de Woody Allen ***(*)

Avec Kate Winslet, Justin Timberlake, Juno Temple, James Belushi

Synopsis : Wonder Wheel croise les trajectoires de quatre personnages, dans l'effervescence du parc d’attraction de Coney Island, dans les années 50.

Ginny, ex-actrice lunatique reconvertie serveuse ; Humpty, opérateur de manège marié à Ginny ; Mickey, séduisant maître-nageur aspirant à devenir dramaturge ; et Carolina, fille de Humpty longtemps disparue de la circulation qui se réfugie chez son père pour fuir les gangsters à ses trousses.

Bien que Mickey nous assure en voix off que Coney Island n'est plus ce qu'elle était,  qu'elle est sur le déclin, on a l'impression à l'écran que ce Luna Park permanent est encore bien animé, voire agité. La Wonder Wheel du titre est toujours en arrière plan, témoin massif et muet. Et au cœur de cette agitation, on s'approche de 4 personnages que Woody place dans les tourments d'une tragédie signant ainsi un film d'une noirceur sans nom alors que rarement les couleurs auront été plus clinquantes.

Les couleurs, les lumières c'est ce qui attire l'œil immédiatement. Tout semble outré et les éclairages varient d'une scène à l'autre ; parfois à l'intérieur d'une même scène. La lumière est essentielle et Woody ne veut pas qu'on l'oublie. Comme si on pouvait. Mickey dira à Carolina :  "ton visage est si beau dans cette lumière pluvieuse". Oui, Woody continue d'être persuadé que la pluie est infiniment romantique. Et pas seulement à Paris manifestement. A un autre moment, on voit clairement des étoiles briller dans le regard du même personnage lorsqu'il déclare sa flamme. Je n'avais d'ailleurs jamais remarqué à quel point Justin Timberlake est beau. Et je ne dis pas ça uniquement à cause de son très seyant petit costume de bain.

Je ne m'attarde pas sur les références théâtrales, je suis trop nulle en la matière. Mais les références à Shakespeare, Eugène O'Neil sont nombreuses et malgré leur superficialité plusieurs personnages se baladent un livre à la main, ils se les prêtent, se les échangent, se les offrent. Par contre il m'est difficile de passer sous silence la comparaison qui semble s'imposer, à la fois à Tennessee Williams et à Elia Kazan. Dans une des scènes finales, Kate Winslet se transforme en Blanche Dubois. Rongée de chagrin, de jalousie, de culpabilité, dans sa robe de princesse, maquillée à outrance, ivre, elle tient encore debout. Mais, méconnaissable, le visage ravagé de dépit et de désillusion, entre la Vivien Leigh du Tramway et la Bette Davis de Qui a tué Baby Jane ?, aux frontières de la folie elle livre une prestation impressionnante et pour tout dire vraiment flippante. Ce moment risque de faire date. Je n'ai jamais vu Kate Winslet (sans aucun doute une de mes actrices favorites) dans un tel rôle, loin d'être sympathique, toujours au bord de l'explosion le visage parfois grimaçant.

Sensible, instable, imprévisible elle souffre d'insatisfaction chronique et de jalousie maladive, surtout envers sa belle-fille Carolina plus jeune qu'elle forcément qui va bientôt faire irruption dans sa vie. Ginny est persuadée d'avoir gâché son talent de comédienne, d'avoir gâché aussi son premier amour qu'elle a trompé et a épousé par dépit ce gros nounours de Humpty qui ne sait pas trop comment s'y prendre avec cette femme belle qui se rend laide à force de vouloir lutter contre les années qui passent et d'être insatisfaite de tout. Il lui reste de ce premier mariage un étonnant petit garçon tellement délaissé qu'il crève le cœur et passe son temps à mettre le feu autour de lui.

Pour tromper son ennui Ginny s'amourache, quoi de plus simple, du beau maître-nageur qui la fait rêver avec ses ambitions d'écrivain. Mais l'arrivée de Carolina avec son passé mouvementé et romanesque (elle est poursuivie par des tueurs) va venir sans le vouloir semer le trouble au milieu de cette embellie de courte durée. Juno Temple l'interprète et elle est à la fois fraîche, innocente et fatale.

Malgré la mer, la grande plage et New-York, on a parfois l'impression que le film se joue dans le huis clos de l'appartement qui offre une vue incroyable sur Coney Island rendue complétement féerique et hallucinatoire grâce aux lumières et aux couleurs changeantes. L'atmosphère est la plupart du temps étouffante, asphyxiante car ici tout le monde triche, ment, souffre, se trompe, trahit mais aussi rêve, sans doute un peu trop. Le bonheur échappe à tous. C'est triste, violent. On atteint pas le niveau de Midnight in Paris, Match Point ou (mon préféré) La Rose Pourpre du Caire, mais ce marivaudage cruel,  entre tragédie et film noir, sublimement interprété, superbement éclairé, somptueusement réalisé et aux dialogues évidemment savoureux est de ceux qu'on a immédiatement envie de revoir.