Mon cinéma organise pendant l'été une rétrospective intitulée Forbidden Hollywood. Il s'agit de 10 films qui ont bénéficié d'une "fenêtre de tir" entre 1931, l'avènement du parlant et 1934, l'application du Code Hays. Avant le film, un documentaire nous rafraîchit la mémoire. Le Code Hays est établi en mars 1930 par le sénateur Williams Hays afin de réguler la production des films. Il a été appliqué de 1934 à 1966 dans ce pays le plus moderne mais aussi le plus puritain qui soit. Le code fait suite à un scandale qui a entaché l'image d'Hollywood : l'affaire Roscoe Arbuckle, responsable du viol et sans doute de la mort de la jeune actrice de 25 ans Virginia Rappe...

Voici les principes généraux du Code Hays :

• Aucun film ne sera produit qui porterait atteinte aux valeurs morales des spectateurs. De la même manière la sympathie du spectateur ne doit jamais aller du côté du crime, des méfaits, du mal ou du péché.
• Des standards de vie corrects, soumis uniquement aux exigences du drame et du divertissement, doivent être montrés.
• La loi, naturelle ou humaine, ne sera pas ridiculisée et aucune sympathie ne sera accordée à ceux qui la violent.

Avant l'application de cette censure qui doit bannir des films la sexualité, la violence, la "déviance"... Hollywood s'en donne à coeur joie et ce sont les actrices qui bénéficient de cette folle liberté interprétant des rôles de femmes fortes qui affichent leurs désirs et leur besoin d'affirmer leur liberté. Elles ont les premiers rôles et sont libres. Les films parlent de sexualité affirmée, de métissage, d'homosexualité, de gangsters et de femmes fatales.

Celui que j'ai vu hier m'a enthousiasmée au plus au point et j'espère avoir la possibilité d'en découvrir d'autres. Si je connaissais les acteurs au générique Leslie Howard, Lionel Barrymore et Clark Gable, j'ai eu le bonheur de découvrir une actrice renversante que je ne connaissais que de nom (sans doute l'avais-je vu dans Femmes de Georges Cukor). Norma Shearer est époustouflante dans ce film. Nommée 6 fois à l'Oscar, elle l'a obtenu pour La divorcée de Robert Z. Leonard que j'espère voir à l'occasion ainsi qu'un maximum de ses films car elle est merveilleuse.

Et ces Âmes libres, ça parle de quoi ?

Jan vit seule avec son père, grand avocat régulièrement rattrapé par son alcoolisme. La jeune femme n'a pas connu sa mère morte en couches et elle voue un véritable culte à son père, lui-même absolument fou de sa fille. La liberté de ce "couple" qui évolue loin des conventions sociales les fait considérer comme des originaux par leur entourage et leur famille. Jan doit épouser Dwight, ancien champion sportif, et même si les deux jeunes gens s'aiment, Jan tombe sous le charme d'Ace Wilfong, gangster charismatique coupable de meurtre, que son père a réussi à faire échapper à la potence. Après le verdict le père de Jan la rejoint pour fêter les 100 ans de sa mère, accompagné d'Ace. Le reste de la famille lui fait comprendre qu'il est indésirable. Choquée par l'attitude de sa famille, la jeune femme part avec Ace et devient sa maîtresse.

Voyant son père contrarié par cette relation, Jan lui propose un marché : elle ne reverra plus Ace s'il cesse de boire. Ils partent tous les deux pendant trois mois à la campagne mais lorsqu'ils rentrent le père sombre à nouveau dans l'alcool et Jan retourne auprès d'Ace dont le comportement a changé. Rompre et retourner vers Dwight son amour n'est pas simple...

La première scène a dû faire se dresser les cheveux sur la tête du puritain Monsieur Hays. Une jeune femme nue derrière une porte demande de façon insouciante à un homme de lui apporter ses dessous. On pense qu'ils sont amants. On découvre au bout de plusieurs minutes qu'il s'agit du père et de la fille.

Ce qui m'a surprise dans ce film est cette audace que l'on retrouve tout du long mais aussi la grande liberté de Jan, son indépendance, même si elle commet des erreurs, mais aussi le respect des hommes qui l'aiment (son père, son fiancé) face à ses choix et décisions. On rencontre rarement des personnages aussi intelligents je trouve. Les hommes qui rencontrent Jan veulent l'épouser, elle se refuse aux deux. Cela me paraît follement féministe puisqu'on a toujours plutôt tendance à montrer que ce sont les filles qui rêvent du Prince Charmant. Ici même le truand veut rentrer dans la norme en se mariant.

C'était la première fois que Leslie Howard et Clark Gable s'affrontaient pour les beaux yeux d'une belle. Quelques années plus tard, ils seront les inoubliables Ashley Wilkes et Rett Butler autour de Scarlett O'Hara. Clark Gable joue de son regard de braise, de son sourire en coin, de sa masculinité de macho mais aussi de sa brutalité. Il ne portait pas encore sa célèbre moustache. Leslie Howard lui oppose son flegme britannique, son exceptionnelle tolérance et son courage inattendu.

Parmi tous ces hommes, Norma Shearer, souvent nue sous des robes qui cachent peu son anatomie de sylphide est un ouragan de gaité, de charme, de vitalité. Ses larmes en sont d'autant plus poignantes. Rares sont les actrices qui exercent un tel pouvoir et s'emparent d'un rôle avec tant de grâce et de personnalité. Evidemment la féminité ou plutôt le genre féminin sera mis à mal lors de la scène de procès mais la toute dernière scène, très belle, ambiguë, s'éloignant encore une fois de la norme, donne la part belle à l'individualisme forcené et au féminisme de Jan.

Norma Shearer... <3