LA NUIT DU 12
de Dominik Moll ****
Avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners, Anouk Grinberg, Lula Cotton-Frapier, Johann Dionnet, Théo Cholbi.
Très tard dans la nuit du 12 octobre Clara rentre chez elle à pied après avoir passé la soirée chez sa meilleure amie qui lui proposait pourtant de dormir chez elle. Elle aurait dû accepter.
En chemin elle croise un chat noir puis, un type l'appelle par son prénom, l'arrête, lui verse de l'essence sur la tête et met le feu. Presque dans le même temps dans un commissariat de Saint Jean de Maurienne, on fête le départ en retraite d'un chef de groupe. Yohan, beaucoup plus jeune lui succède. Il est, dès la découverte du corps de Clara, chargé de l'enquête avec son équipe.
L'enquête auprès de la famille, du voisinage et des amis de la jeune fille de 21 ans révèle peu à peu son caractère et sa façon de vivre. En cherchant le coupable de ce féminicide barbare qui ressemble à une punition, "depuis Jeanne d'Arc et les sorcières, les hommes brûlent les femmes", le réalisateur interroge avec justesse et profondeur la question des violences faites aux femmes et une certaine misogynie (ou misogynie certaine) car ce sont la plupart du temps des hommes qui sont chargés d'enquêter. Jusqu'à ce qu'une juge rouvre le dossier non résolu trois ans plus tard. Parallèlement, la vie du commissariat, son manque de moyens matériels et humains, ses heures supp' pas payées qui "le seront quand le monde sera redevenu normal" est évoquée. Les flics sont présentés ni comme des anges ni comme des monstres même lorsque l'un d'entre eux risque un : "elle n'était quand même pas farouche la petite". Car oui, Clara était une fille joyeuse et gentille qui tombait facilement amoureuse et multipliait les aventures parfois simultanément.
L'une des plus belles scènes est celle où sa meilleure amie en répondant le plus objectivement possible aux questions qu'on lui pose, s'effondre en découvrant que le portrait qu'elle fait de sa meilleure amie est celui d'une pute et que finalement elle aurait bien cherché ce qui lui est arrivé. Pour son amie Clara est morte "parce qu'elle est une fille". Terrible et triste constat face à Yohan, flic perdu, impuissant devant toutes les fausses pistes et le fait que chaque type croisé par Clara pourrait être le coupable.
Le soir Yohan tourne en rond (dit-on tourner en ovale ?) à toute vitesse sur son vélo au vélodrome. C'est ainsi qu'il évacue les tensions et la dureté de son métier avant de rejoindre son appartement triste comme un appartement de flic mais où il est recommandé de ne pas pisser à côté de la cuvette. Car il recueille son binôme, interprété par Bouli Lanners (toujours impressionnant et pétri de son humanité séduisante), qui vit des heures de couple particulièrement difficiles. Son rôle de flic tourmenté au coeur sensible m'a fait penser à celui de Russel Crowe dans L.A. confidential qui défendait les femmes victimes de violence. Sa belle scène est celle où il s'en prend à un rappeur qui se dit non violent, incapable de faire du mal à une femme et a néanmoins écrit un texte d'une violence inouïe sans avoir conscience de la portée de ses mots.
Des interrogatoires tendus, des fausses pistes, des flics dépassés par une enquête qui leur échappe et met en péril la cohésion du groupe, l'environnement industrialisé de cette vallée écrasée par la montagne, la musique inspirée d'Olivier Marguerit donnent un polar âpre et tendu. Dominik Moll n'assène pas des vérités mais amène à s'interroger.
Bastien Bouillon dans son premier premier rôle je pense, impressionne en flic taiseux, par son calme. Et Bouli Lanners parvient tout en restant le même à renouveler son personnage d'homme tendre et bourru.
Après le captivant jeu de piste de Seules les bêtes dans le Massif Central, Dominik Moll confirme son talent à raconter des histoires fausses ou vraies et signe un polar brillant qu'on oublie pas de sitôt.
Pas mal de chats traversent le film et moralité : les chats noirs ça porte malheur.
Commentaires
Quand on regarde ce qui est sorti en salles ces trente derniers jours, il n'y a pas grand chose d'enthousiasmant. Certains films, d'honnêtes productions, sont tout à fait visibles, mais cela ne vole très haut. Du coup, par comparaison, ce polar-ci vaut vraiment le détour. Il confirme le talent de Dominik Moll, qu'on aimerait voir s'exprimer plus souvent dans les salles obscures.
C'est l'été mais Decision to leave, Peter Von Kant, Ennio, Good noght soldier, El buen patron, le Dupieux et ce film ça fait au moins un film par semaine à voir.
Et j'ai beaucoup aimé le Woody malgré l'acteur principal repoussant j'ai trouvé.
C'est pas mal.
La moitié de ceux que tu cites ne passent pas près de chez moi... et je suis sans doute passé à côté de certains autres au cours de mon séjour charentais. Le Dupieux, je l'aime bien (tout comme le Woody), mais il ne m'enthousiasme pas. Plus jouissifs (pour moi) sont "El Buen patron", "Petite Fleur" et "Les Minions 2". Je pourrais aussi ajouter "Buzz l'éclair", tant je trouve les films d'animation souvent plus intéressants que les œuvres avec de vrais acteurs.
Dommage pour le Ennio tellement enthousiasmant je trouve.
Les Minions... la BA a tendance à me faire fuir.
Et Buzz je serais éventuellement allée le voir avec un enfant mais je n'en ai pas sous la main actuellement.
