LA TÊTE HAUTE d'Emmanuelle Bercot *****
"L'éducation est un droit fondamental. Il doit être assuré par la famille et si elle n'y parvient pas, il revient à la société de l'assumer..." Cette phrase, l'hypersensible Emmanuelle Bercot l'a lue dans le livre d'un juge et elle résume tout à fait le sujet de son film. Le parcours éducatif de Malony de 6 à 18 ans, qu'une juge pour enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver de la dégringolade.
La première scène, terrible est quasi insoutenable. Un petit garçon de 6 ans, Malony, joue tranquillement par terre avec des lego tandis qu'autour de lui des adultes dans le bureau d'une juge, s'agitent et scellent son sort. Un bébé hurle dans les bras de la mère de Malony. La mère crie, pleure, gueule. La juge tente de ramener le calme. Les yeux du petit, à la fois calme et épouvanté, expriment l'incompréhension totale. Et puis la mère tranche : "ce gosse, c'est un boulet pour tout le monde, je vous le laisse". Elle colle un sac plein des affaires de l'enfant sur le bureau, sort et ne revient pas. Stupeur de la juge et de sa greffière qui note que le sac était prêt et que donc l'intention de la mère était claire avant même d'entrer dans le bureau.
En quelques minutes, la réalisatrice donne le ton. Le combat sera rude entre la famille de Malony qui se limite à une mère trop jeune, totalement inconséquente et irresponsable, droguée, alcoolique à ses heures, et la justice, et les services sociaux qui luttent aussi pour "élever" Malony, maintenir le lien, lui éviter la prison.
Ellipse. Et l'on retrouve Malony 10 ans plus tard, délinquant, déscolarisé, boule de haine et de rage impossible à maîtriser. Et la même juge au même poste, et un nouvel éducateur, Yann, l'ancien s'est effondré en larmes et a renoncé à s'occuper de Malony totalement ingérable. A peu près tout ce qu'un gosse de cet âge peut faire, Malony l'a fait : vol de voitures, et par conséquent conduite sans permis, agression de profs, destruction du matériel de classe, absences injustifiés... Tout ce que Malony fait est stupide et totalement irraisonné. Mais en creusant pas trop profond, on comprend que l'abandon originel est la cause de tout ça. Que son agressivité, sa violence, ses attaques sont sa façon de croire qu'il maîtrise les situations et que son refus de s'attacher à quiconque et de céder, de s'abandonner ne sont que le reflet de sa peur d'être abandonné à nouveau.
Ce qu'il faut de patience, de douceur, de bienveillance, de compassion et de foi en leurs missions pour qu'une juge et un éducateur continuent de s'intéresser à une telle teigne, de s'y attacher même au point de vouloir le sauver parfois malgré lui. Mais Malony va toujours un peu plus loin. On croit que la réalisatrice va lui accorder enfin une trêve, mais non, dès qu'une embellie se profile, elle en remet une couche. Ce n'est pas du sadisme, c'est juste parfaitement réaliste. Il n'y a qu'au cinéma qu'un tel loustic s'en sortirait par l'opération du saint Esprit ou d'un coup de baguette magique. Emmanuelle Bercot va loin dans le réalisme.
Pourtant Malony fait de belles rencontres. Une jeune fille plus protégée que lui à qui on aurait envie de dire "fuis, loin de ce garçon !" mais qui insistera, résistera, par amour. Et un éducateur dont on comprendra peu à peu que le parcours de Malony fut le sien jadis. Et cette juge exemplaire, l'empathie personnifiée qui ne baisse jamais les bras.
Emmanuelle Bercot, déjà très impressionnante réalisatrice d'Elle s'en va et scénariste de Polisse poursuit son chemin impeccable avec ce cinéma qui me touche. On suit La Tête haute le cœur battant, rempli d'angoisse et plein d'espoir. Et on est à genoux devant la perfection du casting et une direction d'acteurs inattaquable.
