PACIFICTION - TOURMENT SUR LES ÎLES
d'Albert Serra °°
Avec Benoît Magimel, Pahoa Mahagafanau, Matahi Pambrun, Sergi Lopez
De Roller est le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française. Ailleurs on appelle cela un Préfet. Sur l’île de Tahiti, il est donc le représentant de l'Etat français.
Cet homme arpente les réceptions officielles, serre des mains, tape sur des épaules, dit des "je comprends... je vous écoute... mon ami par ci, mon ami par là". Il boit, il fume, fréquente un bar-boîte de nuit chelou, fait du jet-ski pour s'approcher au plus près des surfeurs (magnifiques spots dans la région). Mais surtout il s'inquiète d'une rumeur persistante sur la présence d'un sous-marin et de la reprise possible des essais nucléaires français. La population locale semble être sur le point de se révolter.
Sur le papier, c'est intéressant non ? A l'écran c'est l'ENNUI et l'incompréhension totale. Le Figaro semble un peu d'accord avec moi : "Entre thriller politique à zéro de tension et carte postale sans destinataire, la meilleure blague du dernier Festival de Cannes provoque 2 h 43 de rire involontaire ou d'ennui abyssal". Pendant que Libération y voit "Un chef d’œuvre stupéfiant". J'aurais tendance à dire : à vous de voir.
Mais presque 3 heures pour ne RIEN dire ou plutôt poser des questions et n'en résoudre aucune. Nous laisser comme Magimel à scruter l'horizon avec des jumelles pour tenter de voir si, effectivement, peut-être que, mais peut-on en être sûr et j'en passe... C'est chaud cacao les aminches. Cela dit, le film aurait pu durer 6 heures, faire l'objet d'une série en 8 saisons de 15 épisodes de 90 minutes, on en serait toujours au même point. Car le réalisateur aime par dessus tout poser sa caméra... pardon, SES caméras, partir faire de la plongée et revenir visionner les rushs.
De Roller ne peut que constater avec lassitude tout en essayant de garder sa superbe : il n'est rien, qu'un pion parachuté au bout du monde, inutile, sans autorité, sans pouvoir. Et on ne peut retirer à Benoît Magimel, engoncé dans des costumes blancs (ça grossit le blanc non ?) trop petits (laisse échapper ton bide Benoît, on sait que tu as pris 40 kgs) le panache, l'honnêteté, une certaine noblesse avec lesquels il interprète le rôle de ce pantin. Il faut dire que le garçon n'est pas dupe de l'inutilité de sa mission, c'est sans doute ce qui, finalement, le rend attachant.
Autour de lui, des acteurs pas bien bons récitent des textes qu'ils semblent ne pas comprendre (tout comme nous), ou improvisent, allez savoir. Et puis il y a Sergi Lopez qui a vu de la lumière et est entré. Le gars a dû se dire : "un mois à Tahiti en plein confinement, ça peut le faire". Il y est donc allé et ne dit strictement rien. Parfois on le voit passer au fond de l'écran, surtout quand il y a des filles à oilpé. Et toute l'équipe a chopé le Covid, ce dont le réalisateur semble presque se réjouir dans Télérama. Pourtant il refuse que se créent des liens dans l'équipe : "Tout mon système est basé sur la non communication avec les acteurs comme avec les techniciens." Le tournage est rapide "pour éviter le copinage". Bon ok, il ne veut pas "tomber dans les clichés du réalisateur démiurge. Donner des indications, c'est déjà simplifier. J'aime abandonner les acteurs pour les rendre vulnérables" dit celui qui réalise des films que personne ne voit et affirme qu'il est le seul réalisateur espagnol avec Almodovar (quand même). La modestie du gars est à encadrer.
