LE MARCHAND DE SABLE
de Steve Achiepo ***
avec Moussa Mansaly, Ophélie Bau, Aïssa Maïga, Mamadou Minté, Benoît Magimel, Mariama Gueye
Après avoir passé quelques années en prison, Djo est hébergé chez sa mère et une semaine sur deux il y reçoit également sa fille de 8 ans.
L'appartement accueille aussi régulièrement et en toutes occasions divers oncles, cousins, cousines... cela fait beaucoup de monde, de bruit et d'agitation dans l'appartement. Pas forcément compatible avec le bon sommeil dont a besoin une petite fille.
Un soir, Félicité, une tante de Djo débarque avec ses trois enfants. Ils ont fui Abidjan et le conflit en Côte d'Ivoire, cause de nombreuses exactions envers la population civile et qui a éclaté en 2011 suite aux élections contestées entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Félicité et ses enfants ne sont manifestement pas les bienvenus. Personne ne se propose pour les loger mais Djo tente le maximum pour leur trouver une solution d'hébergement. Son ex femme Aurore, travailleuse sociale, essaie également d'activer ses réseaux. Djo est par ailleurs en position délicate vis-à-vis de l'assistance sociale et il doit trouver un logement pour lui-même et sa fille sous peine d'en perdre la garde.
Lorsqu'enfin il parvient à trouver un abri provisoire mais décent (tous les centres d'accueil sont surpeuplés) pour sa tante et ses trois enfants, il découvre que chaque jour des flux constants de personnes arrivent de Côte d'Ivoire. Ses mauvaises fréquentations le mettent face à des sales types qui proposent des solutions immédiates. C'est séduisant car rapide et efficace et Djo participe malgré lui au sinistre commerce des marchands de sommeil (définition : un marchand de sommeil est un propriétaire qui abuse de ses locataires louant très cher un logement indigne, les mettant directement en danger : insalubrité, suroccupation organisée, division abusive de pavillons).
Le réalisateur joue sur les mots avec son titre qui évoque une douce comptine d'enfance, un petit livre que Djo lit à sa fille pour l'endormir. Le marchand sable est celui qui passe juste avant le sommeil. Le marchand de sommeil par contre expose une réalité plus abrupte, beaucoup plus violente et ce que le film nous montre à plusieurs reprises est loin de pouvoir nous assurer un sommeil tranquille. La réalité de ce qui se passe dans les bâtiments insalubres voire dans les caves ou les égouts est absolument hallucinant. Et on voit bien que le réalisateur s'est appuyé sur une recherche quasi documentaire en accordant une place importante aux travailleurs sociaux complètement débordés, dépassés et ne sachant plus comment prioriser les cas. Une jeune fille de 19 ans plusieurs fois violée ("il y a eu plusieurs incidents" dit la jeune femme qui a pu l'héberger quelque temps...) qui ne peut accepter un hébergement mixte est-elle prioritaire face à un homme qui a vu ses enfants se faire assassiner ? C'est terrible et chaque "cas" semble être plus effroyable que le précédent.
Même si la mise en route (la très longue scène de fête introductive) s'étire un peu, l'intrigue du film suit un rythme qui ne faiblit jamais, nous maintient en alerte et superpose les problématiques (l'afflux de population étrangère qui quitte un pays politiquement dangereux pour eux, l'absence de solution pour les accueillir, la recherche d'un appartement décent pour un père et sa fille). Toutes sont liées au logement et elles font froid dans le dos. Jusqu'aux sous-entendus indignes de l'institutrice de la fille de Djo qui insinue des horreurs.
Le constat est simple et horrible : "Le marchand de sable est accompagné par la Fondation Abbé Pierre. En France, 4 millions de personnes souffrent du mal-logement : à la rue, vivant dans des logements suroccupés ou dont les murs sont tapissés de moisissures, sans possibilité de se loger décemment. L’habitat indigne (estimé au moins à 600 000 logements) est en grande partie le résultat d’une crise du logement qui persiste depuis de nombreuses années". Lire ces mots est une chose, observer la réalité avec des images en est une autre. Le film illustre à merveille cette sinistre réalité.
La fin semble accorder un semblant de rédemption à deux personnages du film mais on ne mettra à aucun moment en doute la force et la sincérité du projet. Le réalisateur ne craint pas d'aborder frontalement les moments dramatiques et l'avant-dernière scène parfaitement maîtrisée allie une grande agitation, une grande détresse et une grande violence. Un film utile, voire nécessaire.
L'interprétation est irréprochable.