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14 FÉVRIER 2015 - SAINT VALENTIN

Tu m'aurais sans doute offert des fleurs hier, ou tu m'en aurais offert demain. Tu détestais les fêtes imposées à des seules fins commerciales. 

Comme j'ai bien fait de te prendre en photo des milliers de fois ! Tu ne comprenais pas toujours que j'aie constamment l'appareil à la main mais tu n'as jamais rechigné. Tu n'étais pas du genre à scruter ton image et à dire "efface" ! 

Je sais aujourd'hui pourquoi j'ai pris tant de photos de toi. Toutes ces dernières fois immortalisées, j'en ai besoin à présent.

Voilà. La dernière fois que tu m'as offert des fleurs, c'était le 28 mars 2014. Je n'avais pas remarqué que tu t'étais absenté dans le jardin et tu es revenu tout fier et content de me surprendre. Tu n'allais pas trop mal. On ne savait pas qu'il ne te restait que deux mois et quelques jours à vivre.

Et là, j'ai tout essayé pour mettre cette photo que je vois à l'endroit dans mon album mais que mon blog s'obstine à mettre ainsi. Penchez donc la tête :-)

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Je regarde des photos de toi et j'arrose le bureau de mes pleurs. Et parfois, j'ai besoin absolument d'entendre ta voix. J'ai les vidéos pour ça. C'est insoutenable mais je ris pourtant derrière mon rideau de larmes.

Je ne sais comment ce masochisme s'est imposé à moi. Mais pleurer avec toi, sur toi, à cause de toi fait partie de mon quotidien. Je ne sais si j'irai "te voir" aujourd'hui au cimetière pour confirmer cette idée que je n'ai pas encore absolument et totalement intégrée :

plus jamais je ne te reverrai.

Tant de films, de livres, de chansons parlent de nous, me parlent de toi.

Alors j'ai voulu voir The face of love qui est sorti en salle l'année dernière mais pas ici et dont le pitch m'avait interpellée : Nikki est veuve. Un jour, elle tombe sur le double parfait de son mari défunt. Envahie par son trouble, elle décide de le séduire...

Evidemment, sans Annette Bening et Ed Harris si beaux, si romantiques, si complices (et ce pauvre Robin Williams qui se débat dans un rôle inexistant) le film ne vaudrait sans doute pas grand chose. Mais ils ont le professionnalisme de donner l'impression de croire à leur histoire. Et moi donc...

Je n'aurais sans doute pas pleuré si tu étais encore là, mais quel rêve ce serait de te rencontrer à nouveau, même si c'était pour te perdre une seconde fois ! Mais au moins je pourrais te dire et te redire quel bonheur tu m'as donné, quelle chance ce fut de te rencontrer, de passer 22 années avec toi, te remercier de m'avoir protégée, rassurée même si aujourd'hui... et que tu partes en sachant, mais tu le sais, que je t'aime, que je t'aime toujours, que je t'aimerai toujours et que j'ai vraiment la sensation de t'aimer de plus en plus. Et ça c'est une sensation extraordinaire, aussi puissante et vivace que le manque qu'elle induit.

J'aime ces photos de nous :

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Peut-être deviens-je bêtement sentimentale mais entendre des chansons d'amour me rend triste et sereine. Je suis constamment d'ailleurs assaillie par des sensations et des sentiments contradictoires. Comment peut-on apprécier être triste ?

Les chansons qui m'accompagnent me font pleurer des rivières et dont je ne me lasse pas, il y a celle de Benjamin, indispensable, ici dans une version exceptionnelle, celle de Véronique, celle de Mylène et celle de Benjamin (l'autre).

Bizarrement je suis aujourd'hui incapable d'écouter Arno, Lou Doillon que tu aimais tant et qui tournaient en boucle dans ta voiture.

Des textes j'en découvre aussi. Et je m'aperçois que vivre cette chose étrange qu'est le deuil n'est pas aussi unique que ça. Unique dans le sens où je suis stupéfaite de découvrir que dans cette expérience hors du commun lorsqu'il s'agit d'avoir perdu l'amour de sa vie (car il y a bien d'autres deuils qui se vivent différemment) les sensations éprouvées, les choses que l'on fait, que l'on dit se ressemblent étrangement. Grâce à Cuné, j'ai lu Quand tout est déjà arrivé de Julian Barnes, et plus particulièrement la nouvelle La perte de profondeur où il évoque la perte de sa femme adorée.
En voici des extraits :

"Vous réunissez deux êtres qui n'ont encore jamais été mis ensemble... Parfois cela marche, et quelque chose de nouveau est créé, et le monde est changé. Puis, à un moment ou un autre, tôt ou tard, pour telle ou telle raison, l'un des deux est emporté. Et ce qui est retiré est plus grand que la somme de ce qui était réuni. Ce n'est peut-être pas mathématiquement possible, mais ça l'est en termes de sentiment et d'émotion.