Mais alors pourquoi est-ce que le pauvre pékin moyen comme moi ne comprend RIEN à ce galimatias pompeux ? J'ai trouvé la réponse, encore une fois dans Télérama : les acteurs "sont filmés en permanence par trois caméras pendant des prises très longues sans avoir lu le scenario, sans connaître les partenaires, sans communiquer avec le réalisateur." Les 150 heures de rushs sont ensuite regardés par le réalisateur qui annote, sélectionne et les monteurs doivent se dépatouiller avec ce puzzle !!! "J’ai d’abord tout regardé seul, les images de trois caméras diffusées sur un même écran divisé en trois. Je me souviens avoir commencé le 14 octobre de l’année dernière et fini la première semaine de janvier 2022, à raison de 8 ou 9 heures par jour, sans autre pause qu’à Noël pendant une semaine."
Chef-d'oeuvre on vous dit !
P.S. : je me souviens d'un film de 3 heures qui nous emmenait dans la jungle pour 10 000 nuits. C'était une merveille et ça s'appelle Onoda d'Arthur Harari, un tourbillon d'émotions dans une nature hostile et accueillante. J'ai presque honte de rapprocher cette merveille de ce pensum abscons.
Commentaires
Moi aussi l'idée me plaisait beaucoup... Helas les critiques ont eu raison de mon envie et j'avais peur de ne pas reussir a comprendre ce chef d'œuvre.
Oui parfois des chefs-d'oeuvre nous échappent.
Merci Pascale de ton temps et surtout de nous faire gagner presque 3 h.
Comme tu le sais je n'aime rien autant que tes critiques de films que tu n'as pas appréciés, mais pour répondre à ta question de l'autre fois, là, je crois que nous tenons la palme du film d'avion : 2 h 45 de totale inaction, où si tu t'endors au début et que tu te réveilles à la fin tu n'as strictement rien raté, et en +, tu peux être fière d'avoir dormi +/- 2 h avec l'impression d'être sur un transat.
Je me le note en haut de ma liste, celui-là, mais j'espère ne pas attraper de coup de soleil.
Tu pourras contempler quelques beaux couchers de soleil avant de t'endormir profondément.
AH ! J'adore ta chronique ! Magnifique et souriante, j'imagine déjà les cocktails que je vais boire, je vois déjà les filles à oilpé, (non pas le bide de benoit, pourtant Benoit, je l'aime bien ce type-là), je suis déjà à Tahiti (d'ailleurs, je regarde par la fenêtre, je vois déjà le soleil, pas encore les nanas à oilpé mais je vais scruter encore et encore au cas où...).
Mais la véritable question est : "est-ce que tu m'as donné envie d'aller voir ce film ?"
J'imagine que tu préfèreras te plonger dans un bon bouquin pour voyager. Quoiqu'il y a ici quelques jolies images. Et pour boire des coups et mater des filles peu vêtues c'est pile le bon endroit.
Et ravie de t'avoir fait sourire.
mais quelle galère
Complètement à la dérive...
Je me contenterai de la bande-annonce. En tout cas, j'ai bien souri en lisant ton article. Qu'est-ce qu'ils peuvent être drôle dans Libé quand même ! Et les Inrocks, j'en parle même pas. Ils ont trouvé "les couleurs de l'incendie" complètement nul, ça devait manquer de couchers de soleil sans doute.
Les couleurs de l'incendie n'est clairement pas un film Inrocks. Pas de couchers de soleil, pas d'alcool, pas de filles à poil (pour rien) en plus, et il ne dure pas trois heures. Pour eux le cinéma ne PEUT être divertissant.
Pas vu - difficile de trouver le temps de voir un film si long - mais j'aimerais bien le voir pour me faire ma propre opinion malgré ton rejet radical.
Se faire sa propre opinion, il n'y a rien de tel ! Je suis sûre que tu trouverais mille bonnes choses à dire sur la réalisation mais franchement quelle confusion, et que c'est mal joué !
Onoda, mon film préféré de 2021 !
Bon je voulais le voir mais les 2h45 me faisaient hésiter. J'ai entendu du bien notamment dans le podcast le "masque et la plume", mais je sens quand même qu'on s'emmerde un peu quand même. S'il sort un jour sur netflix j'y jetterai un oeil, et tant pis, je passe encouragée par ton retour !
La même durée qu'Onoda mais vraiment pas le même ressenti... A tes risques et périls :-)