ROUBAIX, UNE LUMIÈRE
d'Arnaud Desplechin ***(*)
Avec Roschdy Zem, Léa Seydoux, Sara Forestier, Antoine Reinartz
Synopsis : À Roubaix, un soir de Noël, Daoud le chef de la police locale et Louis, fraîchement diplômé, font face au meurtre d’une vieille femme. Les voisines de la victime, deux jeunes femmes, Claude et Marie, sont arrêtées. Elles sont toxicomanes, alcooliques, amantes…
Le titre m'échappe, je n'en ai pas l'explication car de lumière il y en a peu, à moins qu'il ne s'agisse de celle du malheur qui enveloppe les personnages. L'histoire est poisseuse, crasseuse, basée sur des faits réels survenus en 2002 à Roubaix, une des villes les plus pauvres de France comme la voix off nous le rappelle. Roubaix est la ville dont est originaire le réalisateur qui dit-il, la filme depuis des années avec culpabilité. Malgré son beau métro, ses lignes de tram, son dynamisme en matière de transition écologique la ville jadis prospère grâce aux industries textiles et du charbon connaît encore les effets de la désindustrialisation et un taux de chômage toujours croissant de plus de 30%.
La famille ou les souvenirs d'enfance, d'adolescence réels ou fantasmés ne sont pas au centre du propos mais une histoire ancrée dans un environnement social qui n'invite pas à la rêverie. Ici, il filmera la misère et la détresse au travers notamment de deux personnages à la dérive.
C'est en partie dans un commissariat que Desplechin place cette fois sa caméra et suit plusieurs histoires (incendie, volontaire, vol, viol, meurtre) pour finir par ne plus se concentrer que sur une seule. Le film démarre un soir de Noël, le commissaire Daoud arpente en voiture les rues de "sa" ville. Il y est né. Il est le seul de sa famille à ne pas être retourné au bled, ainsi qu'un cousin à qui il rend visite en prison et qui le hait d'être devenu flic. Le ton du départ est pourtant presque burlesque car il ne faut pas être un fin limier pour découvrir que l'homme qui se précipite au commissariat pour conter sa mésaventure cherche bien lourdement à maquiller une escroquerie à l'assurance. Mais on ne la fait pas au Commissaire Daoud qui avec un certain humour et beaucoup de bienveillance essaie de recadrer l'apprenti escroc.
Puis le Commissaire distribue à chacune de ses équipes les "cas" à traiter. C'est le meurtre d'une vieille dame dans un quartier sinistré de la ville qui va mettre Daoud en présence de Claude et Marie, deux jeunes femmes qui vivent ensemble et témoignent en tant que voisines de la vieille dame. La première demi-heure est quasi documentaire. On découvre des flics dans leur environnement, dévoués, impliqués, des citoyens au bord de la misère.
Le témoignage des filles finit par ne vraiment plus tenir la route. De témoins, elles deviennent rapidement suspects. A la limite de la marginalité les deux jeunes femmes, alcooliques, vaguement droguées, désoeuvrées, dont l'une a un "gosse" qu'on ne verra jamais n'auront de cesse de modifier leurs témoignages, de renvoyer à l'autre la responsabilité ou l'initiative des faits puis de se libérer du poids de l'horreur en une scène de reconstitution saisissante.
L'art de Desplechin et de ses deux actrices formidables, Léa Seydoux et Sara Forestier est de nous permettre d'entrer totalement en empathie avec ces deux petits monstres. On ne les excuse pas mais on les plaint. Il aurait sans doute suffi de pas grand chose pour que leur destin bascule du bon côté. La deuxième partie du film est captivante. Une succession d'interrogatoires, répétitifs et tous différents sont au cœur du procédé qui met en place le gentil flic qui ne s'énerve jamais et le méchant flic qui crie, affirme qu'il sait. La technique est éprouvante et déroutante pour deux personnes aussi fragiles que Claude et Marie.
La narration de ce fait divers, de ce crime sordide (y'en-a-t-il de délicat ?) est portée, voire transcendée par l'interprétation irréprochable d'un trio d'acteurs époustouflants. On ne s'étonne pas que Roschdy Zem soit formidable. Il est ici exceptionnel, au sommet de son charisme. Quant à Léa Seydoux et Sara Forestier, elles sont entrées avec abnégation dans la peau de leurs personnages, loin de tout glamour, mines défaites et cernes apparents.
