JOKER (DVD)
de Todd Phillips ****
Dans les années 1980, à Gotham City, Arthur Fleck, un comédien de stand-up raté est agressé alors qu'il officie en tant qu'homme sandwich dans les rues de la ville déguisé en clown. Méprisé de tous et bafoué, il bascule peu à peu dans la folie pour devenir le Joker, un dangereux tueur psychotique.
Gotham City se donne l'apparence de New-York et est au bord du chaos. Une grève sans fin des éboueurs rend la ville insalubre, jonchée de déchets, envahie par les rats. Ce film est un appel à la révolte, voire à la révolution. Etonnant de la part d'un DC Comics non ? Et pourtant, le film me semble politique avant d'être divertissant. J'y ai même trouvé des aspects de dictature dans la façon dont sont traités les pauvres, les malades, les "fous". C'est cette société souffrante qui les met dans cet état et les abandonne car ils dérangent. Ce film serait presque infréquentable s'il n'était la genèse d'un "méchant" d'anthologie, ennemi juré de Batman qui n'est ici qu'un tout jeune Bruce Wayne. Joker avait déjà été porté fièrement et douloureusement par Heath Ledger. Je me souviens d'un ex ami blogueur qui avait écrit à l'époque : "Il faut se rendre à l’évidence : Heath Ledger était déjà mort au moment de jouer dans The dark knight. Aucun vivant ne pouvait s’acquitter d’une telle prestation.". Que dire de Joaquin Phoenix, bien vivant ? Je reviendrai bien sûr sur sa performance hallucinante, hallucinée.
On croit voir un blockbuster, on se retrouve devant une machine révolutionnaire, cauchemardesque avec un personnage incompris, abandonné, inconsolé, inconsolable qu'on n'arrive pas à détester malgré les horreurs qu'il finit par commettre. Il ne rêve que d'être comédien Arthur, qui n'est pas encore le Joker, faire du stand-up, faire rire la foule car sa mère lui assène qu'il est sur terre pour faire rire le monde. Sauf qu'il n'est pas drôle et qu'il a beau tenter de fixer un sourire sur sa face caoutchouteuse, ce sourire se transforme rapidement en grimace. Et le rire d'Arthur, démoniaque, inconfortable, considéré comme un handicap car il se manifeste lorsqu'une émotion l'envahit, ressemble plus à un cri de désespoir qui dérange et fait mal. Et le maquillage fond sous les larmes.
Bien sûr, on peut se plaindre qu'un film semble crier "Oscar !" à chaque scène, on peut arguer que Joaquin Phoénix en fait trop par son interprétation démente, mais je ne vois pas comment on peut être Le Joker différemment. Le regard fou, parfois hagard, la démarche pesante malgré son inquiétante maigreur, il se relève peu à peu pour danser sous la pluie, à la fois souple et désarticulé. Cet homme bafoué, battu, abandonné, victime d'humiliations permanentes inspire à la fois l'inquiétude et la compassion. On a constamment l'impression qu'il s'en serait fallu de presque rien pour qu'Arthur Fleck devienne quelqu'un de bien. Qu'on l'écoute, qu'on le soigne, comme il le réclame. Qu'il ait une autre mère aussi. Car oui, c'est TOUJOURS la faute des mères, n'oublions jamais cet axiome de base. Arthur se cherche une identité, est en quête de son père qui le rejette ou d'un père, n'importe lequel. Il le trouvera peut-être en la personne de Murray Franklin (Robert de Niro, bon comme il ne l'avait plus été depuis une éternité), animateur de talk-show qu'il admire, mais...
La société s'applique à anéantir un être qui sombre peu à peu. Même le système de santé ne lui permet plus d'avoir accès aux médicaments qui pourraient l'aider à aller moins mal. L'une de ses premières répliques déchire le cœur : "Is it just me, or is it getting crazier out there ?". La ville, la société broient les plus fragiles et les piétinent. Et la ville se cherche un héros, un modèle à suivre. Alors lorsqu'un clown, une fois de plus humilié assassine trois jeunes connards (excusez, mais je ne trouve pas d'autres termes) de Wall Street, les laissés pour compte qui manifestent trouvent l'incarnation de leur mal-être social, leur symbole. Et la ville se retrouve envahie de clowns !
Le chaos psychique d'Arthur se répand sur la cité en état de décomposition. Si l'action semble se situer à une époque indéfinie, peut-être les années 70 ou 80, en tout cas aucun portable ne fait avancer l'action, elle fait véritablement écho au malaise dans la civilisation actuel. Il y a un moment où la folie latente d'Arthur explose, un moment de bascule irrémédiable où aucun retour en arrière n'est possible. Tant pis, ce n'est pas faute d'avoir crié au secours.
Thomas Wayne, le père de Bruce, futur Batman, s'incarne ici mais il n'est qu'un arriviste cynique, un politicien poseur qui brigue la mairie et fait des promesses qu'il ne tiendra pas. Je n'irai pas jusqu'à dire que les personnages autour d'Arthur Fleck ne sont pas intéressants mais il est vrai que la légende en marche du Joker qui caricature un malade mental, décrit un tueur sans état d'âme est surtout le portrait déroutant d'un homme abandonné qui crie au secours et ne ramasse que des coups. Et encore, je ne vous dis pas ce qu'il a subi dans son enfance...
Je vous avais promis de revenir sur la performance insensée de Joaquin Phoenix. Impossible d'interpréter un tel personnage avec retenue. On est pas ici dans le cabotinage mais dans l'incarnation de la folie pure qui ronge un esprit malade et à qui personne ne porte secours. Le corps de l'acteur devenu squelettique, son visage inquiet, son regard halluciné, son rire démoniaque, ses chorégraphies quasi aériennes rendent son personnage inquiétant et émouvant. Une performance !
NB. : il n'y a qu'un seul bonus de quelques minutes dans le DVD, mais il est savoureux. Il s'appelle "Welcome to Joker", et l'on voit les différentes propositions faites par Joaquin Phoenix pour entrer sur scène (dans le film).
Commentaires
Bonsoir Pascale, à part la performance de Joaquin Phoenix qui est digne d'éloges, le reste du film m'a laissé un sentiment mitigé. Et la réalisation n'est pas terrible. Bonne soirée.
Bonsoir dasola, je ne suis pas du tout d'accord avec toi. Tout me semble admirable dans ce film revu hier. Bonne soirée.