«Tout ça n’est pas bien grave. Dans mille ans ça nous fera bien rire ».

Dimanche 20 mars 2016 : ce matin j'écoutais comme chaque dimanche l'émission de France Inter "Remède à la mélancolie".  Ce n'était pas une émission qui t'attirait je crois. Toi tu étais plutôt branché sur la suivante "On va déguster". Si tu savais qu'aujourd'hui je l'écoute... J'avais tort sur certains points. C'est sûr que certains invités sont pénibles. Les cuisiniers, te disais-je, c'est comme les footballeurs, plus généralement les sportifs ou les marins (les grands, ceux qui font des courses autour du monde), ils n'imaginent pas qu'on ne soit pas forcément attirés par leur passion. Je me souviens de cette couille insupportable de Jacques Vendroux qui peut affirmer en hurlant (ce type ne sait pas parler) et sans rire : "je ne connais personne qui n'aime pas le foot, d'ailleurs c'est impossible de ne pas aimer le foot". Bah tiens, c'est tellement fédérateur !

Bref... Dans l'émission de cuisine, il y a d'abord l'animateur François Régis Gaudry qui est drôle, intelligent et passionné. Et à force de l'écouter je m'aperçois que c'est le genre de personne qui tire les autres et les débats vers le haut. Et du coup, souvent ses invités, même s'il y a parfois de sacrés bourrins qui foutent de l'ail partout ou qui ne conçoivent pas de ne pas manger deux fois de la viande par jour, sont à son image. Et j'apprends plein de choses car la cuisine ça dépasse les casseroles, c'est l'histoire d'un pays, d'une époque. Cette émission, c'est un moment passé avec toi. Bizaremment.

Ce jour là dans son Remède à la mélancolie la délicieuse Eva Bester recevait Philippe Djian. J'aime bien, il semble franc du collier, cash, même s'il est un peu catégorique quand il affirme ses goûts. Et puis c'est pas un rigolo, tout semble tragique avec lui. Mais à un moment, j'ai eu un grand sourire. J'ai pensé à toi et j'ai pensé à nous. Il a dit "j'ai la chance d'être marié depuis plus de 40 ans avec la même femme. On s'entend toujours bien". Evidemment, nous, "on" aura duré que 22 ans, mais c'était ça notre "truc", on s'aimait comme des foufous mais aussi on s'entendait bien. Je ne sais pourquoi, cette petite affirmation toute simple, toute bête a ensoleillé cette morne et grise matinée dominicale où j'avais mal à la tête.

Tout ça pour dire qu'il y a des choses, des réflexes, des habitudes dans la vie. Mais aussi des nouveautés. Je fais des choses que je ne faisais pas avec toi. D'autres par contre que je ne peux plus faire. C'est impossible. Ecouter Arno par exemple, et c'est sans doute l'artiste que nous avons le plus vu en concert. C'est devenu insupportable. Je le vois, je l'entends et ton absence se met à peser encore plus lourd. Tu l'aimais tant et tu pouvais écouter ses albums en boucle dans ta voiture. Parfois tu tournais le coin de la rue et j'entendais le son poussé au maximum. Tu pouvais sonoriser le quartier quand tu arrivais !

Et puis il y a de bonnes choses.

Il y a quelques années, ça devait être en 2010, j'ai gagné un roman sur ce blog de marathonienne. Alors que les autres pintades se battaient et vendaient leur  mère pour un tube de pommade, je voyais qu'un des lots (on pouvait choisir son cadeau si on gagnait) n'intéressait personne. Forcément c'était un livre. J'ai donc demandé ce cadeau et l'auteur dont je n'avais strictement jamais entendu parler m'a donc envoyé son roman Les Vestiges de l'aube avec une magnifique dédicace. J'ai adoré, suis tombée en amour de Werner Von Lovinsky et l'ai fait savoir à son auteur David S. Khara. Une trilogie a suivi Le Projet Bleiberg, Le Projet Shiro et le Projet Morgenstern, des thrillers sur fond historique, tous trois passionnants et je suis tombée en amour d'Eytan Morgenstern. Je n'ai jamais eu à acheter un seul de ces livres. A chaque fois, David nous en envoyait un exemplaire avec une dédicace dont il a le secret. Je crois que David s'est pris d'affection pour Mouche et moi et notre sale histoire de maladie au milieu de notre amour. J'ai lu les "Projets" à Hervé lorsqu'il était à l'hôpital. Et le tout dernier livre qu'il a lu quand il en avait encore la force est justement Les Vestiges de L'Aube... C'est dire si ce livre, en plus d'être vraiment formidable, a une saveur et une importance toute particulière pour moi.

David et moi sommes restés en contact de loin en loin sans jamais nous rencontrer et puis après la mort de Mouche en juin 2014 et quelques échanges, le silence. Récemment j'ai découvert qu'un nouveau roman, plus ou moins la suite des Vestiges (mon préféré) était paru et là je l'ai acheté. C'est déjà rien de dire à quel point le titre me parle... 

Et en ouvrant la première page, voilà ce que j'ai découvert.

Inutile de vous dire que j'ai pleuré des litres. Une telle attention, un tel hommage sans même en faire étalage, ça m'a évidemment bouleversée. Il y a des gens tellement gentils, attentionnés, compatissants sur terre, ils parviennent à me faire oublier la bande de bouffons baltringues mal embouchés qui gravite... Et puis cette suite est tout aussi enthousiasmante que le premier volume et bien sûr je vous encourage à découvrir tous les romans de David. Je sais qu'il y a des lectrices compulsives qui passent par ici.

Pour finir, une petite vidéo. Salomé a eu 7 ans le 2 avril. Le 15 mars 2014, j'ai filmé l'une de leur dernière création à Mouche et elle. Pas une journée, pas une soirée lorsqu'ils étaient ensemble sans qu'ils fassent un spectacle improvisé... J'aurais dû tous les filmer ! Je ne savais pas bécasse que j'étais. Aujourd'hui Salomé est toujours aussi créative. Elle invente, elle met en scène, elle danse, elle chante, elle joue la comédie... mais elle n'a plus son partenaire. Je me souviens qu'au cours des repas les derniers temps, elle lui disait : "Tu n'es pas trop fatigué pour faire un spectacle Mouche ?" C'est bien rare qu'il ait refusé...