SOUS LES ÉTOILES DE PARIS / ADN
Il peut paraître étrange d'associer ces deux films dans une même chronique. L'un évoque les clochards et les réfugiés étrangers de Paris, l'autre une famille bourgeoise et dysfonctionnelle. Au-delà de la proximité des tons des deux affiches, ils ont ce point commun de m'avoir l'un comme l'autre mise mal à l'aise. Pas pour les mêmes raisons évidemment.
SOUS LES ETOILES DE PARIS de Claus Drexel **
Avec Catherine Frot, Mahamadou Yaffa
Depuis de nombreuses années, Christine vit sous un pont, isolée de toute famille et amis. Par une nuit comme il n’en existe que dans les contes, un jeune garçon de 8 ans fait irruption devant son abri. Suli ne parle pas français, il est perdu, séparé de sa mère… Ensemble, ils partent à sa recherche. A travers les rues de Paris, Christine et Suli vont apprendre à se connaître et à s’apprivoiser. Et Christine à retrouver une humanité qu’elle croyait disparue.
En 2014 Claus Drexel réalisait un documentaire triste et beau Au bord du monde. En relisant ma chronique de l'époque, je m'aperçois que je pourrais dire exactement les mêmes choses de ce film. Sauf que cette fois il s'agit d'une fiction et qu'au milieu de tous ces vrais clochards, vrais réfugiés et migrants clandestins, il a placé une actrice célèbre et talentueuse. C'est en partie ce qui m'a mise mal à l'aise car malgré la perfection de l'interprétation de Catherine Frot, j'ai eu de la difficulté à l'oublier, elle, si élégante et délicate, dans la peau et sous les oripeaux crasseux de cette femme qui a vécu un drame dont elle n'a pu se relever, évoqué en quelques images.
Tout comme dans son précédent film Paris est d'une beauté parfaite, comme sur une carte postale idéale, comme dans un conte de fée et les légers flocons qui volettent lui donnent un aspect encore plus irréel. Les lumières, l'éclairage nocturne, tout concourt à accentuer le contraste entre toute cette beauté et toute cette misère. Mais sous (au propre comme au figuré) cette douceur et cette beauté grouille un monde devant lequel on ferme les yeux, le quart monde en pleine Capitale. La Ville Lumière abrite dans ses sous terrains un monde terrifiant et peu reluisant où l'on se demande comment une femme et un enfant pourraient survivre.
Alors évidemment, je dois reconnaître que j'ai été émue par le parcours quotidien de ses deux abandonnés qui traversent Paris chaque jour pour tenter de retrouver la maman du petit garçon. Je dois même dire que le (petit) suspense, Sully va-t-il retrouver sa maman, m'a maintenue en alerte. Mais je n'ai pas réussi à me débarrasser de ce sentiment désagréable de malaise. Et bien sûr de toutes les questions qui l'accompagnent : comment résister au froid, à la faim, aux dangers, à l'indifférence, à la dureté des rares échanges avec les autres, à la cruauté même de certaines situations et aujourd'hui, au virus ? C'est peut-être aussi l'esthétique tellement soignée du film qui déstabilise tant le drame qui se joue est sombre.
Quelques rares personnages (marginaux eux aussi) qui accompagnent le périple de l'étrange duo donnent quelque espoir en l'humanité mais il est surtout sidérant de constater que les acteurs sociaux, médecins, flics ne réagissent aucunement à la détresse des deux personnages, pire, ils les ignorent ou les repoussent. Reste le parti pris esthétique qui dérange et interroge.
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ADN de Maïwenn **
Avec Maïwenn, Fanny Ardant, Louis Garrel, Dylan Robert, Marine Vacth,
Neige, divorcée et mère de trois enfants, rend régulièrement visite à Émir, son grand-père algérien qui vit désormais en maison de retraite. Elle adore et admire ce pilier de la famille, qui l’a élevée et surtout protégée de la toxicité de ses parents. Les rapports entre les nombreux membres de la famille sont compliqués et les rancœurs nombreuses... Heureusement Neige peut compter sur le soutien et l’humour de François, son ex. La mort du grand-père va déclencher une tempête familiale et une profonde crise identitaire chez Neige. Dès lors elle va vouloir comprendre et connaître son ADN.
En 2006 sortait Pardonnez-moi, le premier film de Maïwenn que je recevais comme un coup de poing, bouleversée par cette thérapie sur grand écran que l'actrice/réalisatrice s'offrait. J'y voyais une sorte de Festen à la française. Dans ce film, elle suppliait son père de lui demander pardon pour les mauvais traitements qu'il lui avait infligés. Aujourd'hui, je sature un peu de l'hystérie et du voyeurisme de Maïwenn autour de son charmant nombril. Elle continue de régler ses comptes avec sa détestable famille. Le père en prend encore pour son grade, la mère n'est pas épargnée et Maïwenn Neige se désespère cette fois d'avoir à son âge, encore peur de sa mère. Je ne mets pas en doute la sincérité de Maïwenn et l'authenticité des mauvais traitements qu'elle a subis dans son enfance mais la forme, dix ans après son premier opus revanchard, m'exaspère un peu.
