FESTIVAL EFFERVERSCENCE MÂCON
QUELQUES FILMS DU JOUR
L'HOMME QUI RIT de Jean-Pierre Améris ****
Sélection adolé-sens
Le film est inspiré de l'oeuvre dense, complexe, passionnante et intimidante de Victor Hugo. Une histoire terrible et incroyable. Celle de deux enfants. L'un Gwynplaine défiguré dès son plus jeune âge par une cicatrice qui donne à son visage un sourire permanent, victime des comprachicos qui a l'époque enlevaient ou achetaient les enfants, les mutilaient pour les exposer comme des monstres. L'autre Déa, une fillette aveugle que Gwynplaine a sauvée de la mort une nuit de tempête. Les deux enfants abandonnés, orphelins sont recueillis pas Ursus, un saltimbanque, philosophe et guérisseur. Sous des dehors rugueux et misanthrophe le vieil homme dissimule des trésors de tendresse et de bonté. Incidemment, il découvre que le visage du garçon provoque l'hilarité et c'est ainsi que le spectacle de "L'homme qui rit" voit le jour. La petite troupe sillonne alors avec bonheur les routes d'Angleterre. Gwynplaine et Dea s'aiment et deviennent inséparables, sous l'oeil bienveillant et inquiet d'Ursus qui sait que pour vivre heureux il est préférable de vivre cachés. Les foules se pressent pour découvrir Gwynplaine, lui assurent une célébrité sans cesse croissante jusqu'à arriver aux oreilles de la Cour...
D'emblée il faut écarter l'idée de l'adaptation à la lettre d'une oeuvre littéraire grandiose et colossale. Il s'agit ici de la vision d'un réalisateur à propos d'une histoire qui le hante depuis ses quinze ans. L'histoire de deux adolescences meurtries par la différence. Alors que le handicap de Dea aveugle semble vécu sereinement, Gwynplaine souffre de son apparence. Comment en étant à ce point différent, monstrueux, trouver sa place dans ce monde et être heureux ? Rien que l'idée d'évoquer cette douleur, celle de ne jamais se sentir à sa place suffit à me bouleverser. Et le film l'est, bouleversant, par la grâce de cette vision personnelle qui transforme l'oeuvre, sans jamais la trahir, en un conte horrifique, terrifiant sans pour autant négliger un humour apaisant alors que le drame pèse inéluctablement. Et par celle d'acteurs véritablement habités par la beauté et la puissance de leurs personnages. Chacun semble avoir compris que "La vie n'est qu'une longue perte de tout ce qu'on aime". Malgré cette menace qui les nargue, Gwynplaine s'abandonne un temps à l'illusion d'être accepté sans masque, malgré sa différence et à celle encore plus folle de changer le monde puisqu'il obtient soudainement le pouvoir de siéger au Parlement. Sa diatribe face à la Reine et aux parlementaires : "Ce qu'on m'a fait, on l'a fait au genre humain", puissante, bouleversante vire à la farce. Des bouffons ridicules le remettent à sa place, trop tard.
Dans un décor de carton pâte assumé, revendiqué, Jean-Pierre Améris ne cherche pas la réconstitution historique. On ne verra donc pas de "carrosses rouler devant des châteaux du XVIIIème siècle". On restera plutôt concentrés sur les personnages principaux et leurs visages, même si l'ambiance "timburtonnienne" évoque Edward aux Mains d'Argent et la mer synthétique celle admirable du Casanova de Fellini. Mais qu'on ne s'y trompe pas, le sublime, génial, inoubliable Joker composé par Heath Ledger s'inspire totalement de l'Homme qui rit de Victor Hugo (et non l'inverse). Il n'y a donc rien de paradoxal à ce que le "masque" de Gwynplaine l'évoque de façon aussi troublante. Mais alors que le Joker blessé aussi au plus profond de sa chair n'aspire qu'au mal, Gwynplaine est d'abord un jeune héros courageux qui a sauvé une fillette, puis un homme honnête qui rêve de justice et d'amour. Marc-André Grondin incarne avec une belle présence inquiète et naïve cet être meurtri, aimé au-delà de ce qu'il espère et totalement ébloui par cet amour.
Emmanuelle Seigner belle et cruelle Duchesse se servira un temps de Gwynplaine pour surmonter un ennui abyssal et l'utilisera comme une distraction. Elle verra en lui le véritable miroir de son âme noire. "Ce que tu es dehors, je le suis dedans". Et l'actrice offre à son personnage une intensité et une fêlure touchantes qui évoquent la Madame de Merteuil des Liaisons Dangereuses.
