LES ÂMES SOEURS
d'André Téchiné ***
Avec Benjamin Voisin, Noémie Merlant, André Marcon, Audrey Dana
David revient mal en point du Mali.
Lieutenant des forces françaises engagées, le camion dans lequel il circulait a été la cible d'une explosion. Sévèrement blessé et brûlé au torse il est plongé dans le coma. A son réveil, il est amnésique. Après une longue convalescence, il retrouve sa soeur Jeanne qui va l'héberger et le soigner dans le logement qu'elle occupe en Ariège dans le domaine de Marcel, un homme vieillissant, acariâtre qui entend d'ailleurs vendre le domaine.
Quel bonheur de retrouver André Téchiné, un des nombreux piliers de ma cinéphilie. Toute jeunette je découvrais Barocco puis Les soeurs Brontë. Ensuite, je n'ai plus raté un film de ce réalisateur, avec des bonheurs divers. Mon Téchiné préféré ? Incontestablement et sans hésitation Ma saison préférée. Je suis sortie de ces âmes soeurs avec une impression mitigée proche de la petite déception et les jours passant, je suis plus indulgente car le film reste en tête de façon troublante. Vague déception parce que le film est inutilement déroutant. D'abord et avant tout parce qu'on dirait qu'il n'a pas l'audace d'aborder frontalement "son" sujet principal. Il le contourne et ose enfin le nommer dans le dernier quart d'heure alors que ce thème mérite plus que cette petite révélation en forme de léger bâclage. D'ailleurs le film se clôt sur une scène, magnifique certes, mais qui laisse planer le doute. Evidemment, ne pas affronter un thème délicat apporte une certaine tension, un petit suspense mais qui m'apparaissent encore une fois, inutiles. En citant Ma saison préférée, je m'aperçois que finalement les deux films ont des points communs et notamment un frère et une soeur, aimantés l'un à l'autre, des âmes soeurs. Je ne nomme pas le thème qui parcourt le film sans le nommer mais je pense que certains critiques ne se privent pas de faire cette (non) révélation. Le fait que David soit un frangin possessif et que Jeanne ne parvienne à se défaire de son emprise était largement suffisant sans y parachuter un propos lourd et confirmer ce qu'on pressentait.
Téchiné contourne régulièrement le sujet principal en ajoutant des personnages secondaires, totalement bâclé en ce qui concerne l'ex petite amie inexistante à tel point qu'on se demande si elle n'invente pas une histoire d'amour du passé en profitant de l'amnésie de David, providentiel pour ce qui est de celui de la maire incarnée par Audrey Dana qui trouve un logement au frère et à la soeur expulsés et assène doctement un rappel à la loi. Le troisième personnage périphérique est celui de Marcel, propriétaire de son encombrant domaine dont il veut se débarrasser et porteur d'un embarrassant secret. Si le personnage est encore une fois hors sujet, il est interprété par André Marcon absolument formidable et dont chaque scène constitue certains grands, beaux et émouvants moments du film.
Le premier quart d'heure se passe à l'hôpital et est quasi documentaire. En sortant du coma et de l'assistance respiratoire, David passe de main en main pour récupérer physiquement et redevenir celui qu'il était. Une véritable cohorte de soignants, médecins, spécialistes, infirmiers, kinés, orthophonistes et j'en passe se presse à son chevet. J'avais les mains qui se crispaient sur le siège de mon fauteuil : dans quel hôpital trouve-t-on autant de douceur, de pédagogie, de bienveillance, d'écoute, d'attention, de patience, de gentillesse...? Aucune qualité ne manque à ce personnel hospitalier. Absolument tous les intervenants de cet hôpital miraculeux étaient à l'écoute et aux petits soins avec leur patient. Sans doute faut-il avoir fait une guerre pour le mériter ! Heureusement, on sort de cet endroit après une ellipse (le film en comportera plusieurs) et David peut rejoindre sa soeur adorée et particulièrement scrupuleuse dans les soins qu'elle prodigue à son petit frère. Ni l'un ni l'autre ne souhaite d'ailleurs voir l'intrusion d'un intervenant extérieur pour assurer les traitements.
