AU REVOIR LÀ-HAUT
d'Albert Dupontel ****
Avec Nahuel Perez Biscayart, Albert Dupontel, Laurent Laffitte, Héloïse Balster
Synopsis : Novembre 1919. Deux rescapés des tranchées, l'un dessinateur de génie, l'autre modeste comptable, décident de monter une arnaque aux monuments aux morts. Dans la France des années folles, l'entreprise va se révéler aussi dangereuse que spectaculaire..
Mais avant d'en arriver à cette arnaque tarabiscotée nous accompagnons Albert et Edouard au milieu des tranchées au prise avec un lieutenant sadique (Laurent Laffitte, visqueux à souhait) plus effrayant pour ses soldats qu'un allemand. Cet homme aime tellement la guerre qu'il la poursuit alors qu'en ce 9 novembre 1918, les bruits d'Armistice courent et que l'Etat Major a en conséquence pourtant ordonné de cesser les combats.
Albert modeste comptable et Edouard aristocrate au grand talent de dessinateur, sympathisent dans la tranchée, se sauvent mutuellement la vie. Et Edouard, le visage arraché par une explosion survivra grâce aux bons soins d'Albert et aux doses de morphine qu'il obtiendra par tous les moyens possibles... Le jeune homme refuse de rejoindre sa famille et son père qu'il déteste. Albert trouve une astuce pour qu'il soit déclaré mort au combat. Les deux hommes vivent ensemble à Paris, vite rejoints par une petite fille (formidable petite Héloïse Balster) exploitée par une mégère. En reprenant goût à la vie, Edouard se remet à dessiner et c'est ainsi que l'idée de l'arnaque aux monuments aux morts va germer dans leur esprit.
Je n'ai pas lu le roman de Pierre Lemaître dont s'inspire le film mais je pense remédier à cette lacune tant le film m'a plongée dans un univers inattendu. Si l'ambiance Jeunet/Un long dimande de fiançailles/Amélie Poulain m'a un peu gênée sans que je comprenne et puisse expliquer réellement pourquoi (puisque j'avais aimé ces films), ainsi que certains effets à la Baz Luhrmann (caméra virevoltante, travellings, effets de grue...) la puissance émotionnelle, l'humour et la tendresse du film m'ont emportée. L'arnaque aux monument aux morts m'a semblé touffue et parfois difficile à suivre compte tenu des différents intervenants que je ne parvenais pas toujours à lier les uns aux autres, mais ça n'est absolument pas gênant.
Le film est beau visuellement, souvent drôle, profondément émouvant et riche de multiples thèmes, la guerre, l'après-guerre, le manque de place faite aux vétérans, la misère, le chômage, la famille, les différences de classe, l'amitié, l'entraide. Mais ce qui le hisse très haut je trouve est l'interprétation. Tout le casting, jusqu'au plus petit rôle, joue sa partition drôle, dure ou émouvante à la perfection ce qui atteste d'une direction d'acteurs irréprochable. Albert Dupontel et son phrasé heurté est très convaincant en naïf généreux. Son air parfois halluciné m'a évoqué Buster Keaton à plusieurs reprises. Laurent Laffitte se régale et il est vraiment excellent en pervers sadique convaincu de sa supériorité. Niels Arestrup en père blessé est d'une élégance folle et aussi terriblement émouvant, muré dans sa douleur muette.
Mais Nahuel Pérez Biscayart dont il n'est plus possible d'ignorer le nom depuis 120 battements par minute, et à présent de l'oublier après sa prestation en Edouard, est un choix qui semble évident pour le rôle de ce garçon fragile, rejeté par son père et gueule cassée de la Grande Guerre, après avoir vu le film. Reconnaissons à Albert Dupontel d'avoir réussi à trouver l'acteur capable de rendre ce personnage magnifique. Le visage déchiqueté dès le début du film, l'acteur devra se contenter de marmonner (traduit par l'étonnante petite Héloïse Balster) derrière des masques qu'il confectionne lui-même, de plus en plus somptueux. Certains sont de véritables œuvres d'art. Réussir à faire exister ce corps et cette âme meurtris prouve le talent exceptionnel de ce garçon. Jamais un regard bouleversant n'aura été aussi bouleversant !