On a l'impression que Catherine Deneuve a été Juge pour enfants dans une autre vie tant elle impose dès la première scène sa douce, juste mais ferme autorité, son énergie, sa conviction, sa patience aussi.
Il y avait une éternité que Benoît Magimel n'avait pas été aussi touchant et intense. Comme si Emmanuelle Bercot avait compris qu'il valait mieux que ces rôles à transformation physique qu'il a accumulés ces dernières années le rendant plus ridicule que convaincant. Il est ici d'une beauté, d'une force et d'une fragilité impressionnantes. Et ce rôle d'éducateur lui va à merveille.
Sara Forestier endosse le rôle peu séduisant de la mère qui aime ses enfants mais se montre incapable de les élever. Pourtant, sans être réellement sympathique, elle est touchante et on n'ose imaginer le parcours chaotique qui a dû être celui de son personnage. Si la pertinence de son innommable dentier ne saute pas aux yeux, elle est comme toujours très impliquée dans son interprétation.
Quant au petit prodige Rod Paradot dont on peut mesurer la performance ébouriffante puisqu'il est paraît-il dans la vraie vie, un garçon calme et charmeur, il est la révélation du film qu'il porte de façon enragée au risque de mettre parfois le spectateur mal à l'aise. On aurait envie de lui dire de poser un peu sa souffrance et sa fureur pour nous laisser souffler nous aussi.
De purs instants de grâce parcourent le film : une main tendue par delà un bureau, une carte postale aussi touchante que de mauvais goût, un je t'aime lâché au moment où on s'y attend le moins, quelques regards échangés, complices entre la Juge et le garçon et cette dernière image porteuse à la fois d'espoir et d'inquiétude...
Commentaires
Chère Pascale,
Je suis fidèle à ton site depuis tant d'années que tu m'es un peu familière et que j'ai presque l'impression de te connaître dans la vraie vie.
Il n'est de jour où je ne consulte celui-ci pour ne surtout pas manquer la moindre de tes critiques, et de préférence sans délai encore.
Comme beaucoup d'autres ici, je me délecte d'ailleurs tout particulièrement de celles où tu dynamites, tu disperses, tu ventiles.
Parfois j'adhère sans restriction à ton avis, comme c'est le cas pour celui-ci, bien souvent cependant j'en ai un plus ou moins divergent, voire même, plus rarement, diamétralement opposé.
Mais là n'est pas l'essentiel.
Le plus important, c'est mon plaisir à lire tes critiques, car je me délecte autant de ton style que de ton humour, de tes goûts marqués et opinions tranchées que de ta subjectivité assumée.
Je profite donc d'un film effectivement exceptionnel, et surtout exceptionnellement bon, que j'ai eu le plaisir de découvrir cet après-midi même et que tu as bien sûr gratifié de l'avis qu'il méritait, pour t'exprimer ma reconnaissance de nous faire partager ainsi ta passion pour le cinéma avec autant de persévérance, de simplicité et de talent (même que bien des professionnels de la profession devraient en prendre de la graine).
Bien amicalement.
Ooooh une star fidèle de ce blog, j'en reviens pas !
Salut Achille, je suis rouge de confusion.
Merci d'avoir compris le "fonctionnement" de ce blog : passion, subjectivité et simplicité :-)
Et reviens quand tu veux : J'ADORE les compliments !
Chère Pascale,
Je suis entièrement d'accord avec Achille (Talon).
Merci pour tes critiques, qui me donnent souvent envie (ou pas) d'aller au cinéma.
Bonne continuation !
Karine
Donner envie d'avoir envie,
c'est l'un de mes buts et ma récompense :-)
C'est dur de passer derrière Achille, qui a dit au mot près, tout ce que je pense moi-même depuis longtemps. J'hésite beaucoup à aller voir ce film (j'ai trop traîné dans le milieu médico-social qui me ressort par les yeux), mais je suis tentée quand même.