Mais contrairement à Jeanne qui fait tout pour raviver les souvenirs et la mémoire perdus de David, ce dernier n'y semble pas favorable. Il devient même particulièrement hostile à ce personnage qu'on lui présente et qui est le David d'avant l'accident. Il ne comprend pas qu'il ait pu être militaire, qu'il ait pu vivre dans le logement bordélique qu'il occupe avec sa soeur mais aussi qu'il ait pu partager le quotidien de Flambeau le chien (un chien d'ailleurs que j'ai trouvé insupportable, exaspérant, agité, bruyant et très laid). Par contre, la forêt alentour qu'il connaît par coeur, dans laquelle il se dirige sans jamais se perdre, la grotte cachée semblent être davantage évocateurs à David. A tous ces titres, le thème de l'amnésie est cent mille fois mieux traité que dans le récent C'est mon homme où l'amnésique n'était plus qu'un pathétique pantin sans volonté ni énergie, balloté par son entourage au gré de leurs décisions et des évènements. David n'a aucune envie de redevenir celui qu'il découvre avoir été. J'ai trouvé cet aspect des choses vraiment passionnant. Permettre par le biais d'un choc de pouvoir devenir quelqu'un d'autre est assez bouleversant je trouve.
L'aspect troublant du film vient entièrement de Benjamin Voisin. Noémie Merlant, coiffée d'un bandeau bien amochisant ne parvient pas à insuffler l'ambiguïté que son personnage exigeait. Je l'ai trouvée trop lisse, à la surface des choses. Son partenaire, aux choix et au parcours décidément sans faute (La Dernière vie de Simon, Un Vrai Bonhomme, Été 85, Illusions Perdues, En Roue libre) parvient d'un regard pénétrant parfois difficile à soutenir, d'une réplique percutante, cassante, spontanée et imparable à semer constamment le trouble. A être agaçant parce que presque despotique et bouleversant, fragile parce que désorienté.
Benjamin Voisin est l'âme de ce film.
J'ai à plusieurs reprises pensé à ce poème de Baudelaire, L'invitation au voyage. A l'exception que chez David et Jeanne tout est loin d'être ordre et beauté, luxe et calme, au contraire.
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.
Commentaires
Pas d'accord pour Noémie Merlant, son personnage n'est justement pas ambigu, Jeanne est clair et l'affirme c'est non. Je suis surtout déçu par le "twist" , l'inceste prend une tournure "classique" alors que c'est le trauma qui aurait dû être la clef sur une histoire d'amour qui peut exister puisqu'il ne se rappelle de rien . Ca m'a un peu gâché la thématique du film.
Je ne pense pas que ce soit si clair.
La scène finale pour moi, elle le cherche.
Ils SE cherchent.
Elle dit non mais elle avait dit oui.
Elle dit non mais elle veut que personne d'autre le touche.
Elle partage son lit.
Il est plus question d'interdit moral que de consentement.
Je crois que Noémie a été dépassée par son personnage. A part dans son 1er film, je ne l'ai jamais trouvée très bonne.
Si tu convoques Baudelaire au secours de Téchiné, tu ne peux que me convaincre.
Mon Téchiné préféré ? "les temps qui changent" peut-être. Ou bien "les roseaux sauvages". En tout cas pas "la fille du RER" que j'avais trouvé plutôt raté.
Je tenterais bien celui-ci du coup, car ça fait un moment que je n'ai pas pris "rendez-vous" avec ses films.
Pffff. Tout ça pour ne pas dire Ma saison préférée qui est exceptionnel. Daniel et Catherine ♡
Pas la fille du Rer, on est d'accord.
C'est vrai qu'il est bien aussi "ma saison préférée". Et "les témoins" aussi.
A ce rythme on peut tous les citer.
Quand on a 17 ans est formidable aussi.
Et oui Les témoins, très bien, et Johan Libéreau qui explose en vol.
Je vais peut-être y aller pour Noémie et Benjamin.
Pour Benjamin... :-)
La presse ne se prive pas en effet de parler de l'inceste, on sait à quoi on à affaire. Téchiné et moi, ça ne colle pas, je suis toujours sortie déçue de ses films, à part l'interprétation. Je n'accroche pas à ses histoires. Pas grave, j'ai d'autres tentations.
Bon ben oui c'est l'inceste. J'ai du mal à comprendre ce divulgachage.
Sans regrets alors.
réponse a la personne qui parle du chien sans imagine ce qu'il lui a été demande sans connaitre le milieu du chien : " le quotidien de Flambeau le chien (un chien d'ailleurs que j'ai trouvé insupportable, exaspérant, agité, bruyant et très laid " ...... pour ce qui qui est d'un molinois très laid il il est trouvé extrêmement beau dans le milieu du chien et des gens lambdas . Le chien n'a fait que ce qu'il lui a été demandé.
Molinois ? je ne connais pas cette marque !
Je suis une personne lambda et la présence de chiens dans les films m'indiffère assez.
Laetitia Dosch, notre ami du jury Reims Polar, a fait "le procès du chien". Il paraît que c'est au poil. ;-)
Pas pour moi donc. :-)
J'ai du mal à comprendre l'intérêt d'un tel film.