AN ELEPHANT SITTING STILL
de Hu Bo ****
Avec Yuchang Peng, Yu Zhang, Uvin Wang
Au nord de la Chine, une vaste ville post-industrielle et pourtant vide, plongée dans un brouillard perpétuel qui semble piéger ses habitants. Un matin, une simple altercation entre deux adolescents dans un lycée dégénère et va souder les destins de quatre individus brisés par l’égoïsme familial et la violence sociale.
Une obsession commune les unit : fuir vers la ville de Manzhouli. On raconte que, là-bas, un éléphant de cirque reste assis toute la journée, immobile…
Sans le "rattrapage" annuel initié par Télérama je n'aurais pu voir ce film. Il dure quatre heures... que je n'avais pas trouvées lors de sa sortie en janvier dernier. Un tel choc ne peut se découvrir que sur grand écran même si on y étouffe. Ce film est et restera le seul et unique de Hu Bo qui s'est donné la mort à 29 ans avant même la sortie du film. On pourrait presque dire que l'on comprend son geste tant le message qu'il assène tout au long de cette histoire est désespérée, désespérante. La vie n'a aucun sens, elle est infernale et le sort des êtes humains est sans espoir. Alors peut-on voir dans la toute dernière scène où les personnages sortent d'un bus de nuit pour se dégourdir les jambes et sont juste éclairés par les phares, une légère lueur d'espoir quant au sort des personnages, alors qu'au loin retentit un long barrissement et puis soudain la musique du générique ?
Le réalisateur hongrois Bela Tarr ne tarit pas d'éloge à l'égard de Hu Bo : "Je reçois beaucoup de candidatures d’apprentis-cinéastes chinois qui souhaitent participer à l’atelier que j’anime au festival de Xining. Mais lorsque je l’ai rencontré, j’ai su immédiatement qu’il avait quelque chose. C’était quelqu’un de très digne. Son regard révélait une forte personnalité peu commune. Il avait une vraie vision du monde. [...] Nous avons perdu un cinéaste très talentueux, son film restera parmi nous pour toujours".
Que dire de ce film nimbé d'un brouillard tenace qui rend tout terne, la ville, les êtres, chaque scène qui s'étire à l'infini. Le plan séquence a dû être inventé pour ce réalisateur. Parfois le premier plan est net, l'arrière plan est flou et plus tard on revoit la même scène perçue par le côté où c'était d'abord flou !
Le titre vient d'une légende selon laquelle un éléphant sauvé d'un cirque resterait continuellement assis, à ignorer le monde qui l'entoure, au sein du zoo de la ville de Manzhouli, dans le nord de la Chine.
Ce film suinte la tristesse, le malheur et l'injustice. Il nous laisse hagard et son souvenir s'obstine dans la mémoire malgré les jours qui passent. Après avoir suivi le sort de quatre personnages, deux ados (un garçon, une fille) plutôt malmenés par leurs parents, un jeune homme, un voyou, un bon à rien lui aussi honni par ses parents alors que le "gentil" frère meurt accidentellement, et un vieil homme (le personnage le plus touchant) qui vit chez son fils, sa belle-fille et leur petite fille. Ils voudraient bien qu'il quitte l'appartement qui pourtant lui appartient et qu'il aille en maison de retraite. La visite de la maison de retraite est un des moments les plus durs et tristes du film.
Doit-on s'infliger tant de souffrance au cinéma ? Je n'ai pas la réponse.
Mais Baudelaire a sans doute eu une vision prémonitoire du film qu'il évoque avec profondeur du fond de son spleen existentiel. Et je ne peux évidemment mieux dire que Charles...
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
Je regrette de ne pouvoir découvrir qu'un seul film de ce réalisateur en tout cas. Quelle tragédie !
Commentaires
C'est moi ou tu es très "films chinois" en ce moment ?
Un peu le hasard, mais le cinéma asiatique J'AIME, J'ADORE.
Et tu es très observateur.
Quatre heures, c'est hors de question pour moi, surtout si on ressort désespérée .. mais je comprends ton point de vue et le fait que tu sois touchée. C'est toujours dramatique le suicide de quelqu'un d'aussi jeune.
Quel désespoir il faut avoir atteint pour mettre fin à ses jours, à cet âge. Mais ce monde lui etait insupportable.
Ce film est TRÈS sombre et à la fin, attention je spoile : le papy enlève quand même sa petite fille...
Bonjour Pascale, je suis triste car pour l'instant, ce film est indisponible en DVD. J'ai loupé le coche quand il est sorti en juin dernier. J'espère qu'il vont le rééditer. Un très grand film. Bonne journée.
Bonjour dasola. L'essentiel est que tu aies pu le voir sur grand écran déjà. Bonne journée.
Nous l'avons manqué et ne le verrons sûrement pas sauf dans un ciné-club à l'occasion d'une semaine de cinéma asiatique...votre avis encourage et décourage en même temps, ce film doit être terriblement désespérant ! Une note dramatique en sus avec la mort de ce très jeune réalisateur !
Nous apprécions aussi beaucoup le cinéma asiatique !
Comme ce sera son seul et unique film j'étais contente d'avoir pu le rattraper grâce à la semaine Télérama.
Le cinéma asiatique est tellement riche.
Merci Pascale. J'ai manqué ce film que j'aimerais bien voir, malgré ses quatre heures. Aujourd'hui, les plus grands films nous viennent d'Asie.
Il n'était pas évident de trouver ces quatre heures. Mais quel film !
Si même tes mots ne suffisent plus, qu’il faille appeler Baudelaire à ton secours, c’est certainement parce que ce spleen chinois est idéal !
Très envie de passer ces quatre heures face à ce film que l’on dit sublime.
C'est tellement dur d'en parler j'ai préféré laisser le clavier à Charles. Mais quel film !
Crotte de bique, je l'ai déjà dit !