OUISTREHAM
d'Emmanuel Carrère ***(*)
Avec Juliette Binoche, Hélène Lambert, Léa Carne
Marianne est une écrivaine à succès. Elle en a assez d'entendre parler de travail précaire sans savoir concrètement de quoi il s'agit.
Elle s'installe donc près de Caen sans plus aucun contact avec sa vie d'écrivaine. Elle s'inscrit dans une agence Pôle Emploi où elle ne tarde pas à trouver du travail en tant que technicienne de surface ou agent d'entretien suivant les époques, en un mot femme de ménage. Elle souhaite ainsi vivre puis témoigner de la réalité vécue par ces invisibles indispensables, essentielles...
Ce film est la libre adaptation du Quai de Ouistreham, le livre de Florence Aubenas dans lequel elle a raconté comment elle s'est fait passer pour une demandeuse d’emploi et est devenue femme de ménage. C'est donc du cinéma social avec un fort aspect documentaire puisque les "collègues" de cinéma de Marianne interprétée par Juliette Binoche ne sont pas actrices mais bien des femmes de ménage dans la vraie vie. En général, je suis un peu agacée et pas très fan des "stars" qui jouent les nécessiteuses mais devant l'acharnement de Juliette Binoche depuis des années à vouloir adapter cette incroyable histoire, je ne peux absolument pas mettre en doute sa sincérité. De plus le film est formidable et elle aussi.
Je n'ai pas lu le livre et je ne connais pas la réalité de ce que vivent ces femmes mais je ne doute pas un instant qu'elles soient traitées comme il est montré dans le film. On aura beau trouver tous les euphémismes du monde, et même s'il faut une technique certaine, faire le ménage c'est mettre les mains dans la merde des autres. Et c'est d'autant plus vrai lorsque Marianne et l'équipe qu'elle a intégrée doivent se rendre sur les ferrys en partance pour l'Angleterre et ont 1 h 30 pour remettre toutes les cabines en état. Un véritable marathon, une course contre la montre où chaque chambre doit être remise à neuf en 4 minutes. Nettoyer les toilettes c'est une chose (merde, vomi et chasses pas tirées) mais le plus harassant est de faire les lits dont la plupart sont en hauteur et ça casse le dos... je vous passe les détails. Pas besoin de discours, il suffit de les voir à l'oeuvre.
L'impossible réconciliation de deux classes sociales passe dans le film par une période magnifique où c'est l'entraide, la bonne humeur et une amitié profonde et sincère qui dominent. Jusqu'à ce que le réalisateur renvoie la star de façon assez cruelle à sa destinée. En ce sens, le personnage de Marianne s'éloigne de Florence Aubenas, ex reporter de guerre, ex otage en Irak et qu'on ne peut donc taxer d'écrivaine bourgeoise.
Le film évoque donc les amitiés solides et désintéressées qui se forment dans la précarité. Et je vous mets au défi de ne pas verser une larme lors de la scène du trèfle à quatre feuilles... Mais Marianne ment, triche et lorsqu'elle rentre dans sa chambre elle note, parfois en reprenant les phrases précises de sa nouvelle amie. Paradoxalement, si elle cherche à alimenter son futur ouvrage, elle ne se contente pas de questionner ces femmes, elle partage leur quotidien d'une dureté incroyable. C'est donc un rôle délicat que celui de cette infiltrée dont on ne peut nier l'attachement à ses nouvelles compagnes d'infortune.
Dans le rôle de Marianne, il y a longtemps que je n'avais vu Juliette Binoche aussi formidable. Elle est entourée de toutes ces filles (et ce garçon) non acteurs mais formidables au milieu desquels surgit l'étonnante Hélène Lambert qui offre de magnifiques échanges avec l'actrice de métier.
Commentaires
Binoche pour ce rôle là, j'ai tiqué .. mais toutes les critiques sont bonnes.
J'ai tiqué aussi mais finalement elle est extra, crédible et convaincante.
Je te recommande vivement la lecture du livre.
ça me tente ainsi que son enquête sur l'inconnu de la poste mais ma PAL monte au ciel.
Comme je n'ai pas encore tout lu, j'ai franchement envie de lire le roman de Florence Aubenas... Et aussi l'inconnu de la poste... par la même occasion... avant d'en faire un film...
