UNE VIE SECRÈTE
de Jon Garano, Aitor Arrgi, Jose Mari Groenaga ***(*)
Avec : Antonio de la Torre, Belèn Cuesta, Vicente Vergara
Espagne, 1936. Higinio, partisan républicain, voit sa vie menacée par l’arrivée des troupes franquistes. Avec l’aide de sa femme Rosa, il décide de se cacher dans leur propre maison. La crainte des représailles et l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre condamnent le couple à la captivité.
L'histoire s'inspire de la réalité. En effet, ceux que les espagnols ont appelé des "taupes" ont réellement vécu cloîtrés pendant des décennies jusqu'à ce que la grâce leur soit accordée. Alors quoi de mieux en cette période que de suivre l'histoire d'un homme qui n'est pas sorti de sa cachette pendant trente trois ans. Cela remet les choses en perspective. La période semble irréelle tant on a du mal, même en voyant le film, à s'imaginer la durée interminable des journées. C'est le hasard, mais c'est pourtant bien le dernier film que j'ai vu avant la nouvelle fermeture des salles pour une durée indéterminée. S'il avait été amputé d'un bon quart d'heure, ce film aurait obtenu les quatre étoiles tant convoitées, il y a un vague moment de flottement dès lors qu'on s'approche de l'issue. Mais faire ressentir la fuite inexorable du temps aurait sans doute été plus compliqué et moins perceptible sur une durée plus courte.
Les premières minutes sont terriblement mouvementées et anxiogènes, pour échapper à ses poursuivants, Higinio s'enfuit et court dans la campagne et trouve refuge dans un puits où deux compagnons y sont déjà cachés. Il est loin de se douter alors que les 30 années suivantes seront pour lui un enfermement permanent sans voir le jour. Il réussit à rejoindre son domicile pour emmener sa femme dans sa fuite mais il est blessé. Sa femme le contraint à rester dans la cachette qu'ils ont creusée sous un banc en attendant qu'il aille mieux. Il accepte et finalement, sa femme sans cesse harcelée par les autorités sera contrainte de vivre sans volet ni rideau puis porte ouverte. La longue séquestration commence. Le couple se parle à voix basse, l'homme reste dans son trou, la femme l'y rejoint parfois. C'est terrible mais ils s'aiment profondément. Un peu plus tard, ils réussiront à rejoindre le domicile du père d'Higinio et sa cachette quoique murée de toutes parts sera un peu plus grande. Il pourra au moins s'y tenir debout.
L'impression de claustration voire de claustrophobie du spectateur se fait de plus en plus vive. Ne jamais voir la lumière du jour, ne pas marcher, ne pas sortir, ne voir personne, ne rien faire (Higinio finit par aider sa femme dans ses travaux de couture)... on a du mal à imaginer mais on étouffe. Les jours, les semaines, les mois, les années passent. Le spectateur comme Higinio perçoit par bribes les évènements qui marquent l'évolution de la vie, de la société, de la politique. Les ellipses sont nombreuses marquées par les changements physiques des deux personnages mais aussi par une certaine modernité qui s'invite et ce qu'on entend à la radio, y compris les chansons (j'ai cru reconnaître Julio Iglesias). Mais c'est surtout sur l'isolement, la réclusion, la solitude, les effets du franquisme que les réalisateurs se concentrent. Comment ne pas devenir fou ? Cette forme de résistance passive ressemble de plus en plus à de la peur et Higinio finit par s'en vouloir de sa passivité, de sa lâcheté.
Là où le film se fait encore plus original c'est dans sa description d'une histoire d'amour et du long et lent délitement d'un couple. La femme amoureuse finit au fil des années par ne plus supporter cet homme qui a peur pour sa vie et la laisse démunie lors d'un danger auquel il assiste impuissant du fond de son trou... Et quand elle crie "lâche, lâche !", on ne sait si elle s'adresse à son mari où à son agresseur, elle qui a aussi subi la torture, la tonte de ses cheveux et n'a rien révélé à ses tortionnaires. Son amour et son abnégation admirables impressionnent fortement.
Pour interpréter ces deux amoureux confinés, les réalisateurs ont choisi le stradivarius des acteurs espagnols en la personne d'Antonio de la Torre (Que dios nos perdone, La colère d'un homme patient, El reino) et Belen Cuesta (une révélation). Ils livrent tous les deux une interprétation puissante, inspirée, bouleversante.
Et le suspense s'épaissit à mesure que le film avance et que les années passent.
Sortira-t-il ?
L'épilogue est très émouvant.
Commentaires
On a pu entendre des récits d’enfermement volontaire qui remontent à la deuxième guerre où non seulement des juifs mais aussi des réfractaires au STO sont restés cachés pendant plusieurs années. Mais une trentaine d’années c’est vraiment abominable.
Le film fait bien peser (et ce n'est pas péjoratif) cette durée invraisemblable.
On finit par comprendre qu'il ne cherche plus à sortir coûte que coûte mais qu'il en a peur.
C'est vraiment un super film.
Très bon choix madame, tu te surpasses...
Tu nous invites à voir un film sur un confiné lorsque nous serons déconfinés !
Oui pour se rappeler le bon temps :-)
Intéressant. Et Antonio de la Torre est vraiment top !
Exceptionnel acteur.
Plus sérieusement je l'ai vu en avant première et il faut récompenser Belen d'avoir supportée Antonio...
Elle l'aime.