Il doit sûrement passer dans le multiplexe, je vais vérifier, il me tente beaucoup ce film-là. (mais je vais passer du Sahara au Groënland pendant deux heures avec leur foutue clim trop forte).
Dans les multiplexes il ne faut pas oublier un vêtement pour se couvrir. C'est vraiment dingue.
Ce film devrait te plaire. Un excellent polar.
Je te surprends si je te dis que ça me tente graaaaaaaaaave ?
Vraiment hâte de retrouver Bouli et ses rapports, ses rapports, ses rapports...
Non je ne suis pas surprise puisque tu es bouliphile. Bouli rapporte et il est MERVEILLEUX.
Après Harry un ami qui vous veux du bien, et Seules les bêtes (je ne me souviens plus trop de l'ambiance de Lemmings), voilà son nouveau polar d'ambiance. Très sombre, très oppressant, profondément triste. Il est très beau ce film, il est dur, il est courageux... et quand tu imagines qu'il est tristement réaliste... Pas un métier facile, non plus...
Tu permets une petite correction dans ce que tu dis... Si le meurtre a bien eu lieu à Saint-Jean de Maurienne, la PJ est celle de Grenoble... C'est pas que j'y tiens, mais ce fut toute ma vie, ou presque... pendant 30 ans, je suis passé devant cet hôtel de police (jamais rentré), avec à côté son multiplexe Pathé, où j'y ai vu quelques "bons" films...
Je me souviens très peu de Lemings mais il me semble que ça ne m'avait pas plu.
Harry, Les bêtes et cette nuit sont beaucoup plus marquants.
Et ce film est vraiment impressionnant sous bien des aspects.
Tu as raison c'est Grenoble. C'est ce que j'avais noté d'abord et ensuite j'ai vu que ça avait été tourné en partie à St Jean de Maurienne du coup j'ai pensé m'être trompée mais non. Je rectifie.
P.S. : je pars à la vacance :-) J'ai été très déçue par Les nuits de Mashhad.
J'ai du mal à trouver le temps de voir des films au cinéma en ce moment. Mais celui-ci a l'air bien, d'autant que je n'ai pas vu de film de Dominik Moll depuis Harry. J'espère que le film n'est pas trop dur ou trop violent cela dit.
Dommage de ne plus pouvoir aller au cinéma. Seules les bêtes était formidable aussi.
Un peu de violence ici, oui.
Un grand film, qua ça fait du bien un polar qui évite les clichés sur les flics, avec un paramètre psychologique finement mis en place. Un des polars les plus réalistes et fidèles sur le monde policiers. A voir et à conseiller
ça m'a un peu rappelé Engrenages par certains aspects réalistes du monde des flics.
Bonjour Pascale, cette nuit du 12 est vraiment un film remarquable de bout en bout. Mention spéciale à Anouk Grinberg en juge d'instruction. Bonne fin d'après-midi.
Rebonjour dasola. Anouk Grinberg est très bien. Dommage qu'on la voit si peu en règle générale.
J'ai lu que c'était son meilleur rôle... faut pas pousser quand même.
Bonjour Pascale !
Je ne crois pas en avoir vu d'autres de lui, mais celui-ci m'a mise un peu en état de choc. J'avais beau savoir que c'était une affaire non élucidée, je me suis prise à espérer. La réal comme les acteurs font de ce film une œuvre de cinéma. Je peux pas dire que j'ai passé un bon moment, mais j'ai été émue, bouleversée, troublée.
Bonjour Aurore, et oui ce n'est un film confortable... Moi aussi je rêvais quand même qu'on trouve cette ordure.
Depuis, j'ai vu Dédales (formidable policier film roumain). Les filles sont vraiment des proies. C'est universel.
Qu'est-ce que je faisais le nuit du 12 ? Oh, j'ai dû voir un bon film sans doute. Signé Dominik Moll par exemple. J'avoue que depuis "Harry", il ne m'avait pas autant emballé. J'aime bien cette alternance entre polar documentaire façon "L.627" et atmosphère étrange qui glisse vers des enquêtes irrésolues façon "Zodiac" ou "Memories of Murder". On y décèle aussi un fort accent Twin Peaks qui tient sans doute à la passion de Gilles Marchand pour Lynch.
Faut que je vois "As Bestas" maintenant !
Je l'ai vu le 13 ce film mais pas dans la nuit. Je devais être dans mon lit.
Oui il y a un petit côté de tous les films que tu cites ici.
As bestas est INDISPENSABLE. Et du côté Moll, il FAUT voir Seules les bêtes.
Vu enfin et en retard tjs sur l'écran dans l'avion
Très bon film, très émouvant et bien fait.
Oui la scène de la meilleure amie de la victime effarante et les textes du rappeur à vomir...
Bisous
Un des grands films de l'été dernier et de l'année.
J'en ai profité pour revoir ce film... que j'avais beaucoup aimé à sa sortie... je te disais d'ailleurs, très beau film, profondément triste.
Avec un nouveau regard, j'en suis ressorti encore plus triste, mais aussi encore plus émerveillé (si c'est possible de trouver un tel film merveilleux). Et finalement, je dirais que c'est même plus que ça, c'est un chef d'œuvre, d'acteurs et d'ambiance...
Je suis d'accord, ce film se bonifie avec les visions. L'histoire est à gerber mais je comprends ton émerveillement tant ce film est génial. Bastien Bouillon et Bouli Lanners sont exceptionnels.