Dans la sacro-sainte institution dénommée famille, il arrive fréquemment que les membres croient que les choses vont d'elles-mêmes, voire qu'elles s'arrange(ro)nt à condition qu'on n'en parle pas. 

Les Ryrie, famille américaine très américaine, ne fait pas exception à la règle. Elle serait même un exemple caractéristique puisqu'à la suite d'un drame jamais évoqué chacun vit dans la douleur avec la conviction qu'il est le seul à souffrir, qu'il ne faut pas en parler pour ne pas faire souffrir les autres. Chacune pense pour l'autre, à la place de l'autre, se dit que l'autre doit penser et éprouver ceci ou cela. Ce qui est tout à fait symptomatique du fonctionnement d'une famille je trouve. Alors chacun continue à faire comme si...  Les parents, John et Ricky beaux comme des astres (les acteurs Wendy Moniz et Trevor St Jones me sont inconnus mais absolument parfaits) vaquent à leurs occupations. Les enfants donnent l'illusion de vivre leur vie d'enfants... quoique !

En effet, Biscuit (oui on peut appeler un enfant Biscuit...comment s'étonner ensuite qu'il y ait des sociopathes) pré-ado un peu trop futée commence à sécher les cours de façon répétée et son frère Paul aussi obèse qu'antipathique gère comme il peut les brimades dont il fait régulièrement les frais à l'école compte tenu de son format hors normes. Il quitte régulièrement la pièce où se réunit sa famille parfaite. Il peut d'ailleurs paraître très étonnant que l'obésité extravagante du garçon (le jeune acteur se prend pour Robert de Niro au pire de ses cabotinages grimaçants et c'est ce qui l'a rendu particulièrement antipathique à mes yeux, pas le fait qu'il déborde de partout) ne fasse jamais l'objet de la moindre attention de la part de ses parents (parfaits) et qu'on le laisse se ruer sur des plaques de chocolat entières. Soit. Il a par ailleurs un talent assez exceptionnel de dessinateur qui là non plus n'est absolument pas mis en valeur. Ces petites réserves étant faites, le film est ce que j'appelle un beau film.

On découvre peu à peu ce qui a ravagé cette famille sans le dire. L'arrivée de Jessica, la fille de 23 ans que John a eu d'une précédente union, enceinte d'un garçon dont elle ne veut pas entendre parler et qui veut garder le bébé, va ajouter du trouble dans le quatuor déjà bien ébranlé. La présence de la jeune femme, elle aussi bien tourmentée et secrète, va révéler d'autres non dits et faire que chacun s'exprime finalement.

Je m'aperçois que la façon dont j'en parle va plutôt vous faire fuir. C'est comme ça pour certains films, difficile d'en parler. Pourtant ni pathos, ni angélisme ici. Le réalisateur nous plonge littéralement au cœur de cette famille, tellement ordinaire dans son quotidien, les repas par exemple, et tellement extra-ordinaire dans ce qu'elle a dû traverser. Il emploie pour cela des moyens techniques que j'aurais là encore bien du mal à évoquer. Lorsque Biscuit se réveille, le spectateur ne se trouve pas près du lit ou dans la chambre, mais il accompagne le mouvement comme s'il était Biscuit. La façon dont il filme les souvenirs qui se superposent au personnage est elle aussi tout à fait inédite. C'est comme si on entrait dans la tête ou plutôt dans les souvenirs... Oui je sais, c'est confus. La façon de filmer ajoute donc à ce qu'on éprouve. On ne se sent jamais extérieur. Tout est fluide, délicat, élégant et tendre.

Et la dernière scène, dont j'ai entendu sur les ondes qu'elle était d'une laideur sans nom, je l'ai trouvée absolument sidérante de beauté, de douceur, d'apaisement.