VALLEY OF LOVE
de Guillaume Nicloux ****
Michaël a convoqué ses parents Gérard et Isabelle, séparés depuis de longues années, dans la Vallée de la Mort en Californie. Isabelle bouleversée et impatiente, Gérard sceptique et incrédule se rendent à cet étrange rendez-vous.
Etrange car Michaël est mort, il s'est suicidé 8 mois plus tôt et dans ces lettres posthumes il assure à ses parents qu'en restant ensemble une semaine, en suivant l'itinéraire qu'il leur a préparé, ils pourront le revoir quelques instants. Il leur en fait la promesse.
Comment parler du deuil, d'une perte irrémédiable, d'un chagrin inconsolable, d'un "besoin de consolation impossible à rassasier" sans répéter ce qu'on a déjà vu mille fois au cinéma ? Guillaume Nicloux répond à la question en convoquant dans son beau film écrasé de soleil et de chaleur, l'inédit, le spirituel, le surnaturel mais aussi deux acteurs, eux-mêmes acteurs dans le film et qui portent leur prénom de la vraie vie, portés par leur vécu, leur carrière, leurs retrouvailles, leur complicité. Evidemment Isabelle et Gérard font leur boulot mais on a envie de les consoler, de les serrer dans nos bras. Mais comment faire pour prendre Gérard dans ses bras ? Et Isabelle sans la casser ? Car l'un est aussi volumineux que l'autre est fluette.
Double lecture en voyant cette histoire de deux parents qui ont perdu leur fils de vue depuis longtemps, qui l'ont perdu en route alors qu'il tente par delà sa propre mort de les réunir, de leur pardonner, de les délester du poids de la culpabilité, de leur dire qu'il les aime parce que, simplement parce que. J'en frissonne en l'écrivant. Car Gérard a perdu Guillaume et l'ombre de Guillaume plane ici et Gérard a beau exhiber son physique hallucinant (il est torse nu la plupart du temps) encombrant voire embarrassant, ce qu'on voit aussi c'est la fragilité, la vulnérabilité de la santé chancelante qui résulte de ce physique hors norme, la difficulté à courir, le souffle court, l'essoufflement permanent... :
"Tu as l'air bien" lui dit Isabelle.
"J'ai grossi" répond Gérard.
"Si tu te sens bien comme ça".
"Comment veux-tu que je me sente bien comme ça !"
Et Isabelle, énergique et perdue, ne lâche pas son portable, hurle dans son téléphone pour joindre la famille qu'elle a recomposée. Mais y'a pas de réseau en plein désert. Et ce désert, cette Vallée de la mort est l'autre personnage. Quel voyage ! Gérard assure que c'est une punition que leur inflige Michaël, les faire attendre ainsi deux heures à chaque étape, sous le cagnard. Il paraît que le thermomètre avoisine les 60°. A chaque fois, Isabelle déçue lâche : "il viendra plus". "Bien sûr qu'il viendra pas, il est mort" dit tranquillement Gérard. Et peu à peu, des signes apparaissent...
Je ne dis rien car il faut aller au bout de ce voyage vierge de toute explication. Se laisser porter par l'improbable certes mais l'inespéré aussi. Car ceux qui ont perdu un être cher plus que tout au monde sauront que l'attente de ceux qui restent, leur espoir... c'est de pouvoir revoir le cher disparu, le serrer une toute dernière fois dans ses bras, une journée, une heure, un instant... l'inconsolable, l'inconsolé n'est pas forcément gourmant. Guillaume Nicloux l'a compris et nous invite à vivre un deuil d'une beauté et d'une douceur exceptionnelles, où c'est l'absent, le mort qui guide ceux qui restent vers l'amour et la réconciliation.
Isabelle et Gérard sont au sommet ! Pas un mot, pas un geste, pas une mimique de trop comme ils en usent et abusent parfois. Leur humilité est à la hauteur du sujet. Ils ont tout compris et Gérard, sans cabotinage, avec grâce, modestie, délicatesse et infiniment de tendresse démontre que malgré tout... le cinéma c'est sa véritable came. J'ai fini en larmes !
P.S. : j'ai oublié d'évoquer la musique hypnotique, envoûtante... tellement ensorcelante que j'ai cru que Badalamenti (le compositeur attitré de David Lynch) était à la baguette, et non, il s'agit de Charles Ives, bravo.
Vous pouvez l'entendre dans la bande-annonce, et la voix de Gérard aussi...
Et du coup, j'ai envie de revoir le film.
Commentaires
Je n'étais pas tentée, n'aimant pas Isabelle Hupert et peu Gérard Depardieu, et pourtant, vu les bons échos que j'en ai... peut-être.
Ah ben quand même, le film tient aussi par les acteurs !
Tu risques de te faire du mal.
Ah ce film a l'air carrément bouleversant... hâte de le voir!
Oui, j'avais pas prévu et me suis embarquée sans mouchoir !