SEULES LES BÊTES
de Dominik Moll ****
Avec Denis Ménochet, Laure Calamy, Damien Bonnard, Valeria Bruni Tedeschi, Guy Roger Ndrin, Marie Victoire Ami
Une femme disparaît. Le lendemain d’une tempête de neige, sa voiture est retrouvée sur une route qui monte vers le plateau où subsistent quelques fermes isolées.
Alors que les gendarmes n'ont aucune piste, cinq personnes se trouvent liées à cette disparition. Chacune a son secret...
Quel lien et quel rapport peut-il bien y avoir entre des agriculteurs et des habitants du fin fond des Causses, isolés voire solitaires et quelques jeunes gens d'Abidjan ville grouillante et surpeuplée, coupables de cyber criminalité ? En cinq chapitres qui portent le prénom de cinq personnages, Dominik Moll boucle la boucle de ces six degrés de séparation et nous invite à un jeu de piste passionnant d'un plateau enneigé au Sud du Massif Central aux ruelles poussières et bruyantes d'une ville africaine.
Chaque chapitre revoit et corrige l'histoire du point de vue d'un nouveau personnage et apporte un éclairage nouveau ou de nouvelles zones d'ombre. Comme l'affirme le réalisateur, c'est un véritable parcours ludique pour le spectateur: "Cette structure singulière rend aussi le spectateur particulièrement actif. Changer de point de vue peut dérouter un instant mais ça devient vite ludique et excitant."
Alice (Laure Calamy) est l'employée d'une mutuelle qui se rend chez les adhérents pour les aider à remplir certains documents. Elle retrouve Joseph (Damien Bonnard) agriculteur taiseux et solitaire très perturbé par la mort récente de sa mère. Il prétend ne savoir s'adresser qu'aux bêtes. Alice en est amoureuse alors qu'elle est mariée à Michel (Denis Ménochet) agriculteur lui aussi, bourru. Leur couple bat sérieusement de l'aile. De son côté Marion (Nadia Tereszkiewicz) jeune serveuse de restaurant a eu une aventure amoureuse avec Evelyne Ducat (Valeria Bruni Tedeschi) la disparue... Ces cinq personnages dont certains se connaissent et d'autres pas, vont se retrouver impliqués ou simplement reliés à l'affaire de la disparition.
Le film est dense, complexe et limpide à la fois. Tout se recoupe, tout se tient et le réalisateur en profite pour explorer en parallèle des thèmes qui n'ont pas de rapport avec l'intrigue proprement dite. Comme le "sort" consenti par Monique, une jeune abidjanaise "entretenue" par un français, "mon blanc" comme elle l'appelle qui lui fiche une paix royale à condition qu'elle se rende disponible lors de ses visites en Côte d'Ivoire. Ou encore l'influence, l'omniprésence, l'omnipotence même du réseau internet qui relie tous les individus de la terre en un clic et les isole et les expose par ailleurs.
Le malaise s'installe rapidement car les personnages semblent tous avoir des choses à cacher et plus les révélations apparaissent, plus on les trouve suspects. Les faits qu'Alice invente, imagine, confirmés par les images, paraissent très plausibles dans la première partie du film et complètement invraisemblables dans la seconde. Son personnage comme celui de son mari Michel deviennent presque les victimes consentantes et pathétiques de leur imagination et de leur culpabilité morale. Mais tous les personnages, s'ils sont également pathétiques, sont aussi touchants dans leur solitude et leur soif d'amour. Car finalement, tout le monde est dans le même sac, les paysans du plateau, les crâneurs d'Abidjan et les bourgeois qui se croient au-dessus de tout.
C'est sombre et brillant et on sort de ce casse-tête implacable et jubilatoire avec la certitude d'avoir assisté à la construction d'un puzzle irrésistible mais cruel, où toutes les apparences sont d'abord trompeuses. Le réalisateur nous démontre qu'il ne faut pas seulement croire ce que l'on voit.
L'intréprétation est de haute volée : Denis Ménochet, pathétique et touchant, Laure Calamy tellement positive et aveuglée, Damien Bonnard border line, Valeria Bruni Tedeschi exceptionnelle quand elle hausse le ton et tous les jeunes d'Abidjan, d'une fraîcheur et d'une naïveté désarmante.
Offrez-vous ce cluedo infernal.
Commentaires
Coïncidence, j'étais justement prête à lire le roman. Du coup, je vais peut-être choisir plutôt le film.
Le roman me tente bien.
Ça ne me gêne pas de le faire après avoir vu le film.
En ce moment je suis dans John Irving. Jai cherché chez toi, il n'y est pas.
Coucou
ça fait drôlement envie (si je puis dire) mais néanmoins le livre de Colin Niel me tente beaucoup.
Le cinéma s'empare de plus en plus de la littérature ce n'est pas neuf mais je trouve qu'en ce moment c'est de façon très récurrente.
Bises
Oui c'est vrai, beaucoup de livres adaptés.
J'ai envie de le lire. Ce doit être labyrinthique.
Ca ne me disait rien, mais ton avis confirme ce que j'ai cru lire des critiques, je vais peut être y aller demain soir :)
Oui, il vaut le coup.
Dominique Moll est doué pour laisser installer le malaise, pensons à Harry, un ami qui vous veut du bien...peut-être nous irons le voir. Valeria Bruni Tedeschi, elle sait hausser le ton ?;)
C'est mieux que Harry d'après moi.
Oui, elle m'a épatée et beaucoup plu.
Cela fait un moment que j'ai lâché Dominik Moll, il serait peut-être temps que je m'y remette. Celui-ci a tout pour me plaire, et en plus il a ton approbation.
Petite question annexe : se passe-t-il une semaine sans qu'un film sorte avec Damien Bonnard ?
Je le trouve franchement meilleur qu'Harry qui était déjà bien bon. Depuis, rien ne m'a plu je crois. Sauf là !
Damien Bonnard est encore une fois excellent dans un registre encore différent. Incroyable ce garçon.
Bonjour Pascale, ca y est, après une privation cinématographique de presque 2 semaines pour cause de grève, je suis enfin aller voir Seules les bêtes et j'ai aimé. Les acteurs sont en effet très bien, même Valéria Bruni Tedeschi (que je n'aime pas d'habitude). L'engrenage meurtrier de cette histoire est terrible. J'ai envie de lire le roman. Bonne journée.
Bonjour dasola. Oui ça donne envie de lire et Valeria m'a également très agréablement surprise.
Une amie parisienne marche 1h10 chaque jour pour trouver un bus et aller au travail... et rebelote le soir.
J hésitais entre notre dame et seules les betes ! Finalement ta critique et les autres lues sur notre dame me font choisir D. Moll !
Bon choix.
Jirai sans doute voir Notre dame bien que je trouve Melle Donzelli insupportable.
Merci de cette critique qui donne envie sans laisser transparaître la solution. Je suis passionnée de la théorie des six degrés de séparation, et le livre de Colin Niel l'illustre directement. Plus que la lecture du livre dont est tiré le film, ce dernier a plutôt relancé mon intérêt pour cette théorie, et pourquoi pas, tenter un jour de la tester.
Même si je t'écris moins souvent, sache que mes pensées bienveillantes t'accompagnent toujours.
Oh merci. Ravie de te retrouver même brièvement.
C'est le propre de l'Arlésienne de disparaitre.
Cette théorie m'intrigue.
Le film est implacable.
Gros bisous.
Oui, c'est vrai, j'ai fait ma vraie Arlésienne...
Pour la théorie, elle reste quand même assez... théorique ;-)
:-)