SIERANEVADA
de Cristi Puiu ***
Avec Mimi Branescu, Judith State, Bogdan Dumitrache
Ne comptez pas sur moi pour tenter de faire un résumé de ce film épuisant, enthousiasmant, suprenant mais hélas trop long d'au moins une heure... Dommage.
En effet rester 2 heures 50 en compagnie de cette famille, sans doute représentative de la société roumaine actuelle est forcément intéressant, d'autant qu'il s'agit de la classe moyenne, rarement représentée au cinéma, mais le sujet exigeait-il d'être enfermé près de trois heures dans un appartement ? Pour faire vite, disons qu'il s'agit d'un repas de famille. Je ne dévoile pas l'événement particulier qui rassemble tout ce monde. On ne sera hors de l'appartement qu'à deux reprises, lors de deux scènes à haut pouvoir anxiogène je trouve. Et on reconnaîtra sans difficulté la maestria avec laquelle le réalisateur s'empare du plan séquence pour nous aimanter à l'écran.
A ce titre, la très looooongue scène d'ouverture, dans la rue, est un mystère dont on n'obtient les clés que plusieurs minutes plus tard. Mon bon sang, que se passe-t-il donc là ? Une femme, un homme, une petite fille, puis une vieille dame, une rue bondée et en travaux avec une inscription mystérieuse que je ne peux traduire que par "risque d'explosion", une voiture mal garée, un chauffeur de camion qui s'impatiente... On est loin, on observe, on ne comprend pas bien mais on est happé avec l'envie de savoir.
Puis on entre dans la voiture et on assiste à la discussion/dispute du couple. La femme reproche au mari d'avoir acheté une robe de Belle au Bois Dormant à leur fille, la même que portera une peste de la même classe, au lieu de celle de Blanche-Neige qu'elle lui avait demandée. C'est qu'il préférait celle de Blanche-Neige et d'ailleurs dans le Conte de Grimm la robe de Blanche-Neige est rose. Oui mais le spectacle évoque les personnages de Walt Disney. Les frères Grimm n'ont pas écrit Mulan que l'on sache... Puis la femme décide de passer à Carrefour... Mais en Roumanie comme ailleurs c'est folie de se rendre à Carrefour un samedi. Bref, c'est la vie qui va.
La femme ne semble pas ravie d'aller au repas où ils se rendent : « à 14 heures on est rentré » affirme-t-elle. Il ne répond pas. Saine ambiance. On voit bien que ces deux là ne se comprennent plus... Arrivés sur place, dans un appartement ni vraiment grand ni vraiment petit mais tellement encombré qu'il rend claustrophobe dès qu'on y pénètre, du monde est déjà sur place. Personne ne fait les présentations et ce n'est qu'au fil de l'histoire que nous comprendrons qui est qui et pourquoi il est là.
L'appartement est desservi par un couloir central qui donne sur 6 ou 7 portes, certaines ouvertes, d'autres qu'il faut garder fermées et le réalisateur va organiser les deux heures suivantes en temps réel et faire entrer et sortir une multitude de personnages. Je n'ai jamais réussi à compter combien de personnes se sont trouvées simultanément dans l'endroit. Sans doute une trentaine. Je me suis également demandée comment il avait réussi à faire entrer une équipe de tournage en plus de tous les protagonistes. Cela paraît étrange comme considération, mais je vous assure qu'en voyant ce film on est obligé de tenir compte de ces contraintes.
La table est mise mais on attend le curé. Pourquoi le curé ? Fait-il partie de la famille ? Vous le saurez plus tard. Je ne vous dis rien. Scène incroyable j'ai trouvé. Dans cette attente, le curé est très en retard, chacun discute, prépare le repas (les femmes surtout...), fume, beaucoup. La cuisine est le fumoir. Un cousin est obnubilé par les attentats du 11 septembre 2001 et énonce ses théories du complot. Les autres se moquent de lui et lui reprochent de passer sa vie sur Internet et de ne pas tenir compte de tous les éléments qu'il récolte. Il ne faut pas faire de bruit pour ne pas réveiller un bébé qui dort. Une femme pleure dans une chambre. Tout le monde se mêle de la vie des uns et des autres. Chacun donne son avis, juge, tranche, argumente. Une cousine arrive avec une amie que tout le monde appellera « la droguée » alors qu'elle affirme qu'elle est juste ivre. Le mari de la dame qui pleure débarque et met tout le monde en émoi. Les portes claquent, certains s'en vont définitivement. Et l'on se demande : quand va-t-on manger ?
J'ai peur de ne pas trop vous donner envie de voir ce film pourtant il vaut vraiment le voyage parce qu'en plus de parler d'un pays et surtout de ses habitants dont on ne connaît pas grand chose, il est l'objet d'une réalisation en tout point originale et maîtrisée. Un joyeux foutoir, pas toujours joyeux d'ailleurs malgré quelques scènes comiques.
Pour connaître l'origine du titre, le réalisateur s'en explique ainsi :
"pourquoi les titres changent selon les nationalités ? Ça m’énerve tellement. Au départ je me suis même dit : je vais faire moi-même les titres pour chaque langue. Et puis j’ai tranché pour un titre qui ne peut pas être changé".
Normalement, le mot Sierra Nevada est séparé mais pas dans la langue roumaine. Puiu a ensuite décidé de lui enlever un "R" afin de susciter la recherche d'un sens chez les spectateurs : "Que des gens (...) viennent me dire sur le tournage : « cela ne s’écrit pas comme ça », ça m’a plu. Mais la vérité, au fond, c’est que : on s’en fout ! Mais notre cerveau a un tel besoin de sens qu’il va construire du sens là où il n’y en a pas, où il n’y a rien. En réalité n’importe quel titre peut convenir, mais ça on ne peut pas le dire, donc il faut livrer un titre et c’est celui-là ! C’est une question personnelle, c’est un titre qui est apparu dans ma tête. Comment il est apparu ? Ça, c’est mystérieux, et beaucoup de choses sont mystérieuses. (...) Le titre Sieranevada possède des résonances de western, même s’il n’y a pas de western célèbre qui porte ce titre. Ça évoque la neige, une autre langue : l’espagnol, la musique de cette langue. Sieranevada, c’est beau", affirme le réalisateur.
En lisant cela, on comprend mieux je trouve l'originalité et le joyeux foutoir organisé qu'est le film.
Le pauvre n'a pas pensé qu'hors de chez lui, on modifierait aussi son affiche. Devinez laquelle est LA SIENNE ?
Commentaires
Ohlala, j'espère que tu ne m'en voudras pas mais tu ne m'as pas vraiment donné envie de voir ce film. Je tenterai peut-être lors de sa sortie DVD, mais pas au cinéma, car il y a trop de risques que cela me gave. Tout dans un appartement en plus, moi qui suis un peu claustro, ça va me stresser. Puis ça doit causer beaucoup du coup, et euh ce n'est pas trop mon truc non plus.
Finalement ça ne cause pas tant que ça. Le spectateur est là en observateur. Mais ça cause quand même. Mais moi qui ne suis pas claustro j'avais envie de sortir de cet appartement très encombré !