FESTIVAL INTERNATIONAL DU PREMIER FILM D'ANNONAY 2016 - LE FILS DE SAÜL de Laszlo Nemes ****
PREMIER FILM HORS COMPÉTITION
Saül Ausländer fait partie d'un Sonderkommando à Auschwitz en 1944. Les nazis qui ne manquaient jamais d'imagination ont créé ces unités de travail pour participer à la solution finale. Les prisonniers juifs étaient chargés d'accompagner les futures victimes jusqu'aux chambres à gaz.
Ils devaient ensuite sortir les corps puis les traîner dans des charniers ou des fours crématoires, jeter les cendres dans le fleuve, remettre les chambres à gaz en état pour le groupe suivant. Ils devaient également chercher l'or et les bijoux dans les poches pendant que les victimes se faisaient gazer. Toutes ces tâches étaient accomplies mécaniquement sans interruption du matin au soir et parfois même la nuit en cas d'urgence. Les victimes sont appelées des "pièces" ou "ça".
Les membres des sonderkommandos avaient l'étrange, ironique et dérisoire privilège d'être séparés des autres prisonniers. Ils pouvaient s'habiller et non porter le "pyjama" rayé. Ils avaient un repas par jour et partageaient une sorte de chambre (toute proportion gardée...). Ce sursis et ce cauchemar ne duraient que quelques mois au bout desquels eux aussi étaient menés à la chambre à gaz.
Un jour un enfant sort vivant de la chambre à gaz. Le médecin nazi se charge de l'achever en l'étouffant et d'étudier son cadavre en l'autopsiant : "ouvrez-moi ça !" Dès lors Saül reconnaît ou décide que cet enfant est son fils et n'a plus d'autre but que d'éviter l'incinération à cet enfant, de l'enterrer selon le rite juif et de trouver un rabbin qui récitera le kaddish. Sauver cet enfant en quelque sorte devient son obsession, sa raison d'être, de vivre, de survivre. Sa dernière preuve d'humanité pour lui-même. Au risque de mettre en péril les projets de soulèvement fomenté par les autres membres du sonderkommando dont un lui dira "tu as renoncé aux vivants pour te consacrer à un mort".
Laszlo Nemes, jeune cinéaste hongrois dont c'est le premier long métrage et qui s'exprime dans un français plus que parfait et sans accent, frappe fort avec ce film qui a obtenu le Grand Prix mérité au dernier Festival de Cannes. Il nous invite à partager quelques jours de la vie infernale de Saül dans ce camp de la mort. Il ne le fait pas de façon subjective mais nous embarque littéralement sur l'épaule de Saül. Et Saül est constamment en mouvement pour mener à bien son projet : trouver un rabbin et enterrer l'enfant. Et comme nous voyons tout par les yeux de Saül, on n'entre pas dans les chambres à gaz car c'est la logique même : PERSONNE n'était dans les chambres à gaz en dehors des victimes. Tout comme Saül qui a fini par ne plus regarder les victimes, parce que c'est inutile, parce que c'est la seule façon de ne pas mourir, nous voyons peu les corps, ou un peu loin, ou de façon floue.
Saül est dans ce qu'on pourrait appeler l'enfer de l'enfer. Au-delà de la mort, voire déjà mort. Comment nous, ses frères humains, 70 ans plus tard, nés après lui et n'ayant pas connu cette période, pourrions imaginer ce qu'il a vécu ? On n'a pas les mots pour parler de ce qui s'est passé. Je ne suis jamais allée à Auschwitz, mais je suis allée avec Mouche au Camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Je ne savais pas à quoi m'attendre, ce que j'allais ressentir. Je voulais juste voir. Mais c'est au-delà des mots parce que voir en vrai ces bâtiments vides et silencieux suffit. L'imagination fait le reste. C'est le silence, la stupeur. Je sais que les horreurs à travers le monde n'ont jamais cessé, mais ce qu'il s'est passé là, dans ces camps, est absolument unique et incomparable et faisait partie d'un plan précis, prémédité, mûrement réfléchi pendant des années par un esprit malade qui a réussi à contaminer d'autres déséquilibrés aveuglés de haine et de bêtise.
Ce film fait mal. On en sort KO. Et pourtant le réalisateur a la délicatesse et l'intelligence de ne montrer que peu de choses. Mais il nous fait entendre. Ce qu'il advient des victimes que l'on a mises nues et à qui l'on demande de se presser pour ne pas que la soupe qu'on va leur servir refroidisse, à qui l'on demande de se souvenir du numéro de la patère où ils ont accroché leurs vêtements... on le sait. Mais ce qui se passe dès que la porte de la chambre à gaz est fermée, Laszlo Nemes nous le fait entendre... Quant à Saül et ses "confrères" de détresse, ils attendent que les cris et les coups contre la porte et les murs cessent pour continuer leur travail de fossoyeur. Mais ils sont eux aussi soumis aux bruits, aux cris, aux ordres gueulés "los !", "schneller". Et ce n'est pas la solidarité entre détenus qui pourrait apporter quelque réconfort. Tout n'est que brutalité et agressivité. Un cauchemar.
Sans parler de l'odeur... et lorsque Saül porte un tissu sur le nez pour tenter de supporter la pestilence ambiante, cela met encore davantage en valeur son regard halluciné, revenu de tout. C'est ce regard et cet unique sourire d'enfant... qui font que grâce à l'acteur Géza Röhrig, obsédant, Saül est inoubliable.