Deux amis de 60 ans qui frisent les 80 passent des vacances dans un hôtel de luxe déprimant en Suisse. Fred a pris sa retraite de compositeur et chef d'orchestre célèbre pendant que Mick cherche avec une partie de son équipe une fin pour le film qu'il ne devrait pas tarder à tourner.

Dans ce paradis avec vue sur les Alpes pour jeunes et vieux friqués, tout est pensé pour que le client soit pris en charge et dorloté. Massages, sauna, différents bains (eau, boue), promenades et soirées ringardes avec programme vieillot (chanteuse tragédienne, cracheur de feu, mimes...) sont au menu quotidien. En plus de nos deux amis fatigués, on y croise un jeune acteur (Paul Dano, formidable) déjà lassé d'avoir été rangé dans une case, des scénaristes, un bouddhiste en attente de lévitation, une miss univers, un gamin qui fait couiner son violon à longueur de journées etc. La fille de Fred passera aussi régler ses comptes avec son père et tenter de se consoler d'avoir été plaquée pour une chanteuse de variété qui baise mieux qu'elle par son mari, le propre fils de Mick.

C'est donc très dense, protéiforme, excentrique et surprenant. C'est du Sorrentino. Et dans le monde il y a deux espèces : ceux qui vénèrent Sorrentino et ceux qui pas. Je fais évidemment partie de la première catégorie, même si je n'ai pas été autant fascinée que pour La Grande Bellezza MA palme d'Or 2013 et grand Opéra baroque et cruel, pas autant bouleversée que pour There must be the place, à propos d'un fantôme mélancolique et enfantin à la recherche d'un nazi... il est évident que les films de ce réalisateur me font un effet exceptionnel et me mettent en apesanteur. Malgré la noirceur, le pessimisme voire la laideur parfois des êtres comme des endroits dépeints ici, ce Youth a un pouvoir magique, magnétique.

Des scènes insolites, inattendues comme celle où le personnage d'Harvey Keitel se retrouve dans une prairie parmi tous les personnages féminins de ses nombreux films passés me transportent. Ou lorsque le personnage de Michael Caine seul face à un troupeau de vaches dirige ébloui un concert de cloches et de meuglements. Les conversations entre le vieux chef d'orchestre et le jeune acteur (Paul Dano, épatant...), les promenades des deux amis évoquant le temps qui passe, leurs regrets, leurs impasses, leurs erreurs et le dysfonctionnement de leur prostate. L'irruption de cette actrice vieillissante (Jane Fonda, extra, plâtrée comme chez Fellini) qui vient avec amertume et férocité régler le compte de la grande famille du cinéma. La confrontation entre Miss Univers et le jeune acteur (Paul Dano, sensass", oui je suis fan !) où le vainqueur de l'affrontement n'est pas celui qu'on croit alors qu'elle vient simplement, sincèrement lui faire part de son admiration et qu'il la rembarre injustement. Bref, plein d'instants suspendus et parfaitement orchestrés et entre eux d'autres plus contemplatifs et muets, le défilé des curistes, les couloirs vides, l'ennui...

Et bien sûr deux acteurs intenses et fascinants, leurs beaux visages chargés du poids de leur passé, de leur carrière, de leur histoire, Michael Caine so british, so persifleur, inconsolable et Harvey Keitel presqu'innocent, encore enthousiaste mais si fragile finalement... A côté d'eux la pauvre Rachel Weisz pleurnicheuse et grimaçante (mais il faut bien que je me venge) ne fait vraiment pas le poids.

Et le générique : sublime, Sumi Jo au chant, Michaël Caine à la baguette. I lose my control...