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A GHOST STORY ****

de David Lowery ****

Un homme et une femme s'aiment tendrement et s'opposent de la même manière, sans cri ni agressivité. Elle souhaite emménager ailleurs, quitter la jolie petite maison au bout du chemin qu'ils occupent depuis des années. Pas lui.

Il finit par céder mais meurt dans un accident de voiture. Restée seule, la femme emplie de larmes et de chagrin continue sa vie sans joie, mécaniquement, puis la refait, selon l'étrange expression... Elle ne sait pas que son homme est là, près d'elle en permanence, qu'il l'observe, tente de l'apaiser en posant "sa main" sur son dos mais aussi subit les évènements dont il est le témoin sans pouvoir intervenir.

Faut-il que je vous avertisse ? Pour voir ce film il faut être dans un état de vigilance absolue. Ne pas le voir à la dernière séance du soir ou après un bon repas. D'une lenteur hypnotique, d'une tristesse abyssale, j'imagine aussi qu'il peut paraître ridicule si l'on n'entre pas immédiatement dans le postulat de départ : l'homme revient dès la morgue sous un épais drap blanc. Personne ne peut le voir que l'autre fantôme qui hante la maison voisine et avec qui il échange quelques "mots" occasionnellement.

La durée des plans fixes, filmés dans un magnifique format carré aux bords ronds, me semble tout à fait inédite. On adhère ou pas dès les premières scènes où jamais couple enlacé dans un lit n'a été aussi beau. L'amour, la tendresse envahissent l'écran. Il faut dire qu'après les Amants du Texas, David Lowery réunit à nouveau ce magnifique couple de cinéma, Rooney Mara et Casey Afleck pour une fois encore les séparer rapidement. Chaque plan est donc très long, très lent et invite à fuir ou à contempler ébahi et surtout à laisser l'esprit divaguer tranquillement sur les multiples questions et réflexions qui s'imposent. Ce n'est pourtant pas un film à thèses ou "intellectuel" mais il offre de s'interroger sur ce qui nous constitue et nous échappe, l'amour, la mort, le deuil, l'impermanence des choses et notre condition de mortel. On comprend mieux en observant ce fantôme ce que voulait dire Woody Allen : "l'éternité c'est long, surtout vers la fin".

Condamné à la double peine de voir l'amour de sa vie souffrir puis partir, le fantôme se met à errer dans la maison, chasse en les terrifiant les occupants successifs, trop bruyants, puis se met à errer dans l'espace et le temps avec comme point d'ancrage cette maison presqu'anodine, mais exceptionnelle car c'est celle où il a vécu l'amour.

Si j'avais cru qu'un jour je serais émue par un acteur sous un drap blanc ! Le voir souffrir, être jaloux, s'effondrer de chagrin, se jeter du haut d'un immeuble et observer toujours la vie, la mort sans pouvoir rien faire d'autre qu'être témoin fait mal. Comme la voir elle, passer l'épreuve d'avoir à changer les draps où son amour a dormi pour la dernière fois...

Ce film est l'opposé exact des films plein de bruit et de fureur qui enchaînent les scènes de façon épileptique. Ici prendre son temps ne veut rien dire et pourtant subtilement on voit que les années passent. C'est simple, la femme sort de la salle de bains, attrape les clés de sa voiture et sort... puis elle sort de la salle de bains, attrape les clés de sa voiture et sort... Et le fantôme est là, impassible, accablé de tristesse et de solitude, il regarde, il attend. Le temps se dilue et se dilate, il est là. Parfois il tombe à genoux et se met à gratter le mur dans lequel sa femme a glissé un petit mot comme elle l'a toujours fait. Il a le temps de le faire. Il sursaute, des intrus pénètrent dans la maison voire pire... Puis il se met à voyager dans le temps. On le retrouve à l'époque des migrants qui s'installent et toute l'épopée de la conquête de l'Ouest est évoquée en quelques plans, terribles, quelques sons. Et puis le présent et l'avenir s'invitent. Et le réalisateur ferme une boucle qui m'a terrassée. C'est d'une tristesse sans fin et sans fond.

La solitude éternelle des spectres que l'on a aimés est largement supérieure au chagrin qu'ils laissent en partant. ça fait un mal de chien de voir ce fantôme de la maison voisine qui attend le retour de ses habitants, se dissoudre brutalement en disant "je crois qu'ils ne reviendront plus". L'amour inopinément, accidentellement interrompu accable de chagrin celui qui part et celle qui reste mais c'est le sort du fantôme condamné à errer sans fin dans une solitude terrifiante qui fait le plus mal.

La caméra de David Lowry semble caresser ce film et les personnages de cet amour anéanti dont ils ne se relèvent pas. Les plans, les couleurs, les sons... tout est élégant, différent. Un film comme aucun autre.

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Je vous invite à écouter la sublime chanson du film composée par Daniel Hart, interprété par le groupe Dark Rooms, I get overwhelmed.

Commentaires

  • Je ne suis pas franchement tentée, c'est quoi au juste le propos du film ? Je croyais que c'était un remake de "ghost", mais tel que tu en parles, il me paraît beaucoup plus sombre.

  • RIEN à voir avec Ghost. C'est une méditation, une contemplation. La lenteur et les plans fixes très longs peuvent être rebutants.
    Je dirai que c'est une interrogation sur le fait que nous soyons mortels.
    C'est assez désespéré.
    Non, c'est complètement désespéré.

