KAJILLIONAIRE
de Miranda July ****
Avec Evan Rachel Wood, Gina Rodriguez, Richard Jenkins, Debra Winger
Dans la famille d'Old Dolio tout est dysfonctionnel. Le prénom de cette jeune femme déjà, n'est pas ordinaire, pour ne pas dire unique au monde. Comme elle.
Elle vit avec ses parents, Theresa (à la recherche de Debra Winger, méconnaissable) et Robert qui ont l'apparence de deux sympathiques farfelus qui réussissent à subvenir à leurs besoins grâce à divers petites arnaques et cambriolages mal ficelés. Old Dolio, véritable gymnaste les aide depuis toujours dans leur petite entreprise. Il faut voir les cabrioles et contorsions qu'elle exécute pour pénétrer inaperçue dans un établissement. Cela pourrait paraître drôle et burlesque si l'on ne percevait instantanément sur le visage d'Old Dolio une profonde et intense tristesse. Une sorte d'absence au monde qui l'entoure. Lorsqu'elle n'effectue pas ses prouesses physiques, elle est voûtée, pataude, cachant son regard, son visage entier derrière une chevelure blonde interminable.
Je ne cesse de reculer le moment de vous parler de ce film tant il m'a bouleversée et que j'ai peur de le trahir. Mais si ne j'en parle pas, vous allez sans doute passer totalement à côté de cette expérience émotionnelle intense et selon moi, indispensable au cinéma.
Le trio vit replié sur lui-même dans un open space abandonné. Le mur du fond suinte régulièrement une étrange mousse rose provoquée par l'usine voisine et qu'ils sont obligés d'absorber. Cela fait partie de leur quotidien, sans surprise. Grâce à cet environnement insalubre, leur loyer est très modéré mais ils peinent quand même à le payer à leur propriétaire, un hyper émotif qui pleure constamment. Oui, tout est étrange dans ce film et l'on a d'yeux que pour Old Dolio.
Je ne cherche pas à savoir ou à comprendre ce que Miranda July cherche à nous faire passer comme message. Si elle décortique les relations humaines, l'influence des parents sur leur progéniture, la fin du rêve américain ou autre... C'est Old Dolio qui importe. Elle est sous l'emprise néfaste, malsaine de ses parents, mais au début du film elle ne le sait pas encore, elle n'a jamais rien connu d'autre.
Elle va par hasard et par obligation assister à une conférence sur l'instinct maternel. Un choc pour elle de découvrir qu'un bébé tout juste né rampe instinctivement vers le sein maternel alors qu'un bébé placé directement dans un berceau développera une carence affective irréparable. La position intenable qu'elle occupe, totalement soumise aux injonctions parentales l'ont rendue hermétique à tout contact. La scène du massage déchire le cœur comme celle où elle rampe sur un parking pour prouver ou quémander l'amour ou cette autre où elle danse en une sorte de transe effrayante et séduisante. Personne ne l'a jamais touchée, prise dans les bras, embrassée. Elle implore sa mère, monstre sans cœur de l'appeler "ma chérie"...
Lors de l'une de ses petites magouilles, la "famille" croise la route d'Emilie, une jeune femme qui tombe sous le charme du trio et semble prête à tout pour sortir de son quotidien. C'est finalement elle qui va emmener Old Dolio vers la lumière et c'est magnifique. Elle est interprétée génialement par Gina Rodriguez, petite bombe inconnue, sosie latino de Reese AvecSaCuillère.
La fin aurait pu être désespérante même s'il plane un air de liberté, car la réalisatrice tranche et affirme que personne ne change. Mais, follement romantique et sentimentale, elle finit par conclure de façon tellement douce qu'on la remercie pour cette étreinte et ce baiser magiques, comme son actrice principale. Evan Rachel Wood fait oublier son corps sous des vêtements beaucoup trop amples. Toute féminité est bannie. Même sa voix, caverneuse n'est plus celle d'une fille. L'enrobage musical magnifique d'Emile Mosseri donne au film un ton onirique parfois.
Un film qui s'éprouve et se ressent, une expérience émotionnelle et une actrice inoubliable.
Vive le cinéma !
P.S. : kajillionnaire est un terme d'argot anglais qui qualifie une personne très très riche.
Commentaires
Je ne suis pas sûre qu'il passe encore chez moi, je vais vérifier tout de suite.
Ah j'espère que tu vas faire connaissance d'Old Dolio.
Oh, ça donne envie ! (Je n'ai d'ailleurs pas tout lu, je me suis arrêtée à "Mais si ne j'en parle pas, vous allez sans doute passer totalement à côté de cette expérience émotionnelle intense et selon moi, indispensable au cinéma", car j'avais déjà envie de le voir, et le début de cette critique m'a confortée dans mon idée.)
Pour info, Gina Rodriguez n'est pas inconnue de tout le monde : elle interprète le rôle principal dans la série Jane the virgin, parodie de telenovelas complètement déjantée. ;-)
Oui j'ai regardé sa filmo. Je ne connais pas cette série. J'espère la revoir au cinéma.
Et j'espère avoir ton avis.
Elle m'a l'air d'être un peu perchée Miss Juillet. Mais comme tu en causes bien, je vais peut-être me laisser tenter...
C'est tellement émouvant !
Bonjour Pascale, j'ai vu le film hier soir après avoir lu ton billet. Je n'ai pas aimé du tout ce que tu écris, je l'ai ressenti en négatif. L'histoire m'a mise mal à l'aise, je n'ai pas aimé la musique. Je ne dis pas que c'est nul mais je fais un rejet sur ce film dans lequel les personnages des parents sont monstrueux.
Bonsoir dasola. Ah dur ! Moi quand j'y repense, j'en suis encore bouleversée. Les parents sont des monstres, oui. Ils me dégoûtent. Ça rend Old Olio encore plus touchante. Et l'histoire d'amour est tellement belle.
Bonne nuit.
Oh que cette critique enthousiaste me fait plaisir! Un peu inquiet, j'avais prévenu sur mon blog que ce film "ne serait peut-être pas au goût de tout le monde"... on aime ou on n'aime pas, mais quand on aime, on aime bien!
Et ton commentaire me fait plaisir.
Ce film m'a enthousiasmée et très émue.
Vu en partie, j'ai largué après 40 mns, exaspérant et creux au possible.