Ce serait dommage de le louper mais je comprends ta réticence.
Et les services sociaux sont très présents dans le film.
Et merci des compliments sous-jacents :-)
Moi ce qui m'épate chez toi, c'est le nombre de livres lus,
et le nombre de fidèles qui te suivent.
Merci, Pascale, tu viens de renforcer mon envie d'aller le voir.
Ce sera le week-end prochain ou le suivant, je pense.
Moi j'ai envie de le REvoir déjà.
Vu hier soir donc. Oui très bon film sur un sujet que j'ai approché de près naguère comme adjoint aux social impacté par une certaine famille bancale dont un des fils ressemblait pas mal à Malony question intelligence et violence. Le film est très juste, les acteurs sont excellents... Un tout petit bémol sur la rédemption un peu rapide à la fin ...
Hier matin, sur France-Inter, Laurent Delmas a fait l'éloge du film "l'ombre des femmes" de Philippe Garrel présenté en ouverture de la quinzaine des réalisateurs. Film de Garrel que j'ai trouvé absolument vieillot et ringard. Une histoire d'adultère "déjà-vu-all-over-again" et en plus il a balayé d'un revers de micro les cinq premiers films en compète dont celui-ci sans même les citer. Je crois que Delmas est snob.
Non c'est moche mais c'est obligatoire.
Tu expliquais sur ce qui se passait sur la dernière image !
Pas malin !
Oh ben évidemment, je sais pas si je t'ai jamais entendu être content sans restriction d'un film.
La rédemption n'est pas gagnée je trouve et moi elle me fait un peu/beaucoup flipper la dernière image.
Et j'ai supprimé la fin de ta phrase (désolée) qui spoilait un peu trop.
Ben c'est ça le cinéma : les avis sont partagés souvent.
Delmas est péremptoire.
Il a massacré le Van Sant (sifflé on ze Croisette) alors que ce matin notre Eva disait que le film n'avait rien d'indigne et qu'un "petit" Van Sant serait toujours pas mal quand même.
Et puis il y a Matthew... alors j'ira !
C'est bête je vois pas quelle phrase. Quand même la censure, c'est pas beau !!
Moi je vais pas lire tout ça car ça sent trop le spoil.
Et quand ça sent le poil, je vais voir le film, et APRÈS seulement APRÈS, je viendrai lire ton bousin.
Je t'embrasse.
Jojo (sans talons)
Y'a plus de spoil dans les comms que dans mon texte je trouve.
Mais reviens après vite fait !
Hummm, je ne sais pas si je vais voir ce film.......
Des gens comme ça je connais malheureusement a chier.... et se très rarement Happy end avec eux et surtout pour eux.....….
De fois je pense que les parents irresponsables on le doit fusilier sur le place de Trocadéro en titre de exemple ou les pendre sur la tour de Eifel et leur corps jeter au chiens……
PS : Pascale je penser à toi !!!!!!! Je vais t’envoyer photo sur ton gmail....
ahah ah j'ai reçu tes photos.
J'ai compris pourquoi tu as pensé à moi :-) C'est gentil.
Mais je n'ai pas compris la deuxième photo.
Pour le film... Je crois que la mère aussi a besoin d'aide.
Mais ne va pas le voir, car la dernière image va t'énerver.
Moi aussi parfois j'ai envie de pendre les gens par les pieds (voire pire...) et de les jeter aux chiens... mais pas ceux qui souffrent, ceux qui me FONT CHIER !
Mais tuer les gens, c'est INTERDIT !
Désoler, deuxième photo je voudrai te envoyer photos de Brad Pit et Rayan Goslin a poil, nue quoi….avec leur qqete en air……., mais je me tromper pédant le téléchargement.zut alors........:-)
Leur quéquête en l'air ou à l'air ???
Ce n'est pas pareil !
