DANS LA COUR de Pierre Salvadori ****
Antoine est chanteur dans un groupe de rock. Un soir au lieu de monter sur scène, le public l'attend, les musiciens jouent l'intro du premier morceau pour la 10ème fois, Antoine prend sa valise, traverse la scène et s'en va.
Il quitte tout, sa vie, les autres et aussi sans doute un peu lui-même. Burn out total. Après quelques petits boulots dans lesquels il se montre particulièrement démotivant pour ses collègues, l'employée de Pôle Emploi lui suggère de se présenter pour le poste de gardien d'un immeuble parisien. Après avoir rencontré Serge et Mathilde, couple de co-propriétaires chargé du recrutement, Antoine obtient le poste. Serge demande à Mathilde : "pourquoi lui plutôt qu'un autre ?". Elle prononce alors cette phrase admirable et inoubliable qui donne un peu le ton au film et qui devrait inspirer tous ces gens tellement sûrs d'eux :
"Parce qu'il n'est pas sûr de lui. J'aime les gens pas sûrs d'eux, au moins ils s'appliquent".
Effectivement, il s'applique Antoine. Ménage, entretien de l'immeuble et de la cour, distribution du courrier, on dirait que ce métier était fait pour lui. Il s'amuse même à la nettoyer comme un enfant, à grands jets d'eau cette cour, centre névralgique d'un microcosme humain. Et le tuyau d'arrosage se fait tour à tour pistolet, épée, jouet. En plus de sa discrétion et de son efficacité, Antoine est un garçon pour qui le mot empathie semble avoir été inventé. Serviable, gentil, doux, compréhensif, à l'écoute des autres, il est incapable de dire "non" à qui que ce soit, quitte à se mettre en fâcheuses postures vis-à-vis d'autres. Est-ce pour avoir la paix, par maladresse ou timidité maladive ? Ou simplement parce qu'Antoine possède ces qualités rares, un peu dépassées, qu'il découvre peut-être lui-même en côtoyant ses semblables : la bonté, la gentillesse. Typiquement le genre de personne qui ne parle jamais d'elle et dont personne ne se doute à quel point elle va mal. Antoine s'évade dans des paradis artificiels accompagnés et encouragés par un jeune locataire, Stéphane (Pio Marmaï, formidable) qui a touché les étoiles de la notoriété un jour et sombre depuis dans une déprime vaporeuse et vit d'un commerce douteux et très drôle. Cet Antoine c'est Gustave Kervern, silhouette massive, voix douce, présence imposante, flegmatique et rassurante.
C'est avec Mathilde que le courant passera le mieux. Retraitée dynamique et surbookée, on a vite fait de comprendre que son hyperactivité associative cache un grand désarroi. De plus en plus insomniaque, épuisée à force de ne plus dormir, malgré la tendresse attentive de son mari, Mathilde perd peu à peu pied. Une fissure dans le mur de son appartement, expression visible de celle qui lui fendille l'âme et le cœur progressivement, finit par devenir une obsession, sa seule raison de s'intéresser à quoi que ce soit mais aussi source d'angoisse permanente. L'humeur, le moral, la raison de Mathilde se lézardent. Et elle en a parfaitement conscience car le dépressif ne devient ni idiot ni amnésique et réalise même que son état est préoccupant. L'entourage se sent dépassé forcément. Et Antoine, croyant bien faire, confronte Mathilde à son enfance et c'est la catastrophe...
Mathilde dira : "Le matin je me réveille et j'ai peur. Le soir ça va un peu mieux et j'ai honte".
Et Mathilde c'est Catherine Deneuve. La grande, l'immense Catherine, toujours tellement adroite et intelligente dans le choix de ses rôles. La plus grande actrice française de tous les temps (selon moi). Et son visage est le paysage mouvant de la maladie qui la ronge. Sa mélancolie nerveuse et inquiète se transforme en anxiété puis en angoisse. Son regard passe de la douceur, à l'étonnement puis à l'effroi total. Son interprétation sur le fil du rasoir est troublante et déchirante. Sans parler de sa voix unique et son débit sans pareil qui la rendent unique.
Le film est anxieux, anxiogène, angoissant parfois pour qui a connu le supplice de la dépression et cette sensation de chute inéluctable dans un grand trou noir qui vous aspire. Et l'on sent, on sait même après l'avoir entendu, que Pierre Salvadori (dont le second prénom est Antoine comme par hasard...) sait parfaitement de quoi il parle. Et en effet, jamais on a évoqué et si bien parlé de la dépression dans un film, si ce n'est dans Melancholia mais il y avait l'aspect fantastique de l'histoire qui n'existe pas ici et la rend forcément plus réaliste et bouleversante.
Commentaires
Pour qui a connu les vertiges de la dépression, le film est également à hurler de rire !
J'ai souri mais sûrement pas hurler de rire.
J'ai hurlé
Rapport à la flasticité de mon âme
Oui mais bon, ça n'en fait pas un film comique pour autant !
Si tu le dis
Oui je le dis, t'as vu ?
j'ai beaucoup aimé ce film, j'en parle aussi. tendre, poétique et mélancolique comme les apprentis, un film que j'adore, où Cluzet jouait déjà le rôle d'un dépressif.
J'ai eu la chance d'assister au cocktail de lancement, et les acteurs étaient là ! J'ai passé ma soirée à 2 mètres de la grande Catherine, subjuguée, sans oser lui parler !
"il est incapable de dire "non" ... Est-ce pour avoir la paix, par maladresse ou timidité maladive ? Ou simplement parce qu'Antoine possède ces qualités rares, un peu dépassées : la bonté, la gentillesse. Typiquement le genre de personne qui ne parle jamais d'elle et dont personne ne se doute à quel point elle va mal." : c'est tout à fait ça !
ah j'aimerais tant la voir. Mais je crois que je serais pétrifiée.
elle est exceptionnelle. Elle me fascine.
j'ai beaucoup aimé ce film, mais il m'a vraiment mise mal à l'aise, à aucun moment, personne ne lui demande comment il va lui et ça m'a décontenancée, et surtout, on sent dès le départ comment ça va finir. Je ne connaissais pas ce Gustave Kervern et je suis bien contente de cette découverte. Deneuve est juste, toujours juste, elle est parfaite. Et comme d'habitude…j'ai trouvé le film beaucoup trop long !!!
Oui ça met mal à l'aise.
Et oui, souvent on ne s'inquiète pas de savoir comment vont les gens gentils alors que les envahissants...