L'AMOUR, C'EST COMPLIQUÉ
L'ENFANT RÊVÉ de Raphaël Jacoulot ***
Avec Jalil Lespert, Mélanie Doutey, Louise Bourgoin
François et Noémie dirigent la scierie familiale que François a reçu de son père. Ils se sont connus très jeunes, s'aiment et veulent un enfant. Ce n'est pas simple. Après plusieurs fécondations in vitro sans effet, Noémie renonce aux lourds traitements et souhaite adopter. "Adopter c'est avoir un enfant" dit elle. Pas pour François.
Il se met à butiner ailleurs. Patricia, jolie cliente de la scierie, mariée, deux enfants, ne semble pas follement heureuse en ménage et trop isolée dans les montagnes du Jura, elle qui aime la ville. Ils vivent une passion amoureuse et Patricia tombe vite enceinte. Elle est prête à avorter, François refuse. Elle est prête à quitter sa famille pour lui mais François retarde sans cesse le moment d'annoncer la nouvelle à Noémie qui ne se rend compte de rien, sauf que François va de plus en plus mal. Les ennuis commencent.
Comme il arrive parfois au cinéma, c'est ici le père qui ressent le besoin viscéral d'avoir un enfant, et plus encore de devenir père. François est atteint de cette fièvre pas banale (l'envie de procréer) qui brusquement envahit un être humain, homme ou femme, et ne le lâche plus.
Il y a deux "choses" qui coincent un peu dans ce film : 1) Il faut admettre qu'une femme et un homme mariés puissent entretenir une relation suivie sans se préoccuper un instant de la contraception. 2) Le "couple" Jalil Lespert/Louise Bourgoin ne fait pas d'étincelles, on ne croit pas trop à leur passion. Mélanie Doutey m'a semblé beaucoup plus crédible et intense dans le rôle de la femme trompée (qui ne le sait pas), qui fait tourner la boutique, se bagarre pour faire évoluer des situations compliquées concernant l'entreprise dont le chiffre d'affaires baisse et les démarches qui s'accumulent pour obtenir l'agrément d'adoption.
Ces deux petites restrictions faites, elles n'empêchent pas au film de se hisser au niveau des belles surprises tricolores. Les films de Raphaël Jacoulot sont toujours situés en province... oups, en région (voir les excellents Avant l'aube et Coup de chaud) et ses personnages ont toujours un métier que je qualifierais de "normal". C'est appréciable. Et puis il a un art certain pour scruter et sonder l'âme humaine au moment où des situations inédites se profilent.
Ici, le désir d'enfant, l'adultère et la grossesse surprise de sa maîtresse font basculer François qui cherche à préserver tout le monde. Ce qui est difficile. Les mensonges se multiplient. On a parfois l'impression qu'il frôle la folie, qu'il devient incapable d'agir, de réfléchir. Jalil Lespert est particulièrement crédible dans le rôle du brave type qui perd totalement pied.
Je vous garantis un suspense qui va crescendo et la prestation d'un acteur qui met mal à l'aise tant on sait, tant on voit qu'il va dans le mur.
En outre, la forêt, les arbres sont admirablement bien filmés et Mélanie Doutey impressionne.
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A COEUR BATTANT de Keren Ben Rafael **
avec Judith Chemla, Arieh Worthalter
Julie et Yuval s'aiment passionnément mais alors que Yuval s'est rendu en Israël pour des problèmes administratifs, il ne parvient pas à obtenir de visa pour son retour. Restée seule à Paris avec leur bébé, Julie patiente, s'impatiente. Le couple par Skype interposé est pratiquement constamment en relation. Au début, ce dispositif leur permet de continuer à vivre leur amour d'une façon inédite. Cela les amuse même un peu. Rapidement, cette vie via les écrans montre ses limites et ses répercussions. L'homme devient jaloux, presqu'inquisiteur, la femme se sent abandonnée et injustement épiée.
On finit par être un peu gêné de les voir tomber l'un comme l'autre dans les travers que ce genre d'expérience peut induire. Peut-on vivre l'amour, le quotidien, les difficultés, les décisions à prendre si l'on est jamais ensemble ? Manifestement non. Mais je trouve que ce couple qu'on nous présente comme fusionnel et sexuellement très compatible, solide donc, ne résiste pas très longtemps aux difficultés et à la douleur d'une séparation qui ne devrait de toute façon être que provisoire. Cela m'a gênée. Et finalement, alors qu'on pourrait être ému, triste de cette séparation, les deux personnages finissent par être prévisibles et décevants. Et au-delà de l'aventure d'un couple, le film aborde, effleure les différences culturelles, le poids et l'influence de la famille. Etait-il utile, sauf à voir l'impossible Noémie Lvosky dans son éternel numéro d'hystérique borderline, que les relations entre la mère et la fille soient à ce point conflictuelles ?
Evidemment, le procédé de vivre ensemble séparé, de se réunir grâce aux écrans, renvoie à l'étrange expérience que nous avons vécu récemment. Ce confinement de plusieurs semaines a fatalement séparé des couples unis. Comment s'en sont-ils sortis ? La réalisatrice n'est pas très optimiste.
Heureusement, face à l'exercice de style qu'on peut louer car il faut bien renouveler les expériences cinématographique mais qui finit par atteindre ses limites, nous pouvons nous régaler du jeu de deux acteurs très charismatiques. Judith Chemla et Arieh Worthalter sont formidables et très beaux.
Commentaires
J'ai envie de voir "À cœur battant", dont je trouve le pitch assez proche de celui de "10.000 km", film espagnol que j'avais vu (et chroniqué) il y a quelques années. Cela te parle ?
Je suis un peu amoureux de Judith Chemla. "L'enfant rêvé" m'attire moins.
J'ai cherché et ca ne me parle pas du tout.
Je comprends pour Judith.
L'enfant rêvé est intéressant.
Ces deux films semblent valoir le déplacement, chacun a ses arguments !
Merci pour ces avis bien détaillés !
Oui en effet, on peut parler de l'amour dans tous ses états :-)
Ni l'un, ni l'autre ne me tentent, même si tu défends (un peu plus) le Jacoulot. Je baigne encore entre les marivaudages de Mouret et le soleil cévenol d'Antoinette.
Le Mouret ? Aux oubliettes en ce qui me concerne.
Prolonger l'été avec Toinette par contre je veux bien.