Dea est la jeune fille pure qui aime et protège Gwynplaine, parfois malgré lui. Elle connaît l'essentiel invisible pour les yeux. Elle ne peut comprendre que Gwynplaine craigne qu'elle ne l'aime plus si elle venait à découvrir sa laideur. "Comment peux-tu être laid puisque tu me fais du bien ?". Christa Théret, une nouvelle fois surprenante incarne avec une grâce magnifique cet ange aveugle, simple et vertueux. Elle est d'une expressivité réellement impressionnante empruntée aux grandes actrices du muet. Et ici comme une réincarnation, jusque dans ses gestes de la Virginia Cherril des Lumières de la ville de Charlie Chaplin.
Quant à Gérard Depardieu, jamais aussi bon que dans les grands classiques qui ont contribué à sa gloire, il est ici exemplaire de sobriété. D'une présence forcément imposante, il laisse néanmoins toute la place à ses partenaires et à cet ange fragile et gracile qu'est ici Christa Théret. Et pourtant chacune de ses apparitions alternativement drôles ou bouleversantes le rendent une fois encore inoubliable dans ce rôle de père déchiré, impuissant à sauver ses enfants de leur destin.
Jean-Pierre Améris nous saisit donc dès la première image implacable et cruelle et ne nous lâche plus jusqu'au final poignant. Il concentre son histoire en une heure trente, sans digression inutile accompagnée d'une musique ample et idéale. Et c'est à regret que l'on quitte ces personnages follement romanesques et romantiques.
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L'échange des Princesses de Marc Dugain **
Sélection adolé-sens
Un peu plus loin, un Roi vit seul avec sa Princesse de fille. Alors que la belle se morfond d'ennui ne rêvant que d'épousailles, le Roi se prend de passion pour une puce qui deviendra monstrueuse à force d'être nourrie. Il offrira sa fille à un ogre pour ne pas perdre la face devant ses sujets.
Qu'est-ce qui relie ces trois histoires ? A peu près rien et pratiquement tout. Des histoires tristes de rois et de princesses dans un univers peuplé de sorciers, de monstres, de beautés idéales, de maléfices et de sortilèges. Chacun insatisfait de son sort rêve d'ailleurs, de mieux, de différent et tous en paieront le prix fort. Ces histoires sont tirées d'un ouvrage italien du XVIIème siècle de Giambattista Basile publié à titre posthume : Le Pentamerone ou Conte des Contes, recueil de cinquante contes populaires napolitains. Il semblerait qu'ils aient en partie influencé plus tard les incontournables et beaucoup plus illustres chez nous Charles Perrault et frères Grimm.
Voilà un film qui a ce que j'appelle un double effet kiss-cool... vous savez l'effet qui survient après le premier effet. J'adore ça. Lorsque je suis sortie de la salle, j'étais moyennement satisfaite et donc aussi moyennement déçue. Déçue qu'il ait cette facture internationale (beaucoup de stars avec accents puisque tout le monde s'exprime en anglais...) au lieu d'avoir été tourné dans son pays d'origine l'Italie avec surtout des acteurs et la langue du cru. J'ai aussi eu l'impression que c'était un peu long et que les histoires n'avaient pas toutes trouvé leur épilogue. La sensation que certains personnages avaient disparu sans qu'on connaisse leur destin.
Finalement, deux jours plus tard, je dois reconnaître, que la plupart des personnages ne m'ont pas quittée et reviennent peupler mes pensées (sauf le Roi (Toby Jones) et sa puce géante : eurcke !), et c'est bien bon. Et je retournerais bien dans ces pays imaginaires oniriques et cauchemardesques où il se passe de bien étranges choses. Et je me laisserais mieux porter par ces atmosphères déconcertantes, baroques, inhabituelles où l'on est jamais bien loin de l'horreur quand on croit s'approcher de l'inaccessible étoile.
L'amour est l'objet de bien des tourments, celui d'un roi pour son épouse, d'une mère pour son fils, de deux faux frères l'un pour l'autre, d'un père pour sa fille, d'un roi pour la beauté, de filles pauvres pour l'éternelle jeunesse !
