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LE VIEUX COEUR DES VIEUX HOMMES

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Chaque samedi de l'été sur France Inter à 10 heures, Laurent Delmas abandonne son ton acerbe de critique pour rendre hommage à Bertrand Tavernier. Chaque semaine un thème différent évoque la carrière et les films de Tavernier. C'est passionnant. Le thème du jour était "De l'écrit à l'écran". Et la lettre sublime qui clôt La vie et rien d'autre est sans doute due à Jean Cosmos souvent associé aux scenarii du réalisateur.

Au départ j'avais dans l'idée de ne partager avec vous que le texte de cette magnifique lettre, mais lue par Philippe Noiret, elle prend toute sa dimension.

Je vous invite donc à l'écouter pour quelques instants de douceur, de beauté et d'émotion.

Bédarieux, le 6 janvier 1922

Irène, très chère Irène,

Votre lettre m'a donné une très grande joie parce qu'elle m'apportait un grand espoir. Enfin vous ! Enfin quelques mots me rendaient votre voix, votre regard, l'émouvante silhouette de mes jours et de mes nuits de solitude ! Dieu veuille que mon message vous atteigne à New-York avant ce grand départ que vous m'annoncez pour le Wisconsin.

J'ai eu du mal à le découvrir sur mon globe. Comment vous y retrouverais-je si vous aviez l'imprudence d'aller vous y perdre ?

"Nouvelle vie" dites-vous, "nouvelles têtes, nouveau départ". Qu'avez-vous besoin de toute cette nouveauté, vous qui renouvelez si bien toutes choses et notamment le vieux coeur des vieux hommes ?

Vous n'avez compris ni mon trouble ni mon silence. Ai-je compris moi-même ? J'étais, je suis encore tremblant de mon immense tendresse, et votre véhémence, votre flamme me paralysaient... nuit effrayante dans mon souvenir. Il suffisait que je murmure les trois mots dont vous me lanciez le défi et je me suis tu. Aujourd'hui, je les crie cent fois par jour, de toutes les forces qui me restent, souhaitant qu'ils passent la formidable étendue qui nous sépare : "Je vous aime, oui je vous aime, à jamais".

Cet aveu vous donnera peut-être à rire après tant de mois de séparation. Il me soulage. Il m'assure que je suis vivant, en paix avec moi-même. Le reste n'est que broutilles.

J'ai pris de grandes résolutions. Par exemple celle de me séparer de l'armée, laquelle d'ailleurs n'a fait aucune difficulté pour me libérer. Et comme je n'ai de goût ni pour les villes, ni pour les cravates, j'ai regagné la terre de mon enfance où je dispose d'une maison de famille entourée de quelques hectares de rocaille et de vignoble. Je vous offre, sans trop d'illusion, cette royauté dérisoire.

Il est dix heures du soir. L'air sent bon le crottin, la menthe et le caramel parce que j'ai fait tomber du sucre sur ma cuisinière. Demain matin j'irai voir si les sangliers de mon petit bois sont partis pour l'Espagne et je commencerai d'attendre, de vous attendre. J'attends déjà. Je n'attendrai pas plus de cent ans. Mettons cent et un ans.

A vous, ma vie...

Commentaires

  • Il est deux heures et cette lecture sent le cœur qui bat, les émotions fortes de cinéma, la vie et plus encore. Cette lettre bouleversante me renvoie au souvenir ému de ce film magistral, de Noiret et de Bertrand Tavernier, un grand, un immense amoureux du cinéma qui nous manque tant.
    Ah, toi, tu as l'art de retrouver les mots qui troublent !
    Evidemment que j'écoute aussi Delmas (en podcast en ce qui me concerne)

  • Il est 18 h 35 et après avoir lu les commentaires j'ai réécouté la lettre qui réchauffe (s'il en était besoin actuellement) bien plus que le coeur des vieux hommes. Quelle lettre ! Et la voix de Philippe Noiret est dingue. J'aime quand il dit "rocaille". A quoi ça tient ?
    Ah, recevoir une telle lettre ! J'avais une moitié très douée dans l'art épistolaire et l'amputation ne cicatrise pas.
    Ravie que tu écoutes cette super emission suivie dans un tout autre genre par le Very good Bowie trip. Michka, excellent conteur aussi.
    Ravie aussi de t'avoir troublé :-)

    Il faudrait que j'écrive à propos de Nope et Dodo, les 2 seules sorties de la semaine mais pas le courage.

  • J'écoute Bowie aussi, tu penses !
    Pas vu "Dodo", mais "Nope" je m'en charge.

  • J'imagine que Nope ne t'échappera pas. Une déception pour moi.

  • Ah tiens, moi j'ai passé un bon moment. Quelques scènes impressionnantes, et puis ce monstre est magnifique. Je lui trouve quelques défauts malgré tout, je lui préfère ses précédents.

  • Je ne me suis pas ennuyée et je n'ai pas trouvé le monstre beau surtout quand il se transforme en méduse...

  • Je m'éloigne un peu de "la Vie et Rien d'Autre" mais j'ai revu Noiret dans "l'Horloger de Saint-Paul" l'autre soir, sa délicieuse voix qui improvise sur les oignons ("lézoagnons") à la table d'un petit bouchon lyonnais, quel délice ! Quel acteur ! Et Rochefort ("fais chier ce chien") y est tout aussi génial.

  • Oui je l'ai vu il y a peu ce film... Un peu décevant selon moi mais Noiret est exceptionnel. Les scènes de Bouchon me semblent quasi improvisées. J'adore. Noiret, cette voix, ce ton : magiques.

  • J'écoute cette émission moi aussi, bien plus agréable que d'habitude en ce qui concerne Laurent Delmas. C'est passionnant.

  • Oui Laurent Delmas est surprenant et bien plus agréable quand il évoque ce et ceux qu'il aime. Déjà l'année dernière il avait une émission ciné hebdomadaire formidable mais je ne me souviens plus le thème. Je crois qu'il avait un invité différent chaque semaine.

  • Oui tout est magnifique.

  • Bonjour Pascale, je n'ai pas entendu l'émission de Laurent Delmas mais en revanche, j'ai fait découvrir à mon ami en DVD La vie et rien d'autre qu'il n'avait jamais vu. J'ai revu ce film avec grand plaisir (c'est pour moi un des meilleurs films de Tavernier). Et cette lettre à la fin du film est magnifique en effet. Bonne journée.

  • Bonjour Dasola,
    Oui cette lettre est merveilleuse (plus encore lue par Philippe Noiret car on la lit soi-même elle est juste belle, ce qui est déjà pas mal) et le film tout autant.

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