Ses collègues et supérieurs l'apprécient, sa femme et sa fille sont folles de lui. On les comprend tous. Laurent c'est Jérémie Renier. Je l'ai déjà dit et sans doute répété, Jérémie Renier a la faculté incroyable de faire croire dès qu'il apparaît dans un film qu'il exerce le métier de son personnage depuis 20 ans. C'est encore une fois le cas ici. Laurent est gendarme et dans un premier temps, le film nous invite à le suivre dans ses différentes interventions.

Dès les premières images qui pourraient refléter un bonheur à venir, sur la plage d'Etretat un corps tombé du haut des falaises s'écrase sur les galets. Vous êtes prévenus, moi j'ai fait un bond de deux mètres ! Pour désamorcer la situation terrible, Laurent rapidement sur place avec son équipe déclare : "je crois qu'il est mort". Aucune arrogance ou désinvolture pourtant dans l'attitude de Laurent mais "il faut se blinder" dira-t-il à une toute jeune collègue. Être gendarme, c'est aussi sermonner rudement un ado inconscient de rouler sans casque, s'inquiéter de la présence d'un véhicule stationné dans un endroit isolé la nuit, recueillir le témoignage d'une fillette qui mènera à la découverte de mauvais traitements, servir de médiateur entre les agriculteurs et les services vétérinaires de plus en plus exigeants, recueillir le ras le bol de l'un d'entre eux dont le désespoir sera à l'origine du basculement, procéder à une opération de déminage et éloigner les promeneurs incrédules, ramener un poivrot énervé (Xavier Beauvois en personne) à la raison et chez lui. C'est aussi la vie de la caserne et en marge, la vie de famille. C'est intéressant, et le réalisateur se penche de façon quasi documentaire sur ce métier proche de l'humain.

Oui, de grands mots et de grandes sensations pour ce film, le meilleur, le plus beau de Xavier Beauvois qui est encore fortement présent dans ma tête et mon cœur des jours après l'avoir vu. L'humanité, sa beauté et sa colère sont au cœur du film il me semble. Il ne s'agit pourtant pas d'un film dossier de l'écran même si le réalisateur s'est entouré d'un casting de professionnels mais aussi de sa compagne Marie-Julie Maille habituellement monteuse sur ses films, de leur fille Madeleine, mais aussi de vrais gendarmes et d'un agriculteur à la gueule d'acteur le formidable Geoffroy Serry qui peut sans problème démarrer une carrière.

Mais alors que j'ai lu à plusieurs reprises que le réalisateur était moins à l'aise et convaincant dès lors que le film bifurque vers tout autre chose (que je ne vous révèlerai pas), c'est cette partie qui à l'inverse m'a encore davantage aimantée à l'écran  et bouleversée pour finalement me laisser en larmes lors d'un final somptueux. Le premier virage emprunté par le film est malheureusement visible dans la bande-annonce et dans le synopsis officiel. En effet, ce gendarme si sûr de lui, si prudent avec son arme tue accidentellement un agriculteur sur le point de se suicider. Et après avoir décrit, sans lourdeur ni pathos mais concrètement les aberrations contraignantes auxquelles sont de plus en plus soumis les paysans, Laurent en état de sidération totale doit rendre compte de ce qui s'est réellement passé. Il en est incapable. Son attitude, dès lors emmuré dans un mutisme pesant est intensifiée par l'interprétation puissante, impressionnante de Jérémie Renier qui ne peut plus supporter la lumière du jour, l'amour de ses proches. Accablé, terrassé par la conséquence de son geste, Laurent va réagir d'une façon à laquelle je ne m'attendais pas du tout et va mener à cette dernière partie du film qui m'a mise KO.

Il y a des phrases, expressions toutes faites, des mots aussi employés à tire-larigot qui me hérissent le poil. Inspirant en est un. Et là, brusquement, alors que je partageais les affres et tourments du personnage, je me suis surprise à me questionner sur la vie, la mort, les êtres, ma vie, ma mort, mes regrets, mes erreurs, mes tourments... et oui, j'ai trouvé ce film inspirant. Je ne sais si le terme est adapté mais c'est celui qui m'est venu. Une scène m'a évoqué Breaking the waves de Lars Von Trier (celle des cloches qui sonnent, pour ceux qui s'en souviennent...) sans excès de religiosité ou de mysticisme malgré le visage éminemment christique de Geoffroy Serry mais avec un effet d'apaisement comme un baume qui adoucit la douleur et autorise à se pardonner à soi-même.

Pour traiter ce drame aux multiples ramifications, drame personnel, drame du monde paysan, Xavier Beauvois s'est offert un écrin merveilleux. Le pays de Caux où il vit mais surtout la ville d'Etretat avec sa plage de galets, ses surprenantes falaises blanches d'albâtre, l'arcade saisissante de la Manneporte, et sa mer bleue, verte, grise suivant les heures du jour ou la saison. Cet endroit magique invite à la réflexion, la méditation, la contemplation. J'ai une envie folle d'y retourner. Mais aussi, mais surtout il offre à Jérémie Renier, magnifique, douloureux, impressionnant un rôle fort qu'il rend bouleversant au son du Stabat Mater de Pergolèse.

J'aime ce film passionnément, vous l'avez compris.