ANNONAY 2018 - BRAGUINO
de Clément Cogitore ***(*)
Synopsis : Au milieu de la taïga sibérienne, à 700 km du moindre village, se sont installées 2 familles, les Braguine et les Kiline. Aucune route ne mène là-bas.
Seul un long voyage sur le fleuve Ienissei en bateau, puis en hélicoptère, permet de rejoindre Braguino. Elles y vivent en autarcie, selon leurs propres règles et principes. Au milieu du village : une barrière. Les deux familles refusent de se parler. Sur une île du fleuve, une autre communauté se construit : celle des enfants. Libre, imprévisible, farouche. Entre la crainte de l’autre, des bêtes sauvages, et la joie offerte par l’immensité de la forêt, se joue ici un conte cruel dans lequel la tension et la peur dessinent la géographie d’un conflit ancestral.
Après avoir plongé quelques soldats français terrorisés au cœur du conflit afghan dans Ni le ciel ni la terre et immergé le spectateur dans une profonde interrogation sur les religions, le non sens de la guerre et ses dommages collatéraux, Clément Cogitore nous dépose en hélico au milieu de nulle part. Dans un recoin de la Sibérie qui semble oublié des hommes et des Dieux. A nous de nous dépatouiller avec ce que l'on voit. En 50 mn saisissantes et étouffantes bien que l'on se trouve en pleine nature on assiste au spectacle de la survie de quelques poignées d'hommes, de femmes et d'enfants qui semblent avoir refusé la société telle qu'on la connaît.
Pas de commentaires. Les images doivent suffire. Quelques lignes de dialogues. Seuls le grand-père et la grand-mère s'expriment. Ce qui les mine surtout est le conflit tacite qui les oppose à leurs voisins. Même si nous n'avons que le point de vue des Braguine, leurs voisins les Kiline revendiquent de la même manière d'être arrivés les premiers sur ces terres qui n'appartiennent à personne. Même au milieu de nulle part, l'humanité en arrive le plus vite possible à se livrer à une guerre. "Il va finir par y avoir un meurtre" assure le patriarche. On a juste envie de leur dire que sur ce territoire immense, il y a de la place pour les deux clans...
Cet homme sans âge communie littéralement avec la nature. Dès qu'il entre chez lui, il a la sensation d'étouffer. C'est un chasseur-cueilleur je dirais, qui semble représenter à lui seul l'écologie. Il a compris et ne chasse que ce dont il a besoin pour faire vivre sa famille. Alors que bien sûr selon lui, les Kiline tuent aussi pour le plaisir. Et la violence larvée qui semble tapie dans l'ombre, la peur des enfants qui observent sans broncher les enfants de la famille adverse qui les narguent, tout concourt à faire planer un sentiment d'angoisse, de paranoïa sur chacun.
La blondeur presqu'irréelle des enfants, la forêt qui entoure et écrase tout, les ours qui rodent et grognent alentours, les craquements permanents et le climat humide font planer sur le film une atmosphère quasi féerique alors que parfois le vacarme assourdissant d'un hélicoptère qui dépose des chasseurs à l'agressivité incompréhensible replonge ce microcosme dans la peur.
Le spectateur sort du film complètement sonné, éprouvé par ce qu'il vient de vivre comme si l'Eden devait être confisqué à ceux qui osent le créer parce que d'autres hommes s'acharnent à le transformer en paradis perdu.
Evidemment on ne sait pas toujours que penser de ce que l'on voit. Mais les enfants, même s'ils s'expriment peu, ont l'air d'aller bien et qui sait, avec un peu d'optimisme au lieu de sentir la menace, peut-être qu'en fait les deux bandes "rivales" de gamins qui ne montrent aucune agressivité l'une envers l'autre et s'observent sans vraiment se regarder, un jour, à l'inverse de leurs parents, vont se parler ?
A noter cette scène hallucinante où un ours, à la fois aimé, craint et respecté, mais forcément menaçant est abattu. Ni triomphalisme, ni cruauté de la part des deux chasseurs qui ont également réussi à nous faire rire lorsqu'ils se retournent vers le caméraman qui filme : "vous avez peur d'un ours ?"
Après avoir dépecé la bête, une petite fille qui passe son temps avec des rubans dans les cheveux et vêtue de robes de princesses qui scintillent porte aux pieds les pattes découpées de l'ours...
Une expérience démente !
Commentaires
Ouais... ça doit être fou ! Je le verrai... un jour.
C'est le genre de documentaires qui me fait m'interroger sur la manière dont ils étaient préparés et finalement filmés.
C'est un film incroyable terrible exigeant.