...

Nous avons vécu ensemble... Le cœur de ma vie, la vie de mon cœur... Je songeais sans déplaisir au reste de notre vie ensemble : choses devenant plus lentes et plus calmes, remémoration en commun du passé. Je pouvais m'imaginer prenant soin d'elle... Au lieu de tout cela, d'un été à l'autre, ce fut l'inquiétude, l'anxiété, la peur, la terreur. Trente-sept jours entre le diagnostic et la mort. J'ai essayé de ne jamais détourner les yeux, de toujours regarder la réalité en face ; et une sorte de folle lucidité en a résulté. Souvent, quand je sortais le soir de l'hôpital, c'était du ressentiment que m'inspirait la vue des gens dans les bus qui rentraient simplement chez eux après une journée de travail. Comment pouvaient-ils être si placides et ignorants, ne montrant que des profils plein d'indifférence, quand le monde était sur le point d'être changé ?

...

Le chagrin devient inimaginable : pas seulement sa durée et sa profondeur, mais sa tonalité et sa texture, ses mirages et ses fausses aubes, ses rechutes. Et déjà le choc initial...

...

Je savais pourtant déjà que seuls les vieux mots conviendraient : mort, chagrin, peine, tristesse, affliction - plutôt que des formulations évasises ou médicalisantes d'aujourd'hui. Le chagrin est une affection humaine, non médicale et, s'il y a des pilules pour nous aider à l'oublier -avec tout le reste-, il n'y a pas de pilules pour le guérir. Les afligés ne sont pas déprimés, ils ne sont qu'à juste titre et mathématiquement ("la souffrance est exactement proportionnelle à la valeur de ce qu'on a perdu") tristes.

...

Je ne crois pas que je la reverrai jamais. Plus jamais je ne la verrai, l'entendrai, la toucherai, l'étreindrai, l'écouterai, ni ne rirai avec elle ; plus jamais je n'attendrai le bruit de ses pas, ne sourirai en entendant une porte s'ouvrir, ne joindrai étroitement mon corps au sien, le sien au mien. Je ne crois pas non plus que nous nous retrouverons sous quelque forme dématérialisée. Je crois que ce qui est mort est bien mort.

...

C'est un fait que je pense encore à Sara chaque jour de ma vie et presque chaque heure du jour. Chaque fois que je vois une chose qu'elle aurait aimée, je me prends à vouloir l'acquérir et la lui porter, et je pense constamment à des choses à lui dire.

C'est ce que ne comprennent pas ceux qui n'ont pas franchi le tropique du chagrin : le fait que quelqu'un est mort peut signifier qu'il n'est pas en vie, mais ne signifie pas qu'il n'existe pas. Je lui parle donc constamment. Cela me semble aussi normal que nécessaire. Je commente ce que je suis en train de faire (ou ce que j'ai fait au cours de la journée) ; je lui fais remarquer des choses en conduisant ; je formule ses réponses. Je maintiens en vie notre langage privé perdu. Je la taquine et elle me taquine ; nous connaissons les répliques par cœur. Sa voix m'apaise et me donne du courage. Je regarde une petite photo sur mon bureau où elle a une expression légèrement perplexe, et je réponds à sa perplexité, quelle que puisse en être la cause... Le paradoxe du chagrin : si j'ai survécu à ce qui est déjà quatre années de son absence, c'est parce que j'ai eu quatre années de sa présence. Et son active perpétuation dément mon assertion pessimiste antérieure : le chagrin peut, après tout, à certains égards, se révéler être un espace moral."

Un autre extrait trouvé aussi chez Cuné (L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir – Rosa Montero)