  • Ton article m'a émue aux larmes, je trouve que tu résumes bien mon ressenti sur ce film. Je l'ai trouvé très beau ( et oui, il faut y aller en pleine forme sous peine de louper l'essentiel). C'est aussi pour ça qu'il faut dire à ceux que l'on aime et qui sont partis, qu'on les aime, mais qu'il faut vraiment quitter la Terre, on ne doit pas les rendre malheureux à les garder près de nous. Une vraie beauté ce film :)

  • Oh ben zut si je te fais pleurer, mais avec ce film, il y a de quoi...
    Je n'ai pas compris que c'étaient les vivants qui retenaient les morts. Tu as compris ça toi ? J'y vois justement comme une punition (divine ou autre...) qui dit que le paradis c'est sur terre et pas après et que les morts sont condamnés à errer.
    Lorsqu'ils s'évaporent c'est quand eux-mêmes renoncent non ? Je ne sais plus. Vais-je reprendre 5 minutes de tarte... pour comprendre ?

  • Je reconnais la lenteur du film... N'empêche que j'ai adoré. Tu as raison, ils sont si beau enlacés dans leur lit. Magnifique.
    Des films comme ça, tu n'a l'occasion de n'en voir qu'un dans ta vie, tant il va à l'encontre des productions actuelles (et même d'antan).
    Je crois que par contre, j'ai fait une indigestion de tarte...

  • Ils sont magnifiques. Et il passe bien plus de choses que de les faire s'agiter avec une mine déconfite.
    Et oui c'est un film unique. Je suis contente que tu l'aies aimé.
    Quant à la tarte... c'est une scène absolument unique au monde également. Comment a t-elle pu ? Surtout quand on voit sa silhouette...

  • J'étais sûre qu'il était bien, mais j'attendais quand même ton avis...
    Plus qu'à trouver une salle qui le diffuse ( ni Sarrebourg, ni Saverne, ni Haguenau, ni Colmar...va falloir que j'ai aille à Strasbourg ! et vite, j’imagine qu'il sera pas diffusé longtemps ...
    Merci ! je t'embrasse !

  • Ce n'est pas le film le plus facile d'accès à tout point de vue mais il m'a transportée loin...
    J'imagine qu'il va vite être éjecté.
    J'espère que tu vas bien.
    Bisous.

  • Par contre, je m'interroge sur l'intérêt d'une image format carré bout rond. D'ailleurs était-ce vraiment un carré ou un bon vieux 4/3. Qu'est-ce que cela aurait changé de rester en 16/9 comme on a l'habitude de voir maintenant ?

  • Oui ce n'est pas carré c'est 4/3 d'après ce que j'ai lu. Mais comme je n'ai pas mesuré, j'y ai vu un joli carré. Je ne vois pas l'intérêt mais je suppose qu'il y en a un. En tout cas, j'aime bien ce format, qui ne conviendrait pas à tous les films.

  • Je comprends qu'on puisse avoir été emportée. Mais ça n'a pas été mon cas. Cela dit, la mise en scène est très chouette, esthétiquement il s'agit aussi d'une réelle réussite, c'est indéniable.

  • Et je comprends que ce film puisse irriter (même si ce n'est pas ton cas).
    Il est tellement unique et différent. Il m'a ratatinée :-)

  • Moi qui n'ai hélas vu que très peu de films au cours de l'année qui vient de passer, j'ai quand même eu la chance de découvrir celui-ci, et sans même avoir vu ton billet (et idem pour "Seule la terre": j'ai eu du flair!). En fait, j'avais été scotché par la bande-annonce il y a quelques mois et je m'étais fait un mémo mental!
    Bref, juste pour dire que j'ai moi aussi adoré cet ovni et l'expérience inédite qu'il m'a valu. Bon, je me suis un peu endormi pendant la tarte (il était tard, j'étais crevé), mais ça ne m'a pas empêché de plonger dans un spleen quasi hypnotique pendant et après le film. C'est tellement fort, désespéré, dense, beau, poétique, jamais vu...
    Pour info, la chanson du film (que j'écoute en boucle) a été composée par Daniel Hart, mais le bon titre est "I get overwhelmed" et c'est le groupe Dark Rooms ("Whatever hour you woke", c'est un instrumental de la BO).
    Big kiss

  • En effet tu as fait deux choix tout à fait excellents. Tant qu'à aller peu au cinéma autant voir des films différents. Mais je te connais, sans l'avoir vu tu vas pouvoir me faire une thèse sur The lost City of Z...

    Pour la scène de la tarte, tu noteras qu'il y a une cascade. Elle la commence debout et la termine assise et puis fonce aux chiottes. Oui oui elle fonce.
    Des gens ont quitté la salle...
    Moi c'est la scène de Raymond la Science qui explique la vie lamour les vaches qui a détourné mon attention. Quel con ce mec ! Et moche ! Tant qu'à être aussi chiant j'aurais préféré pouvoir me rincer l'oeil.

    Merci pour les précisions musicales sur cette sublime chanson. Je vais rectifier. En fait tu sais mieux que l'Internet mondial qui sait tout ! Je suis sur le uc.

    P.s. : un passage de ton commentaire m'intrigue... tu ne lis pas TOUS les articles de mon blog ?

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