de Carine Tardieu ****

Avec Fanny Ardant, Melvil Poupaud, Cécile de France, Florence Loiret Caille

Shauna va avoir 71 ans. Elle est seule et mène une vie libre et indépendante. Jadis elle fut architecte. Elle a une fille, une petite fille dont elle est proche et part régulièrement, de plus en plus souvent, se ressourcer en Irlande dans la maison familiale.

Tout est parfaitement sous contrôle jusqu'à ce qu'elle revoie Pierre qu'elle avait croisé 15 ans plus tôt lorsqu'il était l'oncologue de sa meilleure amie mourante. Bien qu'ils aient 25 ans d'écart, ils sont irrésistiblement attirés l'un vers l'autre. 

J'hésitais à voir ce film tant je craignais les clichés et les facilités. Avoir 70 ans et être Fanny Ardant qui n'a manifestement pas cédé aux chants des sirènes de la chirurgie esthétique mais a néanmoins gardé une silhouette de jeune fille, c'est différent que d'être madame tout le monde sur qui personne ne se retourne. Je me disais donc qu'il doit être plus simple de tomber amoureux de Fanny Ardant. J'avais raison en ce sens. Tomber amoureux fou de Fanny Ardant est ici une évidence. Elle est divine alors que j'ai parfois eu du mal à passer outre sa voix étrange, un de ses atouts, une de ses différences. Ici tout m'a plu chez Fanny Ardant. Cela tient à ce film délicat et profond d'une intelligence rare qui met en présence deux êtres que les conventions sociales ne permettent pas de s'aimer. Il pourrait être son fils. Mais le couple qu'elle forme avec Melvil Poupaud rayonnant de bonheur et de justesse auprès d'elle, est une évidence. L'acteur, beau ici comme jamais (ou comme toujours) n'est jamais hors sujet, indélicat ou ridicule. Et puis, il n'hésite jamais, ne doute jamais de la force de ses sentiments, sauf au moment de passer au lit et que Shauna doute aussi, il lui dit : "je ne suis pas si sûr de moi", et c'est d'une beauté, d'une douceur, d'une délicatesse ! Oui encore, délicatesse et émotions (fortes les émotions) sont les mots qui résument le mieux ce film qu'on regarde les yeux noyés la dernière demi-heure.

Mais alors que Pierre doit combattre la culpabilité d'un adultère et Shauna les craintes de vivre un amour avec un homme si jeune et la terreur d'y renoncer, le couple à l'écran fait merveille par sa connivence, sa complicité. Pierre est un homme mûr, solide dans son métier même s'il a une fâcheuse tendance à perdre beaucoup de choses. Face à cette femme il est totalement décontenancé, perd ses moyens, fond en larmes mais reste vigoureusement déterminé. Il "avoue" sa faute à sa femme (Cécile de France dans un rôle d'épouse avec enfants qui lui va bien) qui d'abord ne veut rien savoir mais finalement rongée par la curiosité veut savoir, persuadée qu'il s'agit de la nouvelle jeune et jolie collègue de Pierre. Elle éclate de rire lorsqu'elle apprend qu'il s'agit d'une "vieille dame". Finalement la révélation s'avère encore plus douloureuse que s'il s'était agi d'une femme plus jeune, et "ça fait un mal de chien".

Ce film bouleversant est aux antipodes de l'exécrable Les beaux jours de Marion Vernoux où déjà Fanny séduisait sans mal un homme beaucoup plus jeune qu'elle. Ici tout n'est qu'intelligence, décence et subtilité. Même les réactions de l'entourage proche sont intelligentes et réfléchies même si elles sont parfois brutales au début. La réalisatrice n'y va pas de main morte sur le côté mélo, séparation, déclaration sous la pluie et autres moments dramatiques. Mais je crois que je préfère ce beau mélo assumé que ce que peut-être en aurait fait Solveig Anspach qui n'a pas eu le temps de le réaliser avant sa mort en 2015, car il s'inspire de l'histoire de sa mère. Elle y aurait sans doute mis beaucoup plus de fantaisie et ça m'aurait moins convenu.

Ici on nous parle d'amour et que d'amour, et il ne s'agit pas de se regarder l'un l'autre ou regarder tous les deux dans la même direction mais "respirer le même air, profiter de cet air qu'on respire encore ensemble".

Si vous ne pleurez pas, chapeau !