AU-DELÀ DES MONTAGNES de Jia Zhang-ke ****
Tao, Zang et Lianzi sont les meilleurs amis du monde depuis longtemps sans doute. Si cette amitié semble convenir à la jeune fille Tao... il n'en va pas de même pour les deux garçons qui avec le temps sont devenus amoureux d'elle.
Tao ne comprend pas les sous-entendus appuyés de ses amis, ou alors elle fait très bien semblant. D'ailleurs pour elle un triangle c'est simple, c'est stable. Quand enfin, ils se décident à lui révéler leurs sentiments, elle doit se rendre à l'évidence, les deux garçons souffrent de la situation et elle doit effectuer un choix. Elle pense pouvoir rester amie avec l'autre, ce qui ne sera pas le cas.
Elle choisit le moche Zang promis à un bel avenir puisqu'il achète même la mine dans laquelle travaille Lianzi. On a envie de lui crier qu'elle se trompe, qu'il faut choisir, l'autre, le beau, le pauvre. Mais avec le recul on se dit que le problème aurait été le même, que quel que soit son choix, le segment du triangle absent lui aurait manqué. Car ce film en trois actes séparés chacun de quelques années (1999 - 2015 et 2025) semble être le petit manuel parfait du "comment rater sa vie et celle de mon entourage" en trois leçons.
Et à la périphérie de l'histoire à la fois bouleversante et ordinaire de cette femme qui se trompe et des sentiments qui se délitent, on découvre la Chine à deux époques différentes puis l'Australie comme nouvel Eldorado. Le réalisateur, qui n'aurait pas volé la Palme d'Or à Cannes... parsème son terrible mélo de détails qui démontrent l'évolution mais aussi les dommages et mutations de la Chine, son entrée dans la globalisation. On évoque la rétrocession d'Hong Kong et Macao à la Chine, on voit un couple parfait de chinois qui voyage désormais avec deux enfants, on constate les ravages des conditions de travail dans les mines de charbon (cancer des poumons) et simultanément le catastrophique système de santé (les ouvriers n'ont absolument pas les moyens de se soigner)...
Le film commence par un format carré, se poursuit par le format classique pour s'achever en scope. Il faut dire que le réalisateur a le sens du cadre parfait et qu'on plonge dans ses somptueuses images avec bonheur malgré les drames successifs. Oh rien de spectaculaire, rien que de très ordinaire même, voire absolument universel. La vie qui va en somme. "Quelques joies, très vite effacées par d'inconsolables chagrins" comme a si joliment écrit Marcel Pagnol. Car la vie est faite de ça, un sourire qui s'efface progressivement mais définitivement d'un visage, des amitiés qui s'étiolent, un amour raté, les parents qui meurent, un enfant qu'on sépare de sa mère et dont il ne se souviendra plus du prénom mais qu'il cherchera finalement toute sa vie, un enfant qui ne parle pas la même langue que son père etc...
C'est très triste, c'est très beau. MA Palme d'Or 2015.
Commentaires
J'ai vu "béliers" hier, sans trop de difficulté (et j'ai aimé !). Donc, celui d'aujourd'hui est au programme pour bientôt.
Tu devrais t'en sortir. Pas trop de lecture :-)
Palme d'or ? Quelle impression ça fait d'être complètement d'accord avec Laurent Delmas ?
J'ai vu le film il y a 3 mois, il s'appelait encore "Mountains may depart". J'ai bien aimé mais j'étais entouré de gens (des cinéphiles-cinéphages) qui l'ont trouvé trop conventionnel et fait pour un public occidental. J'aime bien la manière dont tu en parles et je crois que j'irai le revoir.
D'accord avec Lolo ??? ça voudrait dire que je deviens une sacrée rigolote :-)
Et oui c'est sans doute le film le plus accessible de ce très très cher Jia mais ce n'est en aucun cas un défaut et il n'a rien de conventionnel pour moi. Les us et coutumes chinois restent toujours ceux d'une autre planète et parfaitement observée ici. Ne serait-ce que dans leur façon incroyable de ne jamais se toucher par exemple.
Moi aussi je me donne envie de le revoir.