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LE FILS DE SAÜL de Laszlo Nemes ****

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Saül Ausländer fait partie d'un Sonderkommando à Auschwitz en 1944. Les nazis qui ne manquaient jamais d'imagination ont créé ces unités de travail pour participer à la solution finale. Les prisonniers juifs étaient chargés d'accompagner les futures victimes jusqu'aux chambres à gaz.

Ils devaient ensuite sortir les corps puis les traîner dans des charniers ou des fours crématoires, jeter les cendres dans le fleuve, remettre les chambres à gaz en état pour le groupe suivant. Ils devaient également chercher l'or et les bijoux dans les poches pendant que les victimes se faisaient gazer. Toutes ces tâches étaient accomplies mécaniquement sans interruption du matin au soir et parfois même la nuit en cas d'urgence. Les victimes sont appelées des "pièces" ou "ça".

 

Les membres des sonderkommandos avaient l'étrange, ironique et dérisoire privilège d'être séparés des autres prisonniers. Ils pouvaient s'habiller et non porter le "pyjama" rayé. Ils avaient un repas par jour et partageaient une sorte de chambre (toute proportion gardée...). Ce sursis et ce cauchemar ne duraient que quelques mois au bout desquels eux aussi étaient menés à la chambre à gaz.

 

Un jour un enfant sort vivant de la chambre à gaz. Le médecin nazi se charge de l'achever en l'étouffant et d'étudier son cadavre en l'autopsiant : "ouvrez-moi ça !" Dès lors Saül reconnaît ou décide que cet enfant est son fils et n'a plus d'autre but que d'éviter l'incinération à cet enfant, de l'enterrer selon le rite juif et de trouver un rabbin qui récitera le kaddish. Sauver cet enfant en quelque sorte devient son obsession, sa raison d'être, de vivre, de survivre. Sa dernière preuve d'humanité pour lui-même. Au risque de mettre en péril les projets de soulèvement fomenté par les autres membres du sonderkommando dont un lui dira "tu as renoncé aux vivants pour te consacrer à un mort".

 

Laszlo Nemes, jeune cinéaste hongrois dont c'est le premier long métrage et qui s'exprime dans un français plus que parfait et sans accent, frappe fort avec ce film qui a obtenu le Grand Prix mérité au dernier Festival de Cannes. Il nous invite à partager quelques jours de la vie infernale de Saül dans ce camp de la mort. Il ne le fait pas de façon subjective mais nous embarque littéralement sur l'épaule de Saül. Et Saül est constamment en mouvement pour mener à bien son projet : trouver un rabbin et enterrer l'enfant. Et comme nous voyons tout par les yeux de Saül, on n'entre pas dans les chambres à gaz car c'est la logique même : PERSONNE n'était dans les chambres à gaz en dehors des victimes. Tout comme Saül qui a fini par ne plus regarder les victimes, parce que c'est inutile, parce que c'est la seule façon de ne pas mourir, nous voyons peu les corps, ou un peu loin, ou de façon floue.


Saül est dans ce qu'on pourrait appeler l'enfer de l'enfer. Au-delà de la mort, voire déjà mort. Comment nous, ses frères humains, 70 ans plus tard, nés après lui et n'ayant pas connu cette période, pourrions imaginer ce qu'il a vécu ? On n'a pas les mots pour parler de ce qui s'est passé. Je ne suis jamais allée à Auschwitz, mais je suis allée avec Mouche au Camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Je ne savais pas à quoi m'attendre, ce que j'allais ressentir. Je voulais juste voir. Mais c'est au-delà des mots parce que voir en vrai ces bâtiments vides et silencieux suffit. L'imagination fait le reste. C'est le silence, la stupeur. Je sais que les horreurs à travers le monde n'ont jamais cessé, mais ce qu'il s'est passé là, dans ces camps, est absolument unique et incomparable et faisait partie d'un plan précis, prémédité, mûrement réfléchi pendant des années par un esprit malade qui a réussi à contaminer d'autres déséquilibrés aveuglés de haine et de bêtise.