Saltimbanques généreux et épanouis, noblesse insatisfaite, lavandières désespérées, ogre amoureux, jumeaux albinos... tout ce monde évolue dans des décors que l'on jugera hideux ou féerique. J'ai choisi mon camp.
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MARIE HEURTIN Jean-Pierre Améris ***
Séance spéciale Handicap sensoriel
(en présence de Jean-Pierre Améris)
A l'Institut de Larnay près de Poitiers à la fin du XIXème siècle des religieuses prennent en charge des jeunes filles sourdes. Bien que n'étant pas enseignante, à force d'observation, Sœur Marguerite au fil du temps est parvenue à maîtriser le langage des signes.
Un homme de condition modeste, refusant de placer sa fille Marie dans un "asile" (c'est tout ce qu'on proposait à cette époque à ces enfants que l'on considérait évidemment débiles) l'amène à l'Institut. Mais la Mère Supérieure ne peut accepter cette enfant non seulement sourde mais aussi aveugle... Sœur Marguerite insiste pour s'occuper exclusivement de Marie. La Mère Supérieure cède devant son obstination. C'est ainsi que Marie entre à l'Institut.
Marie, malgré la tendresse de ses parents totalement impuissants face au handicap de leur enfant a grandi livrée à elle-même. Elle ne se lave pas, ne se coiffe pas, ne communique pas et se comporte presque comme un animal. Il faudra des mois et des mois de persévérance et d'obstination pour que Sœur Marguerite réussisse enfin à obtenir des premiers résultats. Fort encourageants, car dès que Marie aura compris qu'elle peut s'exprimer, se faire comprendre, et comprendre les autres, elle développera des capacités et une aisance hors du commun. Le langage des signes, l'alphabet Braille, la relation entre les signes et les objets n'auront plus aucun secret pour elle.
Toujours passionné par les êtres différents, par le handicap voire par les monstres, Jean-Pierre Améris aborde l'histoire de Marie Heurtin avec infiniment de délicatesse et de sensibilité. Difficile de ne pas penser à l'Enfant Sauvage de François Truffaut, même si Victor ne présentait aucun handicap physique, tant cette petite Marie se comporte comme un petit animal sauvage, parfois violent et imprévisible. La relation entre l'élève et son enseignante devient évidemment de plus en plus intime et l'attachement de l'une à l'autre semble inévitable. Mais ce qui impressionne surtout c'est la persévérance inébranlable de Sœur Marguerite que la violence de son élève parfois ne découragera jamais.
Les sons, les bruits ont une importance capitale et l'on prend conscience, forcé de se concentrer sur le bruissement des feuilles, le souffle du vent, la lumière qui filtre au travers des branches, à quel point on oublie que le monde est beau et quelle chance on a de posséder ces sens merveilleux que sont la vue et l'ouïe.
Le langage des signes est déjà follement élégant à observer je trouve, mais le fait que Marguerite et Marie doivent constamment se toucher pour se comprendre ajoute un aspect terriblement sensuel. Et le toucher, autre sens capital, prend ici une toute autre dimension. Vital.
Isabelle Carré, impliquée comme jamais, et Anna Rivoire jeune actrice sourde, sont magnifiques et bouleversantes.
Commentaires
Tu enchaînes à toute allure dis donc ! J'ai beaucoup aimé "l'échange des princesses".
Je ne vais pas tout revoir... les journées seraient trop courtes.
Alors j'avais vu l'Homme qui rit au cinéma, et je me souviens qu'il m'avait fort déplu !
Ah dommage.
Les horaires ne correspondaient pas à mon emploi du temps mais j'aurais aimé le revoir.
Je n'ai vu que Holy Motors il y a quelques années... Est-ce les noms d'Eva Mendes ou Kylie Minogue qui avait attiré mon oeil sur l'affiche plus que celui de Leo Carax... Je ne sais plus. Et de mémoire, il me semble que j'ai plutôt (à mettre au conditionnel) bien apprécié... Je me souviens effectivement de cette balade en limousine, d'une descente dans les égouts visite guidé d'un cimetière. Je semble avoir retenu plus les lieux que l'histoire...
Tout ce dont tu me parles me revient en mémoire.
Je n'ai jamais apprécié Eva et la scène de Kylie est selon moi parmi les plus ridicules du film.
Le genre de film qui hélas n'a pas de seconde chance. Pas envie de m'infliger ça à nouveau.
La seule scène qui a grâce à mes yeux, celle de Denis Lavant dans l'Eglise.