MERCI
JEAN-LUC GODARD 3 décembre 1930 - 13 septembre 2022
En 2017, à la sortie du film Le redoutable de Michel Hazavanicius, j'écrivais ceci (désolée pour l'indécence de l'auto-citation) :
JLG est un être humainement odieux. Je ne lui pardonnerai jamais d'avoir fait pleurer un être de lumière. Il est pourtant "responsable" d'au moins trois chefs-d'oeuvres, qu'il renie amèrement car JLG est bête. En ce qui me concerne, A bout de souffle, Le Mépris et par dessus tout Pierrot le Fou sont des films dont je n'ai jamais fini de faire le tour, dont je ne me lasse pas, dont certaines scènes, certaines musiques, certaines répliques surgissent parfois sans que je les convoque. Des incontournables, indépassables que leur auteur, impossible misanthrope, répudie. Tant pis pour lui. Les spectateurs, qu'il méprise autant que les acteurs et que l'univers tout entier continuent de regarder ses films à genoux. Depuis il a commis des machins qui me sont totalement hermétiques et j'ai renoncé. Le réalisateur préfère faire des films marabout'd'ficelle et nous laisser sur le carreau devant ces bidules abscons, faits de collages sonores et d'aphorismes pompeux plutôt que nous raconter des histoires comme il savait si bien le faire.
Un peu radicale la fille... qui refuse d'admettre qu'elle n'a en fait rien compris à ce qu'est devenu sa marque de fabrique par la suite.
Ses films désormais faits de collages picturaux, musicaux, littéraires, philosophiques, historiques, politiques voire même cinématographiques étaient uniques dans leur genre mais complètement hermétiques pour moi. J'ai complètement lâché l'affaire en 2010 après avoir subi Film socialisme. Raconter des histoires n'intéressait pas Godard, c'était son droit le plus strict. Et moi je n'ai rien compris. Il disait pourtant que faire des films était sa vie, qu'il ne savait rien faire d'autre et moi je trouvais que ses films ne ressemblaient plus à des films parce que j'aime par dessus tout qu'on me raconte des histoires. JLG et moi irréconciliables.
Néanmoins dans le top ten de mon panthéon personnel figure Pierrot le fou et je n'en démordrai jamais, ce film est un chef-d'oeuvre. (Arte choisit de diffuser ce soir Le mépris, c'est parfait).
Mais vous allez me dire (si, si je le sens vous allez me le dire) pourquoi "Merci" ?
Parce que, grâce à lui, grâce à sa mort dont il a voulu que la façon dont elle est survenue soit rendue publique, un débat va de nouveau s'ouvrir sur la fin de vie, l'euthanasie, le suicide assisté... appelons ça comme on veut mais parlons peut-être plutôt de droit à mourir dans la dignité et non pas dans d'abominables et interminables souffrances.
Parce que grâce à son aura mondiale, son statut de star mythique qu'il a obtenu de son vivant, les politiciens français vont peut-être, à l'exemple de la Suisse, l'Espagne, le Portugal, ENFIN décider, voter une loi qui nous permettra de choisir notre mort le moment venu dans des circonstances encadrées sans avoir à supplier, parcourir l'Europe pour ne pas être hors la loi.
Alors oui, sincèrement, merci, même si je ne méritais pas Godard...
Commentaires
Ton billet est parfait Pascale ! Je n'ai rien à y ajouter.
Merci Françoise :-)
Très belle chronique, en effet. Et moi aussi, j'adore "Pierrot le fou". Même si j'm'appelle pas Ferdinand.
Sur JLG lui-même, je n'ai que trop peu de références. Je le trouvais assez prétentieux, pour tout dire, et ses films abscons ne le sont peut-être pas autant que lui. Je le crois sincère dans sa logique d'innovation.
Me manquera-t-il ? Pas sûr. Même si je trouve bizarre de l'exprimer ainsi. Et que je croyais qu'il était unique.
Pierrot le fou est son sommet selon moi suivi par le Mépris et A bout de souffle. J'en ai vu pas mal d'autres dans les années 80 et 90 mais ce furent toujours des déceptions malgré de bons moments. Les années 2000... sont expérimentales même si finalement ces films ont toujours comporté ces collages et aphorismes et qu'il a renié ses films où il racontait des histoires (un gros mot pour lui).
Je pense qu'il n'y avait aucune posture dans son attitude mais il était sûr de lui et ça le rendait parfaitement antipathique comme certaines de ses positions absolument abjectes (à propos des juifs par exemple).
J'ai vu vendredi un documentaire sur sa brouille avec Truffaut. C'était bien triste. Leurs échanges de courriers étaient assassins. Et finalement JLG était tout décontenancé à la mort de François.
Mais sa timidité donnait vraiment l'impression qu'il détestait l'humanité.
Bref pas quelqu'un qu'on a envie de rencontrer.
God Art. Comment ne pas s'y croire avec un nom pareil ? Les Inrocks titrent "Dieu est mort", t'imagine ?
Je souscris à peu près à tout ce que tu écris, y compris sur les films post sixties (et même déjà sixties, par exemple "une femme est une femme" je trouve ça quand même moins bien que "Lola").
"Une peau de chien" qu'elle disait Agnès quand il lui pose un lapin dans "Visages Villages". Bien triste séquence dans laquelle revient le souvenir de cet adorable film muet, "les fiancés du pont MacDonald" où, sans lunettes fumées, il embrassait tendrement Anna.
N'empêche, c'était quand même un grand puisqu'il t'a fait tourner la tête avec Ferdinand.
Les inrocks : je lève les yeux au ciel !!!
Eux s'y croient encore plus que JLG.
A cause de Ferdinand j'essaie de "pardonner" toutes les conneries qu'il a faites et dites et c'est vrai qu'il a été très drôle dans sa folle jeunesse.
Mais oui ça reste une peau de chien.