Et puis j'ai toujours eu beaucoup de mal avec ces réalisateurs ou trices qui se filment avec autant d'amour et de complaisance. Les longs et très nombreux plans sur le joli profil, les magnifiques yeux, la peau parfaite de Maïwenn n'apportent strictement rien à l'histoire sauf à démontrer à quel point elle est en extase devant sa propre personne. Sans oublier les torrents de larmes et le nez qui coule évidemment...
Neige cherche une paix manifestement impossible avec ses géniteurs (voire ses frères et sœur), son père semble la détester, la traite de conne, on ne sait pourquoi et on a du mal à comprendre pourquoi ils continuent à se voir, et sa mère la dégoûte et elle le lui dit. Une scène rêvée d'une brutalité et d'une violence incroyables montre sans doute comment Neige souhaiterait agir envers son père. Mais cette fois il y a autre chose. Neige a un grand-père adoré qui l'a élevée et qui hélas, meurt dans le premier quart d'heure du film. C'est à cette mort qui la laisse effondrée au point de ne plus pouvoir s'alimenter et perdre connaissance qu'elle décide de retrouver ses racines et d'adopter la nationalité algérienne.
Le problème ? On s'en fout !
Je pense que le film aurait été plus percutant si la réalisatrice s'était contentée de continuer à scruter les comportements de tous les membres de cette famille dysfonctionnelle. C'est à la fois follement réjouissant et effrayant tant les noms d'oiseaux et jugements à l'emporte pièce fusent entre tous les membres. Après une première partie réussie, Maïwenn se concentre sur elle, elle et elle et du coup on perd tout l'intérêt de ce qui nous avait intéressé.
Alors que reste-t-il qui mérite deux étoiles ? Les acteurs. Le casting est assez éblouissant et en tête, je cite Louis Garrel qui apporte sa fantaisie, son humour, sa joie de vivre dans ce jeu de massacre orchestré. Fanny Ardant qui n'est jamais aussi naturelle que lorsqu'elle joue (elle m'exaspère quand elle n'est pas dans la peau d'un personnage). Elle a deux grandes scènes ici où elle est fascinante. Celle du choix du cercueil de son père où il apparaît difficile de mettre 6 personnes d'accord. Elle y est drôle et monstrueuse. Celle où sa fille lui annonce "je t'aime mais tu me dégoûtes" et qu'elle s'effondre à même le trottoir dans l'indifférence générale. Et le jeune Dylan Robert, déjà incroyable dans Shéhérazade, se voit offrir une belle vitrine avec une très longue scène où il est seul avec son grand-père mourant.
Au final je suis également d'accord avec cet avis du critique Frédéric Foubert :
"Les dernières séquences «documentaires», tournées à l’iPhone et in situ, en plein soulèvement de la rue algérienne, ne disent ainsi absolument rien de l’Algérie d’aujourd’hui, et n’arrivent à témoigner que de la simple satisfaction de Maïwenn d’être là. Tant mieux pour elle, mais difficile alors de se sentir concerné".
Commentaires
Aucunement tenté, ni par l'un, ni par l'autre.
Et les torrents de larmes en ce moment, je pense qu'on a eu la dose (et ce ne sont pas les sinistrés de la vallée de la Roya que tout le monde a oublié qui me diront le contraire).
Je ne les ai pas oubliés. J'y pensais encore ce matin en me disant : on n'en parle plus :-('
Et puis en matière de Clochard, qui fera mieux que Michel Boudu Simon ? À mon avis il n'est pas encore né.
Oui bon, j'essaie de ne pas trop sombrer dans le c'était mieux avant, sauf ton respect.
On parlait des sinistrés de la Roya pas plus tard qu'avant-hier avec une amie ! Non, on n'oublie pas si vite dans le petit peuple .. Ne pas confondre avec medias et gouvernants SVP. A part, je n'étais tentée ni par l'un, ni par l'autre, encore qu'un mouvement de sympathie m'aurait peut-être poussée vers le premier, mais je vois bien le malaise. Quant à Maïwen, qu'elle tire un trait sur sa famille et elle ne pourra que mieux se porter. Ses déclarations à l'emporte-pièce un peu partout m'agacent, tout est bon pour se faire remarquer.
J'y pense et j'imagine (un peu) leur calvaire. En même temps, dire les torrents de larmes on en a notre dose et on a oublié les sinistrés... c'est un peu contradictoire mais on est tous un peu secoués comme des cocotiers en ce moment. :-)
Quant à Maïwenn, je comprends qu'elle ne puisse se débarrasser ainsi de sa famille mais tout le monde n'a pas les moyens de s'offrir des thérapies de groupe sur écran géant et en plus, je comprends mal pourquoi elle tient tant à la mort de son grand-père à devenir algérienne alors que lui revendiquait ardemment son intégration à la France.
Je n'ai pas du tout entendu parler du premier !
Pour le second j'écoute le podcast "pardon le cinéma" et globalement les avis sont à peu près comme le tien. Je n'irai pas le voir celui-ci.