 

Ce film fait mal. On en sort KO. Et pourtant le réalisateur a la délicatesse et l'intelligence de ne montrer que peu de choses. Mais il nous fait entendre. Ce qu'il advient des victimes que l'on a mises nues et à qui l'on demande de se presser pour ne pas que la soupe qu'on va leur servir refroidisse, à qui l'on demande de se souvenir du numéro de la patère où ils ont accroché leurs vêtements... on le sait. Mais ce qui se passe dès que la porte de la chambre à gaz est fermée, Laszlo Nemes nous le fait entendre... Quant à Saül et ses "confrères" de détresse, ils attendent que les cris et les coups contre la porte et les murs cessent pour continuer leur travail de fossoyeur. Mais ils sont eux aussi soumis aux bruits, aux cris, aux ordres gueulés "los !", "schneller". Et ce n'est pas la solidarité entre détenus qui pourrait apporter quelque réconfort. Tout n'est que brutalité et agressivité. Un cauchemar.

 

Sans parler de l'odeur... et lorsque Saül porte un tissu sur le nez pour tenter de supporter la pestilence ambiante, cela met encore davantage en valeur son regard halluciné, revenu de tout. C'est ce regard et cet unique sourire d'enfant... qui font que grâce à l'acteur Géza Röhrig, obsédant, Saül est inoubliable.

Commentaires

  • J'ai visité Buchenwald, j'avais 16 ans. Il faisait beau, l'air était doux, mais à l'intérieur, c'est comme si le désespoir suintait encore des murs. C'est glaçant.
    Je crois que ce qui m'a le plus choqué dans ce film, ce sont justement, dès la première scène, les mensonges gratuits aux prisonniers, rappelez-vous votre numéro de patère, la soupe vous attend après la douche... L'enfer de l'enfer, très certainement, quand on en arrive à effectuer mécaniquement un tel travail de destruction massive.
    Ce qui reste encore inacceptable, c'est qu'on ne parvient toujours pas à associer la barbarie de l'objectif avec l'intelligente ingénierie des moyens mis en place. Normalement les monstres sont fous et les gens qui réfléchissent sont raisonnables, c'est simple, les moutons sont bien gardés. Mais là, les gens raisonnables ne peuvent pas se rassurer.

  • Oui le calme et la sérénité dans les cimetières me surprennent toujours.
    Dans ce genre d'endroits avec toutes les images que l'on connaît depuis, notre imagination travaille dur. Au Struthof, j'avais l'impression de voir la "vie" du camp s'organiser à mes pieds.
    Oh oui, c'est dingue, ils proposent même du thé à un moment et leur conseillent de se presser pour ne pas qu'il refroidisse.
    Je crois que ces gens étaient des montres fous intelligents.

  • J'y vais demain.

  • Courage.

  • J'y suis allé un peu à reculons... encore un film sur la Shoah. On connait tout de la barbarie nazie, de l’insupportable taylorisme de la mort géré par des allemands très organisés.

    Eh bien, je suis d'accord avec toi, c'est un sacré grand film qui nous laisse KO en nous immergeant dans le coeur de ce camp d'extermination en marquant Saul à la culotte dans ce délire où l'arrière plan plus ou moins flou mais toujours bruyant et ponctué d'incessants "schnell, schneller". Saul qui d'une certaine manière perd la raison en voulant enterrer dignement ce gamin. Mais qui ne la perdrait pas. Comme tu le dis, pas de solidarité entre membres du sonderkommado, sauf peut-être à la fin dans la scène du fleuve.

  • Oui c'est vrai, encore un film... mais il y en a tant qui sont ratés parce que trop sentimentaux. Ici c'est l'horreur absolue et je ne me souviens pas d'un film qui traitait des sonderkommando. Et la dernière part d'humanité qui lui reste Saül la consacre à cet enfant. Film indispensable donc.

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