N.B. : si comme moi, vous vous interrogez sur la signification du titre, je l'ai trouvée sur l'Internet mondial qui sait tout (j'espère qu'il a bon) :"Pierre Lemaitre a emprunté le titre de son roman à la dernière lettre adressée à sa femme par le soldat Jean Blanchard (un des 6 martyrs, fusillé pour l'exemple en 1914 et dans laquelle il écrit « Au revoir là-haut ma chère épouse ".
Voici la lettre dans son intégralité :
3 décembre 1914, 11 heures 30 du soir
Ma chère Bien-aimée, c'est dans une grande détresse que je me mets à t'écrire et si Dieu et la Sainte Vierge ne me viennent en aide c'est pour la dernière fois, ....
Je vais tâcher en quelques mots de te dire ma situation mais je ne sais si je pourrai, je ne m'en sens guère le courage. Le 27 novembre, à la nuit, étant dans une tranchée face à l'ennemi, les Allemands nous ont surpris, et ont jeté la panique parmi nous, dans notre tranchée, nous nous sommes retirés dans une tranchée arrière, et nous sommes retournés reprendre nos places presque aussitôt, résultat : une dizaine de prisonniers à la compagnie dont un à mon escouade, pour cette faute nous avons passé aujourd'hui soir l'escouade (vingt-quatre hommes) au conseil de guerre et hélas! nous sommes six pour payer pour tous, je ne puis t'en expliquer davantage ma chère amie, je souffre trop, l'ami Darlet pourra mieux t'expliquer, j'ai la conscience tranquille et me soumets entièrement à la volonté de Dieu qui le veut ainsi ; c'est ce qui me donne la force de pouvoir t'écrire ces mots, ma chère bien-aimée, qui m'as rendu si heureux le temps que j'ai passé près de toi, et dont j'avais tant d'espoir de retrouver. Le 1er décembre au matin on nous a fait déposer sur ce qui s'était passé, et quand j'ai vu l'accusation qui était portée contre nous et dont personne ne pouvait se douter, j'ai pleuré une partie de la journée et n'ai pas eu la force de t'écrire...
Oh ! bénis soient mes parents qui m'ont appris à la connaître ! Mes pauvres parents, ma pauvre mère, mon pauvre père, que vont-ils devenir quand ils vont apprendre ce que je suis devenu ? Ô ma bien-aimée, ma chère Michelle, prends-en bien soin de mes pauvres parents tant qu'ils seront de ce monde, sois leur consolation et leur soutien dans leur douleur, je te les laisse à tes bons soins, dis-leur bien que je n'ai pas mérité cette punition si dure et que nous nous retrouverons tous en l'autre monde, assiste-les à leurs derniers moments et Dieu t'en récompensera, demande pardon pour moi à tes bons parents de la peine qu'ils vont éprouver par moi, dis-leur bien que je les aimais beaucoup et qu'ils ne m'oublient pas dans leurs prières, que j'étais heureux d'être devenu leur fils et de pouvoir les soutenir et en avoir soin sur leurs vieux jours mais puisque Dieu en a jugé autrement, que sa volonté soit faite et non la mienne. Au revoir là-haut, ma chère épouse.
Jean
Commentaires
Tu veux vraiment nous déprimer. J'ai beaucoup aimé le roman (oui oui oui, il faut le lire). La BD aussi. Alors le film, j'y vais les yeux fermés (mais les yeux grands ouverts dès que je serai dans la salle, c'est mieux).
Je la trouve belle cette lettre.
Oui ouvre grand les yeux :-)
La lettre est au-delà du bouleversant ! en plus, ces pauvres gars étaient victimes d'une injustice tellement ignoble. Je n'ai jamais eu envie de lire le roman de Lemaître, le thème ne me parlait pas. Et je n'ai pas envie non plus de voir le film, je ne sais pas vraiment pourquoi je fais ce blocage sur le sujet.
Ce serait tellement bien d'avoir une dernière lettre à lire... Et relire...
Un blocage ne s'explique pas mais l'humour, la beauté du film et l'interprétaion magistrale pourraient te plaire je crois.
Pas d'enfant cette semaine et 3 films au programme : Logan Lucky, Au revoir là haut et La passion Van Gogh (dont je ne sais pas trop quoi attendre parce que Van Gogh pour moi c'est le peintre ultime) + Detroit et Le sens de la fête la semaine dernière. J'ai l'impression de retrouver ma jeunesse !!
Moi aussi je la trouve belle cette lettre, poignante.
Beau programme.
Van Gogh est À MOI donc je ne me risque pas à voir ce film qui me semble sacrilège.
