe ? Elle délire non stop. Aucune pensée cohérente dans son discours, mais une succession d'images. Elle voit Blanche-Neige dans la forêt... avec D'Artagnan ! Et on ne peut s'empêcher de sourire.

Et il y en a bien d'autres, Pascal dans sa cabane dont il est si fier et à qui il ne manque que l'électricité pour se sentir vraiment chez lui. Mais il serait prêt à la détruire lui-même si on lui demandait de décamper s'il dérangeait les habitants du VIIème. Si content aussi d'avoir vu sa fille qui n'a pas eu honte de l'embrasser et de passer la journée avec lui. A qui il a donné rendez-vous en juillet : je l'emmènerai voir le feu d'artifice. Il boit du café avec ses amis, attend la visite du Samu social pour avoir ses médicaments. Et rien.

Un autre vit depuis 23 ans dans un squat. C'est presque luxueux comparé à l'indigence des autres. Mais la Municipalité vient justement de lui demander de le quitter. Que va t'il devenir ? Lui qui survit grâce à des hommes comme on n'en fait plus : L'Abbé Pierre et Coluche. Un autre vivait dans un foyer au prix abordable et accumulait les travaux intérimaires... jusqu'à ce que l'adresse du Foyer ne soit plus considérée comme une adresse fixe, condition indispensable pour travailler. Il a d'abord perdu ses revenus des intérims, puis son logement au foyer. Logique implacable d'une administration aberrante.

Et puis il y a Wenceslas... le plus surprenant, le plus incompréhensiblement "à la rue", même si évidemment le sort des "exemples" que nous présente Claus Drexel n'est supportable et justifiable pour aucun. D'une intelligence, d'une lucidité imparable sur ses conditions de survie, il semble aussi le plus actif face à sa détresse et son dénuement depuis quatre ans déjà. Chaque matin à 5 heures, il démonte sa tente et traverse Paris avec son caddie. Il se rend à l'entrée des magasins et récupère les surplus alimentaires, périmés qui lui permettront de vivre une journée et de partager avec ses copains de galère.

Au fil des quatre saisons, uniquement de nuit, on voit donc ces hommes et ces femmes survivre, subsister, résister. On a beau les voir, les écouter, les entendre, on a du mal à réaliser ce malheur, de dénuement absolus.

La dernière image ? Un choc qui nous laisse presqu'aussi hagard que le personnage qui clôt le film.

Commentaires

  • Je crois qu'il est programmé pour bientôt dans mes salles, je veux absolument le voir.

  • Il le faut. Film essentiel.

  • Cet excellent documentaire, je l'espère, permettra à ces exclus, enchainés à Paris comme des spectres, de toucher une rémunération qui leur permettra de courir les castings branchés de la capitale !!!

  • Ce serait surprenant qu'ils courent le casting...

  • Oui un film superbe, très dérangeant, entre les personnes si attachantes qu'on y rencontre, la dureté de leur condition, et le contraste avec la beauté de Paris la nuit, tout en lumières... Paris désert, aucun autre habitant. Comme si la ville leur "appartenait", à certaines heures...

  • Très impressionnant ce vide dans la ville d'ailleurs.

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