Le reste du casting est tout aussi épatant.
La seule réserve que j'émets vient du personnage de Daoud qui finit par être un tantinet donneur de leçons, voire même un chouïa devin comme si son boulot de flic lui permettait de voir à travers les âmes.
Je recommande néanmoins chaudement ce film.
Commentaires
Je compte bien y aller très vite.
Je me doute.
Recommander chaudement alors que la température moyenne annuelle à Roubaix avoisine péniblement les 13° ça s'appelle faire sa Evelyne Dhalia ... ;-)
Seydoux & Forestier, 2 raisons suffisantes pour zapper ce Once Upon a Time in Roubaix.
Je suis rassurée, le haggis a cessé de faire effet :-)
Tu nous le fais avec l'accent ch'ti ?
De Roubaix, je ne connais que sa piscine, une lumière bien différente...
Seulement en privé :-)
Sublime cette piscine.
https://www.telerama.fr/sites/tr_master/files/styles/simplecrop1000/public/la_piscine_roubaix_02_0_0.jpg?itok=SPsW08ou&sc=ab28081e47b7a35ca2de79a0f99d7d51
Bonsoir Pascale, c'est un collègue qui est originaire de Lille qui m'a aussi parlé de la piscine à Roubaix. Un très bel endroit. Et un film à voir. Bonne soirée.
Bonsoir dasola. C'est une ville pleine de contradictions.
Tu m'as donné fort envie ! De plus il y a bien longtemps que je ne me suis fait un Depleschin.
On dirait du L 627 avec un peu de "Police" façon Pialat dans ce que tu décris. Une petite dose de Dardenne aussi. Roubaix la nuit semble superbe.
Voilà, il y a une pincée de tout cela à la sauce Desplech' et avec 3 acteurs au top.
La Bande annonce a fini par me sortir par les trous de nez, et pourtant j'aime vraiment bien le réal. Je ne suis pas tellement tentée par les actrices non plus. Mais ton avis me fait quand même réfléchir ... pourquoi pas !
Je comprends, on sature de certaines BA.
Je ne suis pas fan de Léa qu'on voyait partout à un moment et que je ne trouvais pas très bonne. Elle est vraiment bien ici. Sara a déjà fait ce genre de prestation, mais son naturel me séduit toujours.
Roschdy est sublime et rater un Desplechin ça ne se fait pas :-)
Pour ma part, j'ai été déçu. Peut-être que j'attendais trop du film. Mais j'ai eu l'impression de voir deux films différents qui ne s'imbriquaient pas toujours bien, l'un romanesque et dostoïevskien (le personnage de Daoud, un espèce de saint qui voit tout), l'autre tendant vers le documentaire (la reconstitution du fait divers avec les longs interrogatoires). Mais les acteurs sont bien, ainsi que certaines scènes. Plus de détails chez moi.
Oui j'ai lu chez toi. Mais je ne me sens pas de taille à "discuter" ton point de vue, les points de vue en général :-)
Je suis quand même d'accord qu'il y a deux "parties" distinctes et le côté je vois tout, je sais tout de Daoud m'a un peu agacée.
Voilà, j'ai été à Roubaix la nuit dernière. Ca tombait bien c'est l'approche de Noël. J'ai trouvé le flm très intéressant et même beau par moment, surtout au début. Du rythme avec toutes ces "affaires" à distribuer au petit matin, les cas de la nuit. Et puis l'interrogatoire des deux filles, un peu long à mon goût, un peu lent aussi. Mais à Roubaix, il y a Roschdy, impeccable comme toujours, comme dans l'innocent. Je n'ai pas l'habitude de voir du Desplechin, mais là dans l'ensemble j'ai bien aimé. Un beau film, une belle soirée.
Se faire un Desplechin en guise de conte de noël, ça fait sens. Et le passage par Roubaix et sa lumière impératif.
L'incontournable et merveilleux Roschdy tellement à l'aise en good cop doux.
Peut-être que le Conte de Noël te plairait. J'avais beaucoup aimé.
Pas mieux.