UN AUTRE MONDE
de Stéphane Brizé ***(*)
Avec Vincent Lindon, Sandrine Kiberlain, Marie Drucker, Anthony Bajon
Tout s'effondre autour de Philippe. Cadre d'une entreprise, responsable d'une agence de province, sa direction lui impose un plan social : se séparer de 10 % des salariés qu'il doit choisir lui-même.
Incapable de trouver des noms à mettre sur cette liste on lui demande de répondre à peu près à cette question : "si un train venait à percuter un de vos collaborateurs, à qui il ne faudrait absolument pas que cela arrive" (pour ne pas gêner la bonne marche de l'entreprise...). A force de chercher et de ne pas trouver, Philippe va finalement proposer aux plus hautes sphères de sa hiérarchie une solution incroyable qui résoudrait tous les problèmes et permettrait d'éviter le moindre licenciement. Je me garde bien de vous la révéler tant elle est exceptionnelle...
Par ailleurs sa femme lassée de la pression imposée par le travail de Philippe et de ses absences innombrables, demande le divorce. Leur fils, brillant étudiant est victime d'une brutale décompensation (rupture de l'équilibre psychique, se caractérisant principalement par le fait que cette personne "sort du réel" : elle peut alors présenter des bouffées délirantes, des épisodes délirants très brusques (merci wiki)) et est interné en hôpital psychiatrique. Philippe va mener de front ces trois profonds bouleversements qui se présentent simultanément dans sa vie, ce qui est loin d'être invraisemblable.
Stéphane Brizé nous a habitués à évoquer le monde du travail. Ici, il se penche sur le sort d'un cadre qu'il appelle "le bras armé" de l'entreprise. En effet, coincé entre les employés, les ouvriers, les syndicalistes de l'usine d'une part et les dirigeants du groupe de l'autre, il a la mission de plus en plus impossible de trouver une cohérence entre ce qu'on lui demande de faire et ses propres valeurs. Il s'est consacré au-delà de l'abnégation à servir un système qu'il ne reconnaît pas ou qu'il découvre enfin...
Le réalisateur alterne avec brio les scènes de travail et les moments intimes en famille, chez l'avocat ou à l'hôpital. On voit que ce couple s'est beaucoup aimé et qu'il s'aime encore d'une certaine façon. La scène de la vente de la maison, celle où Philippe retrouve sa femme sur un parking de supermarché car il reste le seul à pouvoir la consoler sont des moments forts et concrets de ce changement de vie. Le couple s'y montre ici d'une grande justesse. Stéphane Brizé rend son film en tout point passionnant, proche du documentaire parfois et d'un réalisme troublant. Si on ne savait que Vincent Lindon est acteur, on penserait pénétrer dans une véritable entreprise. Quant à la complicité du couple, elle est absolument évidente.
Vincent Lindon d'ailleurs, comment s'y prend-il pour avoir été chez Brizé un maçon (Mademoiselle Chambon), un homme qui sort de prison (Quelques jours de printemps) un agent de sécurité (La loi du marché), un syndicaliste (En guerre) et à présent un dirigeant d'entreprise en costume et être chaque fois aussi crédible ? Raconter le monde du travail avec autant d'intelligence et de conviction ? Une nouvelle fois, son interprétation puissante est sidérante. Qu'il mène admirablement une réunion de travail avec des représentants du personnel, ses collègues cadres ou assiste à celle dirigée par la patronne du groupe en France (Marie Drucker, vraiment impressionnante, effrayante), il est à sa place, incroyablement juste et souvent émouvant. Au bout du rouleau, comme broyé lui-même par le système qu'il a servi, il force le respect, en impose tout en laissant paraître les failles et la fragilité. Quand il ment, cela se lit sur son visage défait. Lorsqu'il rend visite à son fils bien mal en point à l'hôpital (deux scènes renversantes où Anthony Brajon est impressionnant également et nous mène au bord du malaise) il est bouleversant. Le plan fixe sur son visage dévasté par l'incompréhension et le chagrin est un moment dingue.
La vision juste de cette machine à broyer des humains cynique et impitoyable que peut être l'entreprise est servie par cet acteur époustouflant. Bien entouré par Sandrine Kiberlain, vraiment formidable dans ce registre grave et dramatique auquel elle semblait avoir renoncé depuis pas mal de temps, Anthony Brajon toujours au top et tous les autres personnages dont certains doivent jouer leur propre rôle.
Un film choc, brillant, très fort.
Commentaires
Même constat, un film plein d'acuité à l'image de son réalisateur que je suis de près depuis longtemps.
Je crois que j'ai vu tous ses films sans m'en rendre compte.
Quel acteur ce Vincent !
Celui-là je tiens absolument à le voir, quitte à aller dans un multiplexe !
Il mérite cet effort :-)
C'est un film que je verrai. Quand ? Je ne sais pas. Pas tout de suite. Pas envie tout de suite de films qui me rappelle la difficile situation économique actuelle...
Lindon est un grand et je suis content pour lui qu'il puisse aborder plein de facettes du même sujet avec ce bon réalisateur (et partenaire) qu'est Brizé.
Difficile de trouver des films réjouissants à part Uncharted.
Vincent, j'ai toujours l'impression qu'il va proposer "la même chose" et il me surprend toujours.
Outre Vincent Lindon et Sandrine Kiberlain, il faut signaler la pléiade d'acteurs (souvent non professionnels) incarnant des seconds rôles. Leur interaction avec Lindon est stupéfiante de réalisme.
Brizé a encore réussi son coup. Quelle claque, ce film !
Je suis d'accord. Un film qui secoue bien.
Vincent Lindon est stupéfiant de réalisme ! C'est un film que je n'avais pas prévu de voir mais qui m'a pourtant poursuivie ...
Je craignais aussi un peu mais la puissance d'interprétation de Lindon emporte tout.