Vu hier soir, enfin, . Quelle baffe. Je suis d'accord avec tout, le casting et leur direction est impeccable, le dentier de Sara Forestier est atroce et exagéré (les cheveux gras jamais lavés pendant la durée du film auraient suffi), Catherine Deneuve est imposante, Benoit Magimel est beau et touchant, Rod Paradot est un acteur-né que la caméra aime. Je suis moins sûre de la portée de la dernière image, j'ai décidé qu'il fallait y voir du positif.
Oui incroyable ce film.
Emmanuelle Bercot, je l'aime d'amour... et j'ai pas osé aller lui parler à Beaune. J'suis trop timide.
Rod est époustouflant mais que lui faire faire à présent ?
La dernière image est positive mais elle me fait peur... C'est pas si simple...
Que lui faire faire ? Je me suis posée la même question hier soir. Rien d'aussi grandiose, en tout cas pas tout de suite. Mais ça viendra.
Je me souviens avoir été épatée par Vincent Rottiers il y a quelques années, dans Mon Ange. Il a fallu un peu de temps avant qu'il ne refasse quelque chose d'intéressant.
Je comprends ce que la dernière image peut avoir d'effrayant, mais en même temps, c'est seulement une possibilité, et je n'ai pas envie de finir en pensant que cette famille est condamnée de génération en génération pour toujours.
Moi aussi je me dis que ce qu'il a vécu il ne va pas le répéter...
Oui Vincent Rottiers, excellent exemple.
Contrairement à Johan Libereau par exemple, totalement égarés.
Et bien voilà, j'en sors! Donc ce n'est absolument pas caricatural, c'est aussi vrai que nature! La première scène, je me suis crue à mon boulot!
J'ai beaucoup aimé et j'ai parfois versé ma larmichette.
La dernière image, je ne sais qu'en penser, ces personnes à vif, si fragiles, sans repère, sans sécurité affective, qui avancent sur des sables mouvants émotionnels sont tellement capables du pire et du meilleur... (plus souvent le pire que le meilleur, mais parfois... un miracle opère!)
Moi aussi j'ai envie d'y croire surtout que si nous on n'y croit pas, comment eux peuvent-ils y croire? (c'est ma phrase favorite, quand mes collègues baissent les bras et leur fameux : là, on y arrivera pas!).
Emmanuelle Bercot est GRANDE, elle ne fait pas n'importe quoi.
Disons que pour Malony le miracle va opérer :-)
Excellente critique. Tu ne vas pas me croire mais sur ce film je suis 100% d'accord avec toi. Si.
Non je ne te crois pas :-)
Je suis totalement bluffé... Du cinéma comme je n en attendait plus... J'ai eu tord il faut toujours y croire et faire preuve de persévérance... Comme dans le film
Un GRAND film.
Vu et beaucoup aimé aussi!
Catherine fait admirablement bien le job, on retrouve enfin un Benoît convaincant et habité par son rôle, Sara se défend très bien malgré son dentier (vraiment de trop) et ses tenues pas glamour (mais serait-elle un jour crédible en femme classe? J'ai un gros doute), et le jeune Rod est épatant de rage et de justesse.
La mère de Malony est typiquement le genre de personne qui ne devrait pas avoir le droit de faire des gosses. Les horreurs qu'elle balance à son môme, son irresponsabilité permanente, son rejet affiché m'ont mis les nerfs à vif!
Pour ce qui est de la fin, un peu sceptique aussi. Une copine m'a dit que c'était justement ce qui allait le sauver. Espérons.
Je reviens j'ai un rencard !
Ah quand même tu l'as vu !
Interprétation PARFAITE (malgré le dentier non justifié de Sarah... quoique c'est pour nous dire aussi que les "pauvres" peuvent pas se payer de soins dentaires).
Ne pas avoir le droit de faire des enfants !!! Tu m'as bien fait rire. Moi qui te croyais modéré.
Et la fin... rêvons un peu !
:-)