J'ai déjà eu en main L'inconnu de la poste mais parfois je me raisonne et repense à ma PAL :-)
Quoi ?? ? Tu n'as pas tout lu ???
Je trouve que nous faire vivre la vie de gens simples et qui peuvent être nous, nos voisins ou notre famille est ce que le cinéma français sait bien faire. Ouistreham, placés ou encore mes frères et moi.
J'ai suivi avec attention la destinée de Marianne et les rencontres qu'elle peut faire. Un tout petit peu déroutant de voir Juliette Binoche dans ces situations... Mais on suit le boulot et les aventures de cette sympathique équipe mixte. Car il y a aussi des garçons mais que ces dames protègent volontairement ou non des travaux les plus ingrats.
Oui il y a de belles relations même avec les garçons pas taillés pour nettoyer les chiottes, mais qui sont prêts à le faire. J'ai trouvé que les hésitations de Juliette dans sa façon de nettoyer étaient bienvenues.
Et moi qui, sans vouloir me vanter mais c'est la vérité, laisse les endroits plus propres que quand j'y suis entrée (chambres d'hôtel, toilettes publiques) je me dis que ce film devrait être vu par tous les enfoirés qui prennent les autres pour des larbins.
Pas trop choqué de voir Binoche dans ce genre de rôle, je trouve que ça lui ressemble ce type d'engagement. Je me demande si je ne suis pas plus intéressé par l'aspect "infiltration" (d'où le choix d'une actrice connue et reconnue) que par le sujet que le film dénonce (car cela, le bouquin et les articles et reportages le font parfaitement). Et visiblement Carrère (par ailleurs excellent écrivain) a la carrure.
Oui l'aspect infiltré est vraiment bien vu dans ce film.
Mais les voir à l'œuvre est fort intéressant.
Je vais le voir ce soir. J'ai vu que Juliette B s'était acharnée pour adapter le roman d'Aubenas. Tu me confortes dans mon envie de le voir. Depuis le début de l'épidémie, je pense beaucoup à ces gens qui exercent des métiers aussi indispensables, qui rendent tant de services aux autres et pourtant si peu récompensés voire méprisés.
Oui j'ai vu qu'elle avait eu envie de l'adapter dès qu'elle l'a lu.
Quand je vois comment sont faits les lits dans les hôtels je me dis que c'est de l'art.
Très bon film, docu-fiction immersif touchant, avec une Binoche épatante et une révélation en prime. Par contre j'ai trouvé que le personnage de la journaliste omet un point qui paraît pourtant essentiel : son propre point de vue en tant que bobo intello ! Aucune réelle introspection de sa part... Car pour ma part on apprend pas grand chose sur la précarité, le parallèle avec sa position privilégiée manque donc un peu
C'est vrai qu'elle subit et prend des notes mais je pense que sa propre immersion suffit à comprendre qu'elle est révoltée.
Et oui on apprend pas grand chose sur la précarité mais les conditions de travail et les relations avec les "supérieurs" sont édifiantes.
Je n'ai toujours pas vu le film, mais, sans animosité aucune, je tenais à réagir à ce que j'ai pu lire dans les commentaires un peu plus haut. Le livre de Florence Aubenas n'est pas un roman ! C'est le résultat d'une longue enquête de terrain, en immersion, au cours de laquelle la journaliste n'a jamais changé de nom, mais "adapté" sa personnalité. Certains l'ont d'ailleurs copieusement attaqué pour ça !
L'idée était pourtant d'obtenir des infos de terrain du type de celles qu'on ne donne pas aux journalistes. Sur la base de choses réellement observées ou même vécues. Et à toutes fins utiles, je rappelle le principe de base qu'elle s'était donnée : sortir de cette enquête clandestine aussitôt qu'elle aurait obtenu un CDI, afin de ne pas prendre un vrai poste à quelqu'un.
Voilà, c'était mon petit explicatif sur la démarche d'une femme pour laquelle j'ai énormément d'estime.
Je suis très admirative du travail de Florence Aubenas et j'ai préféré ne pas répondre à la remarque de bobo intello. Mais je pense que le personnage du film est plus "bourgeois" que Florence Aubenas (cf les 2 scènes finales).
D'accord à 100 % avec ce que tu écris. C'est un beau film humaniste, à projeter d'urgence à tous les candidat.e.s à la présidentielle.
Ah super on est d'accord.
Les candidats sont trop occupés à dire ce qu'ils pensent les uns des autres.