L'OMBRE DE STALINE
d'Agnieszka Holland ***(*)
Avec James Norton, Vanessa Kirby, Peter Sarsgaard, Joseph Mawle
Jeune journaliste pigiste, Gareth Jones est le seul à avoir obtenu une interview d’Hitler qui venait tout juste d’accéder au pouvoir. Cela s'est passé à bord de l'avion privé du dictateur en février 1933.
Le jeune homme est également conseiller politique du 1er ministre britannique de l'époque Lloyd Georges. Fort de son "expérience" auprès d'Hitler il souhaite interviewer Staline. Les caisses russes sont vides et Staline établit sa propagande autour du "miracle soviétique". Bien que moqué par les vieilles barbes du gouvernement, Gareth obtient finalement un visa pour Moscou et là bas, il ira de surprises en déconvenues et autres découvertes monstrueuses. Convaincu par un contact qui va être mystérieusement assassiné, il échappe à la surveillance et se rend en Ukraine. Ce qu'il va y découvrir dépasse l'entendement.
Agnieszka Holland nous propose une leçon d'histoire, de celle qu'on étudie pas dans les livres scolaires. Sachant qu'un sondage russe récent place Staline comme l'un des meilleurs gouvernants que la Russie ait connu, il faut croire que les principaux intéressés ont également la mémoire courte ou simplement effacée par la propagande.
L'Ukraine est présentée comme le grenier à blé de la Grande Russie et pour faire rayonner sa splendeur à travers le monde, Staline exporte massivement. Pour cela, il vide le grenier (collectivisation forcée) et affame la population locale réduite à crever dans la rue, dans l'indifférence générale, à ronger l'écorce des arbres pour se nourrir et bien pire encore… Gareth va se retrouver plongé dans les mêmes conditions que la population locale, seul et à pied dans la steppe enneigée, épuisé et affamé, il découvre l'horreur. Les scènes où il se déplace laborieusement dans la neige et le froid m'ont rappelé celles où Jivago tente de rejoindre Lara où celles où Louise Bryant tente de rejoindre John Reed.
Sur certains murs des villages à l'agonie que Gareth traverse sont affichés des portraits géants de Staline qui porte une gerbe de blé à la main. Sous ces affiches démesurées où le dictateur arbore un sourire paternel et un visage rassurant, le peuple meurt de faim dans la rue. La réalisatrice ne nous épargne pas la réalité de cet Holodomor* (littéralement meurtre par la faim) non reconnu comme génocide qui a fait 6 à 8 millions de morts en Russie dont la plupart en Ukraine.
D'abord mené comme un film d'espionnage, Agnieszka Holland nous immerge dans la première partie dans les milieux intellectuels de l'époque où il faut se méfier de tout et de tous, du moindre regard et surtout des écoutes, pratique courante et facilement déjouée. Un journaliste anglo-américain devenu plus russe que russe, Walter Duranty, auréolé d'un prix Pullitzer pour ses reportages sur l'Union Soviétique et interprété fielleusement par Peter Sarsgaard, organise des soirées décadentes et continue de propager ses écrits négationnistes, en accord avec la propagande. En 1990, un éditorial du New-York Times déclare qu'il est l'auteur de «quelques-uns des pires reportages jamais parus dans ce journal».
A noter également la présence dans le film de Georges Orwell qui choisira de raconter les dérives du totalitarisme et du stalinisme sous la forme d'un roman dystopique La ferme des animaux (très envie de le lire). Selon lui, raconter ces horreurs sans distance serait insoutenable et aurait sans doute été censuré.
Le douloureux périple de Gareth donne à ce film un aspect aventure même si l'on a du mal à croire ce que l'on découvre au travers des yeux effarés du journaliste. Il est en fait ce qu'on appelle aujourd'hui un lanceur d'alerte. Une sorte de héros qui se bat et se sacrifie pour faire connaître la vérité. Inutile de vous dire qu'elle dérange et que ses révélations ne sont pas accueillies avec enthousiasme.
Le pas très connu James Norton porte avec fierté et humilité ce beau personnage noble et chevaleresque. Avec sa tête de premier de la classe un peu naïf et maladroit, il est notre guide pour ce film passionnant.
* Holodomor est un nouveau terme forgé en Ukraine pour définir l’extermination par la faim et son caractère intentionnel. En l’espace de deux ans, de l’été 1931 à l’été 1933, près de 7 millions de Soviétiques, dans leur immense majorité des paysans, moururent de faim au cours de la dernière grande famine européenne survenue en temps de paix : 4 millions en Ukraine, 1.5 millions au Kazakhstan et autant en Russie. A la différence des autres famines, celles de 1931-1933 ne furent précédées d’aucun cataclysme météorologique. Elles furent la conséquence directe d’une politique d’extrême violence : la collectivisation forcée des campagnes par le régime stalinien dans le double but d’extraire de la paysannerie un lourd tribu indispensable à l’industrialisation accélérée du pays, et d’imposer un contrôle politique sur les campagnes, restées jusqu’alors en dehors du « système de valeurs » du régime.
A vomir.
Commentaires
Le film doit être dur mais passionnant, vous ne choisissez pas la facilité ! Nous prenons note...
En effet il est passionnant et fort bien raconté.
Les bonnes comédies sont tellement rares...
J'espère qu'il va passer chez moi, j'ai très envie de le voir.
Il devrait. C'est l'une des rares sorties actuelles.
Sujet intéressant et bon traitement: j'irai bien le voir, mais, là encore, j'ai envie d'une histoire plus légère pour renouer avec le cinéma. S'il reste encore à l'affiche une semaine ou deux, peut-être que ce sera l'un de mes choix ultérieurs, mais je crois plus raisonnable d'imaginer que je le verrai un jour ou l'autre en DVD...
Tu n'es pas le seul à décider que pour la reprise du cinéma c'est pour la légèreté.
Dans ce cas, pas grand chose à voir en ce qui me concerne.
Eh bien, pour tout dire, de mon côté, ce sera sûrement "Un divan à Tunis" cet après-midi et le dernier Pixar demain. Mais tu as déjà vu le premier, à ce que j'ai remarqué, et peut-être pas eu envie (ou pas pu) voir le second...
Le Pixar c'est En avant ?
Je l'ai vu. J'ai BEAUCOUP aimé.
Oui, c'est bien ça. Hâte de le voir enfin !
Une SUPER surprise. Superbe évolution des personnages et une très belle fin émouvante.
Je connaissais les famine des années trente en URSS grâce aux livres d'Histoire. J'ignorais qu'il y avais un mot pour cela. A vomir, et encore, quand on a quelque chose dans le ventre, sinon c'est pire.
Un beau personnage pour une histoire sidérante et un nouveau mot dans notre vocabulaire.
Merci qui ? Merci le cinéma.
Je trouve le film très réussi du point de vue de la reconstitution historique comme au niveau de la dramaturgie. Certes, on y voit des choses très dures et révoltantes. Mais c'est aussi une belle histoire d'amour avec, de temps en temps, quelques plans superbes qui rendent la vision du film plus supportable.