"...c’est bizarre cette histoire de deuil. Surtout, je suppose, dans les deuils prématurés, dans les morts qui n’auraient pas dû se produire déjà. Et c’est bizarre parce que, malgré le temps qui passe, lorsqu’elle se met à faire mal, la douleur de la perte vous semble toujours aussi intense. Bien sûr, vous allez de mieux en mieux, beaucoup mieux; la douleur éclate en vous moins fréquemment et vous pouvez vous souvenir de votre mort sans souffrir. Mais quand la peine surgit, et vous ne savez pas très bien pourquoi elle le fait, c’est la même lacération, la même braise. Moi, en tout cas, c’est ce qui m’arrive, et ça fait déjà trois ans. Peut-être qu’avec plus de temps la morsure s’atténue, ou peut-être pas. Cette chose-là, personne n’en parle. C’est peut-être un de ces secrets que tout le monde connaît, comme celui de la #FaiblesseDesHommes. Peut-être que nous, les proches, nous avons l’impression d’être bizarres et de très mauvais proches parce que nous continuons d’éprouver la même douleur aigüe après tout ce temps. Peut-être que ça nous fait honte et que nous pensons que nous n’avons pas su « nous rétablir ». Mais, je le répète, la guérison n’existe pas : ce n’est pas possible de redevenir qui vous étiez. La réinvention existe, et ce n’est pas une mauvaise chose. Au bout du compte, maintenant, vous en savez plus".

Et enfin, Exercices de la perteAgata Tuszynska : "Quelle leçon dois-je tirer de la cruauté avec laquelle ont été détruites la vie et la santé de H. ? Je ne consens pas au happy end. Il n’y en a pas. Il n’y en a pas."

Oui je sais, c'est un peu long, vous n'irez peut-être pas jusqu'au bout, mais ces mots que je lis, écrits par d'autres, reflètent exactement ma pensée, mon quotidien, mon état d'esprit. Et je trouve ça vraiment incroyable. Comme s'il n'y avait pas d'autres façons de survivre à ce manque !
 

Commentaires

  • C'est ce qui fait la force de la littérature. Lire ce que l'on ressent, ce qu'on aimerait pouvoir dire, mais sans avoir les mots. Les lire, les ressentir, les répéter, ces mots, a une vertu cathartique, (j'ai toujours bien aimé ce mot, même si selon une des définitions trouvées, cela veut dire qui aide à trouver une solution, car une solution, tu n'en trouveras pas) et parfois apaisante, même si cela fait jaillir les larmes. Non, le deuil est unique, ce sont les mots qui sont universels. le premier extrait que tu cites est celui que je trouve le plus beau.
    Je te le redis, d'ailleurs, vous êtes très beaux sur ces photos.

  • Oui et c'est le premier paragraphe de la nouvelle.
    Je m'y suis totalement retrouvée.
    Quand on s'est vus, on a su qu'il se passait quelque chose :-)

    On était bien, j'adore NOUS voir.
    Mais je trouve que j'ai déjà l'air triste sur celle du milieu où il a les yeux fermés.
    Quand Carole est venue la dernière fois, je lui ai imposé de voir des photos... Et elle n'a fait qu'un commentaire : "y'en a de l'amour dans ces photos". C'est pas pour me vanter, mais c'est vrai. Pas une où on n'est pas accrochés.
    ça m'a fait du bien qu'elle dise ça.

  • J'aime particulièrement : "...ce qui est retiré est plus grand que la somme de ce qui était réuni." Et c'est vrai, j'ai parfois dit qu'il me manquait à présent la meilleure partie de moi à présent. Mais non, je ne suis pas une mauvaise personne. Ce qui manque et qui est plus grand que nous deux réunis, c'est de partager l'amour. Avec lui. ça n'arrive qu'une fois et je l'ai vécu. Je m'accroche à ça.

  • Je n'avais pas vu ta note.
    J'ai tout lu, c'est bouleversant et effrayant aussi. T'as encore manqué de me faire chialer.
    Comment ce qui fait tant de bien, qui apporte quotidiennement du bonheur peut démesurément laisser ce sentiment ? Oui c'est à la hauteur de ce que vous avez vécu, ce VRAI bonheur est parti bien trop tôt, injustement, cruellement.
    L'amour que vous aviez est suffisamment puissant pour nous donner envie de sourire tous les jours malgré l'absence de Mouche.
    Peu de gens vivent tout cela, je n'oublierai jamais, tous les jours je pense à vous deux parce que c'est stupide mais j'ai peur d'oublier des détails (heureusement les videos, les photos sont là et MERCI).
    Mais putain ce que c'est triste, injuste cette fatalité, c'est ça qui pour moi est effrayant : cette souffrance face à la perte.
    Après la beauté de cet amour est pour moi unique au monde, je suis heureuse de l'avoir vu de mes propres aux yeux .
    Et ces photos sont géniales comme vous.

  • Je suis contente aussi que des témoins en chair, en os et en cœur aient vu que c'était du vrai du vrai, palpable et quotidien.
    Heureusement qu'il y a des preuves que ça a existé parce que parfois j'arrive à douter et je me dis que je rends ça trop beau, alors que ça l'était.
    Je l'aime d'amour, pour toujours.

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