Tu vas bien t'amuser avec Logan Lucky et aussi avec Au revoir là haut en plus de l'émotion.
C'est une lettre tellement simple.
J'ai tant adoré le roman de Pierre Lemaitre que je pense, malgré les qualités indéniables du film de Dupontel, faire une impasse sur le passage par la salle obscure. D'autant plus, qu'au final, ma lecture ne date que de quelques mois et que j'ai encore mes propres images en tête.
Ah dommage. Tu vas rater un grand Nahuel (que tu avais tant aimé dans 120 battements) et de biens jolis masques et une petite fille extraordinaire (ce qui est rare au cinéma non ?).
Je n'aime ni les films de Jeunet que tu as en tête, ni Baz Luhrman et pourtant j'ai beaucoup aimé "Au revoir, là-haut". Je suis le premier étonné à dire vrai. Est-ce grâce à Lemaître ? l'effet masques ? les interprètes (Lafitte mortel, Arestrup impec, la p'tite Louise excellente, Vuillermoz tordant, et même ces dames un peu négligées par le scénario, Mélanie Thierry et Emilie Dequenne, tirent leur épingle (à cheveux) du jeu). Chapeau bas monsieur Dupontel.
Et rien sur NAHUEL ??? Extraordinaire pourtant.
Mélanie est impeccable comme toujours. Et Emilie a une tirade JOUISSIVE !
Comment ai-je pu zapper le petit argentin ! Excellent en effet.
Quant à Emilie, "laide de face mais belle de dot" ? décidément un goût de nouveau riche ce Pradelle !
Ah ouf ! Il ne passe pas inaperçu avec ses masques sublimes et ses yeux non moins...
Pradelle est visqueux à souhait.
Bonjour Pascale
Il est temps de mettre cartes sur table. Depuis que je lis ton blog je sais maintenant que je dois partager mon Clint et mon Keanu, entre autres. Je pensais être à l'abri en ce qui concernait les peintres. Je n'ai jamais été midinette, contrairement à ma sœur dont la chambre était couverte de posters de boys bands et acteurs jetables. De mon côté disons que j'ai quelques obsessions, dont Van Gogh fait partie. Je dois donc encore partager ? Il m'en reste peu de secrètes maintenant que je t'ai tout dévoilé. Juste comme ça, par hasard, sans aucun lien avec moi, que penses-tu de Nadar, Sarah Bernard, Cartier-Bresson et Harry Bosch ? Parce que bon quand même j'aimerais qu'il me reste quelque chose. Allez je suis bonne pâte je te donne ma dernière obsession : Gilbert Garcin (http://www.gilbert-garcin.com/263V.htm)
Ca fait 3 fois que je repousse pour la Passion van Gogh, je ne sais pas si je vais y arriver.
Tu partages peut-être mais pas moi. Clint et Keanu sont A MOI. Point. Et Vincent aussi. Depuis Amsterdam et la lecture de ses lettres, il me bouleverse encore plus.
Mais tu peux être rassurée. Tu as les photographes tout à toi. J'ADORE regarder des photos et j'en ai partout affichées chez moi, mais pas d'obsession sur leurs auteurs.
Quant à Sarah Bernard et Harry Bosch, bonne nouvelle, ils m'indiffèrent au plus haut point :-)
Non la Passion Van Gogh, définitivement sans moi. ça doit piquer les yeux ces (et pas SES) tableaux animés.
Même s'il n'a pas laissé son empreinte durable en moi, je suis sortie bouleversée de ce film qui rappelle comme les hommes aiment se faire du mal. Il a de nombreuses qualités, que tu cites, et c'est un grand film populaire.
Et bien contrairement à toi, il m'habite encore pas mal ce film.
Et oui, tu as raison c'est un grand film populaire.
Bonjour Pascale,
j'ai vu le film, j'ai été beaucoup moins emballée que toi... En fait j'ai lu le livre de Pierre Lemaitre et ce livre a été une grosse claque !
Alors j'avais vraiment ma propre adaptation dans la tête et voilà !
Si ce film est bien il ne supplante pas pour moi l’œuvre originale si riche que je t'invite à découvrir.
Bisous bisous
Oui dès que ma pile à lire diminue, il fera partie de mes lectures :-)
Tu ne devrais pas le regretter :-)
Bonne soirée
oups mon billet d'octobre où je parle du film dans la dernière rubrique :
https://imagimots.blogspot.fr/2017/11/octobre-declinant.html
Bises et bonne journée